Cour de justice de l’Union européenne, le 14 octobre 2021, n°C-360/20

Par un arrêt dont les faits ne sont pas précisés, mais qui s’inscrit manifestement dans le cadre d’une question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à clarifier les contours de la fraude portant atteinte aux intérêts financiers de l’Union. En l’espèce, une juridiction nationale, vraisemblablement dans le cadre de poursuites pénales, s’interrogeait sur la qualification d’agissements survenus après l’achèvement d’un projet ayant bénéficié d’un financement européen. Les prévenus semblaient avoir produit de fausses déclarations pour simuler le respect d’obligations post-réalisation, notamment durant la période dite de durabilité du projet. La juridiction de renvoi a donc saisi la Cour de deux questions. Elle cherchait d’une part à savoir si la notion de fraude, au sens du droit de l’Union, pouvait englober de tels actes postérieurs à l’exécution. D’autre part, elle s’interrogeait sur la portée de son obligation d’interpréter le droit national à la lumière du droit de l’Union, face au principe de la légalité des délits et des peines. La question de droit soumise à la Cour portait donc sur l’étendue temporelle de la fraude aux intérêts financiers de l’Union et sur les limites de l’interprétation conforme en matière pénale. La Cour de justice répond que la notion de fraude « inclut l’utilisation de déclarations fausses ou inexactes présentées postérieurement à l’exécution du projet » et que le principe de primauté impose une interprétation conforme du droit national, mais seulement « pour autant qu’une telle interprétation n’entraîne pas une violation du principe de légalité des délits et des peines ».

La solution de la Cour consacre une conception extensive de l’infraction de fraude au détriment du budget de l’Union (I), tout en rappelant que cette extension est nécessairement limitée par la protection des droits fondamentaux (II).

I. L’extension de la notion de fraude aux intérêts financiers de l’Union

La Cour de justice opère une clarification bienvenue quant au champ d’application matériel et temporel de la fraude, en adoptant une interprétation téléologique de la convention PIF (A), ce qui renforce les obligations pesant sur le juge national (B).

A. Une conception temporelle élargie de l’acte frauduleux

La Cour de justice affirme que la fraude peut être constituée par des manœuvres destinées à « créer l’illusion du respect des obligations prévues lors de la période de durabilité du projet ». Cette précision est essentielle. Elle signifie que l’infraction ne se consomme pas uniquement au moment de l’obtention indue des fonds. Elle peut également résulter d’actes ultérieurs visant à dissimuler le non-respect des conditions auxquelles le maintien du financement était subordonné. La Cour se fonde sur l’objectif de protection des intérêts financiers de l’Union pour justifier cette lecture. Une interprétation restrictive, qui limiterait la fraude aux seules actions précédant ou accompagnant le versement des aides, laisserait en effet un vide juridique préjudiciable. Elle permettrait à un bénéficiaire d’obtenir légalement une subvention puis de se soustraire à ses engagements en toute impunité, par exemple en n’utilisant plus le matériel financé comme il s’y était engagé. En incluant les actes postérieurs dans le champ de la fraude, la Cour assure une protection continue et efficace des deniers européens sur toute la durée de vie d’un projet financé.

B. Le rôle renforcé du juge national dans la répression

En conséquence de cette interprétation large, le juge national voit son rôle précisé. La Cour lui impose « d’interpréter les dispositions du droit national de manière conforme aux obligations découlant de l’article 325, paragraphes 1 et 2, TFUE ». Ce faisant, elle ne fait que rappeler l’obligation de coopération loyale et le principe d’interprétation conforme, qui obligent toutes les autorités des États membres à assurer la pleine efficacité du droit de l’Union. Le juge doit ainsi rechercher dans son arsenal juridique national les dispositions qui lui permettent de réprimer les comportements frauduleux tels que définis par la Cour. Il ne s’agit pas de créer une nouvelle infraction, mais bien de lire le droit interne à la lumière des exigences européennes. Cette démarche proactive est une condition de l’uniformité et de l’effectivité de la lutte contre la fraude sur tout le territoire de l’Union. Le juge devient ainsi le garant de la bonne application non seulement de sa loi nationale, mais également des objectifs fixés par les traités européens en matière de protection du budget commun.

Cette lecture extensive de la fraude et du rôle du juge national n’est cependant pas absolue ; elle trouve sa limite dans le respect des garanties fondamentales du droit pénal.

II. Une primauté encadrée par le principe de légalité

Si la Cour réaffirme avec force l’impératif de protection des finances de l’Union à travers le principe de primauté (A), elle prend soin de le concilier avec un principe cardinal du droit pénal, celui de la légalité des délits et des peines (B).

A. La primauté comme instrument d’efficacité de l’article 325 TFUE

La décision rappelle que le principe de primauté est le moteur de l’intégration et de l’efficacité du droit de l’Union. En matière de lutte contre la fraude, l’article 325 du TFUE impose aux États membres une obligation de résultat : ils doivent combattre les atteintes aux intérêts financiers de l’Union par des mesures dissuasives et efficaces. Pour la Cour, l’obligation d’interprétation conforme est une expression directe de cette exigence. Une juridiction nationale ne saurait donc se retrancher derrière une lecture trop littérale ou restrictive de son droit interne pour ne pas sanctionner un comportement qui, au regard du droit de l’Union, constitue une fraude. La primauté commande ici d’écarter toute interprétation nationale qui ferait obstacle à la réalisation des objectifs du traité. La solution assure ainsi que les définitions et les exigences du droit de l’Union ne restent pas lettre morte et qu’elles produisent des effets concrets dans les ordres juridiques nationaux, garantissant une protection équivalente du budget de l’Union quel que soit l’État membre concerné.

B. La légalité des peines comme limite à l’interprétation conforme

Toutefois, la Cour assortit son raisonnement d’une réserve de taille. L’interprétation conforme s’arrête là où commencerait « une violation du principe de légalité des délits et des peines ». Cette limite est fondamentale. Le juge national ne peut, sous couvert d’interprétation, appliquer une incrimination de manière rétroactive ou à des faits qui n’entrent manifestement pas dans le champ de la loi pénale nationale (*contra legem*). Le principe *nullum crimen, nulla poena sine lege*, garanti tant par les traditions constitutionnelles des États membres que par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, fait donc obstacle à ce que l’obligation d’interprétation conforme conduise à condamner un individu sur le fondement d’une infraction non clairement prévue par le droit national. La Cour de justice dessine ainsi une ligne de partage claire. Si le texte national est ambigu ou suffisamment large pour englober les agissements frauduleux, le juge doit l’interpréter conformément au droit de l’Union. Si, au contraire, le texte est clair et n’incrimine pas un tel comportement, le juge ne peut l’étendre au-delà de sa lettre pour combler une lacune, car cela reviendrait à se substituer au législateur et à violer les garanties fondamentales de la personne poursuivie.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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