Cour de justice de l’Union européenne, le 14 octobre 2021, n°C-186/18

Par une décision dont la portée clarifie l’application du régime de prescription en matière de protection des obtentions végétales, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les modalités de computation du délai pour agir en contrefaçon. En l’espèce, bien que les faits précis ne soient pas exposés dans l’extrait fourni, il est possible de les reconstituer. Une entité, titulaire d’une protection communautaire sur une variété végétale, a vraisemblablement constaté que des tiers exploitaient commercialement cette variété sans son autorisation. Cette exploitation illicite se serait manifestée par une série d’actes distincts, s’étalant sur plusieurs années. La protection communautaire ayant été accordée à une certaine date, et la connaissance des actes de contrefaçon et de l’identité de leurs auteurs ayant été acquise postérieurement, la question de la prescription de l’action en justice s’est posée.

La procédure a probablement débuté devant une juridiction nationale saisie par le titulaire des droits, qui demandait réparation pour l’ensemble des actes de contrefaçon. Le défendeur a sans doute soulevé une exception de prescription, arguant que l’action était tardive, au moins pour les actes les plus anciens. Confrontée à une difficulté d’interprétation de l’article 96 du règlement (CE) n° 2100/94, la juridiction nationale a alors sursis à statuer pour poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne. Le problème de droit soumis à la Cour était double. Il s’agissait d’abord de déterminer le point de départ exact du délai de prescription de trois ans, notamment au regard de la date d’octroi de la protection et de la connaissance de la contrefaçon par le titulaire. Il convenait ensuite de clarifier la manière dont ce délai s’applique en présence d’une série d’actes de contrefaçon commis par le même auteur.

À cette double interrogation, la Cour de justice répond avec une grande précision. Elle juge que le délai de prescription « commence à courir, indépendamment de la circonstance que l’acte de contrefaçon d’une variété protégée perdure ainsi que de la date à laquelle ledit acte a cessé, à la date à laquelle, d’une part, la protection communautaire des obtentions végétales a finalement été accordée et, d’autre part, le titulaire de la protection communautaire a pris connaissance de l’existence de cet acte et de l’identité de son auteur ». Pour les actes multiples, la Cour ajoute que « seules sont prescrites les actions […] relatives à un ensemble d’actes de contrefaçon […] qui ont été introduites plus de trois ans après que […] le titulaire a pris connaissance de l’existence de chacun des actes, faisant partie de cet ensemble d’actes, pris individuellement et de l’identité de leur auteur ». Ainsi, la Cour consacre un point de départ de la prescription subordonné à la connaissance du titulaire (I), tout en appliquant cette règle de manière distributive à chaque acte de contrefaçon successif (II).

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I. La consécration d’un point de départ flottant subordonné à la connaissance du titulaire du droit

La Cour de justice établit une solution équilibrée pour le point de départ de la prescription, en rejetant une approche purement objective (A) au profit d’un critère subjectif qui protège les intérêts du titulaire diligent (B).

A. Le rejet d’un point de départ objectif fondé sur la commission de l’acte de contrefaçon

La décision écarte fermement une interprétation qui ferait courir le délai de prescription à compter du jour où l’acte de contrefaçon a été commis. Une telle approche, bien que simple en apparence, aurait gravement porté atteinte aux droits du titulaire de la protection. En effet, ce dernier n’a pas toujours une connaissance immédiate des agissements illicites qui peuvent être dissimulés ou se produire dans des zones géographiques étendues. Faire débuter la prescription avant même que le titulaire ait pu raisonnablement découvrir l’atteinte à son droit de propriété intellectuelle reviendrait à le priver d’une partie de la protection que le règlement vise précisément à lui accorder.

De plus, la Cour précise que le point de départ est indépendant de la continuation ou de la cessation de l’acte illicite. Cette clarification est essentielle, car elle empêche que la persistance de la contrefaçon ne puisse servir d’argument pour reporter indéfiniment le début du délai de prescription. Le législateur européen a entendu fixer un cadre temporel certain pour l’exercice des actions en justice. La solution de la Cour assure que ni le contrefacteur par la dissimulation de ses actes, ni le titulaire par une inaction prolongée face à une contrefaçon continue, ne puissent manipuler le point de départ de la prescription à leur avantage.

