La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 14 octobre 2021, une décision fondamentale concernant l’articulation entre le droit européen et les sanctions nationales. Elle s’est prononcée sur la compatibilité de mesures répressives rigoureuses prévues par la législation autrichienne avec la libre prestation de services.
Une société a mis à disposition dix machines à sous sans disposer de la concession requise par le monopole étatique sur le territoire autrichien. L’autorité administrative a infligé une amende de dix mille euros par appareil, assortie d’une peine privative de liberté de substitution et d’une contribution aux frais.
Le tribunal administratif régional compétent a réduit les amendes avant qu’un pourvoi ne soit formé devant la Cour administrative autrichienne concernant la légalité de ces sanctions. Le juge de renvoi s’interroge sur l’obligation de contrôler spécifiquement la proportionnalité des peines alors que la validité du monopole est déjà fermement établie.
La Cour de justice a dû déterminer si l’article 56 du traité impose un examen autonome de la sévérité des sanctions infligées aux prestataires. Elle a analysé la conformité de sanctions cumulatives incluant des amendes minimales et des peines de prison de substitution sans aucun plafond absolu.
L’arrêt affirme la nécessité d’un contrôle distinct de la proportionnalité des mesures répressives avant de préciser les conditions de leur validité au regard du droit européen.
I. La nécessité d’un examen autonome des sanctions au regard de la libre prestation de services
L’exigence de proportionnalité impose un détachement du contrôle des sanctions par rapport au régime de monopole et définit la responsabilité propre du juge national.
A. Le détachement du contrôle des sanctions du régime de monopole
Les réglementations nationales restreignant les libertés fondamentales par des sanctions doivent faire l’objet d’un examen de proportionnalité séparé, rigoureux et approfondi. Le juge européen souligne qu’il convient d’examiner spécifiquement « si elle est propre à garantir la réalisation du ou des objectifs invoqués par l’État membre ».
La compatibilité globale du régime de monopole avec le droit de l’Union n’exonère nullement le juge national de l’exercice d’un contrôle répressif spécifique. Les sanctions doivent être appréciées isolément pour vérifier qu’elles ne constituent pas une entrave injustifiée ou excessive à la libre prestation des services.
B. La responsabilité du juge national dans l’appréciation des modalités concrètes
Il incombe à la juridiction de renvoi d’évaluer la légalité de la sanction en tenant compte des modalités concrètes de sa détermination prévues par la loi. La Cour décide que le juge « doit spécifiquement apprécier la compatibilité avec l’article 56 TFUE des sanctions prévues par la réglementation applicable » au litige.
Le juge national doit vérifier que la rigueur des peines est en adéquation avec la gravité des violations constatées pour assurer un effet réellement dissuasif. Cette mission implique une analyse fine de l’application combinée des différentes dispositions législatives nationales ayant servi de base à la décision de sanction.
L’examen de la légalité impose également de définir l’encadrement européen de la rigueur des mesures répressives nationales admises par la jurisprudence de la Cour.
II. L’encadrement européen de la rigueur des mesures répressives nationales
La compatibilité des mécanismes de cumul et de substitution est admise sous la réserve impérative de l’absence de caractère démesuré des sanctions infligées.
A. La compatibilité sous réserve des mécanismes de cumul et de substitution
L’imposition d’une amende minimale par appareil et le cumul des peines sans plafond ne sont pas contraires, par principe, à la libre prestation de services. Ces mesures visent à « contrecarrer l’avantage économique que pourraient procurer les infractions sanctionnées » et à rendre ainsi l’offre illégale de moins en moins attractive.
La Cour admet également la validité des peines privatives de liberté de substitution destinées à assurer l’exécution effective des sanctions pécuniaires en cas d’insolvabilité. La perception de frais de procédure fixés à un pourcentage de l’amende doit toutefois rester cohérente avec le coût réel supporté par l’administration.
B. La prohibition du caractère démesuré des sanctions infligées
La validité de ces mécanismes répressifs dépend de l’absence de caractère démesuré du montant total des amendes par rapport à l’avantage économique retiré. Le juge national doit s’assurer que la durée totale de la peine de substitution n’est pas « excessive au regard de la gravité des infractions constatées ».
Le montant des frais de procédure ne doit pas méconnaître le droit d’accès aux tribunaux garanti par la Charte des droits fondamentaux de l’Union. Les sanctions doivent respecter le principe de proportionnalité des peines pour demeurer conformes aux exigences supérieures posées par le droit de l’Union européenne.