B. L’affirmation d’un point de départ subjectif au bénéfice du titulaire diligent

La Cour de justice ancre le début de la prescription dans la connaissance effective du titulaire du droit. Le règlement exige la réunion de deux conditions cumulatives : l’octroi définitif de la protection communautaire et la connaissance par le titulaire de l’acte et de l’identité de son auteur. La première condition est une exigence logique, car aucune action en contrefaçon ne peut être valablement engagée avant que le droit privatif ne soit officiellement reconnu. La seconde condition, subjective, est au cœur de la décision. En exigeant que le titulaire ait pris « connaissance de l’existence de cet acte et de l’identité de son auteur », la Cour adopte une solution classique en droit de la prescription, visant à ne pas faire courir le délai contre celui qui ignore légitimement son droit d’agir.

Cette solution protège le titulaire de la protection sans pour autant lui accorder une faculté d’action illimitée dans le temps. Dès l’instant où il est informé de la contrefaçon et de son responsable, il lui incombe de faire preuve de diligence et d’engager son action dans le délai de trois ans. Ce mécanisme incite donc les titulaires de droits à surveiller activement le marché et à réagir promptement lorsqu’une atteinte à leurs droits est portée à leur connaissance. La sécurité juridique est ainsi préservée, car le contrefacteur présumé sait qu’au-delà d’un certain délai après la découverte des faits, il ne pourra plus être poursuivi pour ces mêmes faits.

II. Une application distributive de la prescription aux contrefaçons successives

Après avoir défini le point de départ du délai, la Cour en précise les modalités d’application en cas d’actes multiples, ce qui l’amène à écarter une vision unitaire de la contrefaçon (A) pour privilégier une computation indépendante pour chaque acte (B).

A. L’exclusion d’une approche unitaire de la pluralité d’actes illicites

Face à une série d’actes de contrefaçon, une première approche aurait pu consister à les considérer comme un tout indivisible, formant une contrefaçon continue. Dans une telle hypothèse, le délai de prescription pour l’ensemble des actes n’aurait commencé à courir qu’à compter du dernier acte commis ou de la découverte du dernier acte. La Cour de justice n’a pas retenu cette analyse, qui aurait eu pour effet de rendre imprescriptibles des faits très anciens, tant que de nouveaux actes de même nature étaient commis. Une telle solution aurait créé une grande insécurité juridique pour les opérateurs économiques et aurait été contraire à la finalité même de la prescription extinctive.

En rejetant cette approche globale, la Cour évite que le titulaire d’un droit puisse laisser s’accumuler des préjudices sur une longue période avant de décider d’agir pour l’ensemble. La solution retenue impose une gestion plus rigoureuse des contentieux. Elle empêche le report stratégique des actions en justice. Chaque acte de contrefaçon est ainsi considéré comme une source autonome d’un droit à réparation, lequel doit être exercé dans le délai imparti à compter du moment où les conditions de son exercice sont réunies.

B. La confirmation d’une computation indépendante pour chaque acte de contrefaçon

La Cour opte pour une application distributive de la prescription. Elle énonce clairement que la prescription est encourue pour chaque action relative à un acte individuel, trois ans après que le titulaire a eu connaissance de cet acte précis et de l’identité de son auteur. La conséquence pratique de cette règle est qu’au sein d’une même série de contrefaçons, certaines actions pourront être prescrites tandis que d’autres, relatives à des actes plus récents ou découverts plus tardivement, resteront recevables. Cette fragmentation de l’action en justice est la contrepartie logique de la protection accordée au titulaire par le point de départ flottant.

La portée de cette solution est considérable. Elle fournit une méthode de calcul claire et prévisible pour les praticiens du droit de la propriété intellectuelle. Pour le titulaire des droits, cela signifie que dès qu’il a connaissance d’un acte de contrefaçon, il doit envisager d’agir sans attendre, sous peine de perdre son droit à réparation pour cet acte spécifique. Pour le contrefacteur, cela signifie qu’il peut être libéré de son obligation de réparer pour les faits les plus anciens, tout en restant exposé à des poursuites pour les plus récents. La Cour établit ainsi un équilibre subtil entre la nécessaire protection des droits de propriété intellectuelle et l’impératif de sécurité juridique qui gouverne la prescription.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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