Par un arrêt en date du 14 septembre 2006, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé la portée des obligations de contrôle incombant aux États membres dans le cadre du régime du prélèvement supplémentaire sur le lait. En l’espèce, un producteur laitier a fait l’objet d’un contrôle révélant une différence significative entre son potentiel de production et les quantités de vente directe déclarées pour la période 1996/1997. L’exploitant a justifié cet écart en affirmant avoir transformé une grande quantité de lait en beurre, lequel aurait été immédiatement détruit sans qu’aucune comptabilité matière de cette opération ne soit tenue. L’autorité nationale compétente, estimant que la comptabilité n’était pas complète, a fixé d’office les quantités commercialisées et a imposé au producteur le paiement d’un prélèvement supplémentaire.
Saisi d’un recours contre cette décision, le producteur a contesté la validité de l’obligation de tenir une comptabilité des produits détruits, arguant qu’elle excédait les exigences du droit communautaire. La juridiction nationale de renvoi, après un premier arrêt de la Cour du 12 février 2004 (affaire C-236/02) ayant précisé que la comptabilité matière visée par le règlement n° 536/93 ne concernait que les produits vendus, a de nouveau saisi la Cour. Il s’agissait de déterminer si le droit communautaire autorisait un État membre à imposer des obligations comptables additionnelles à celles explicitement prévues par la réglementation européenne pour assurer l’efficacité des contrôles. La question soumise à la Cour était donc de savoir si la liste des mesures de contrôle énumérées par la réglementation communautaire était exhaustive, ou si les États membres conservaient la faculté d’édicter des normes nationales plus strictes pour garantir la correcte perception du prélèvement.
À cette interrogation, la Cour répond par une affirmation claire de la compétence étatique, jugeant que « l’article 7, paragraphe l, première phrase, du règlement n° 536/93 […] donne le pouvoir à un État membre d’adopter, dans la mesure du nécessaire, une réglementation imposant aux producteurs de lait établis sur son territoire des obligations comptables supplémentaires allant au-delà de celles qui découlent de l’article 7, paragraphe l, sous f), de ce même règlement ». Elle précise néanmoins que ce pouvoir doit s’exercer dans le respect des principes généraux du droit communautaire. Cette décision consacre ainsi la latitude reconnue aux États membres pour assurer l’effectivité du droit communautaire (I), tout en validant une application concrète de cette prérogative justifiée par les particularités nationales (II).
I. L’affirmation de la compétence des États membres pour compléter le dispositif de contrôle communautaire
La Cour de justice reconnaît aux autorités nationales une marge d’appréciation pour renforcer les mécanismes de surveillance du régime des quotas laitiers. Cette faculté se fonde sur une interprétation finaliste des textes communautaires (A), bien qu’elle demeure un pouvoir encadré et subordonné aux exigences fondamentales de l’ordre juridique communautaire (B).
A. Une interprétation téléologique des obligations de contrôle
La solution de la Cour repose sur l’objectif même du règlement n° 536/93, qui vise à garantir la perception effective du prélèvement supplémentaire et à prévenir la fraude. Aux termes de son huitième considérant, ce texte prévoit que « les États membres doivent pouvoir disposer a posteriori des moyens de contrôle appropriés pour vérifier si, et dans quelle mesure, le prélèvement a fait l’objet d’une perception conforme aux dispositions en vigueur ». La Cour déduit de cette finalité que les mesures de contrôle spécifiquement listées à l’article 7 du règlement ne constituent qu’un socle minimal.
En effet, cette disposition impose aux États membres de prendre « toutes les mesures de contrôle nécessaires ». Le libellé même de cette phrase suggère une obligation de résultat plutôt qu’une simple obligation de moyens limités à la liste fournie. Par conséquent, les mesures détaillées au sein de l’article, telle la tenue d’une comptabilité matière pour les produits vendus, ne sauraient être considérées comme exhaustives. Elles représentent des « règles minimales » que les États sont libres, et même tenus, de compléter si cela s’avère indispensable pour assurer l’intégrité du système sur leur territoire. La Cour écarte ainsi une lecture restrictive qui aurait paralysé l’action des États face à des schémas de fraude non explicitement couverts par le texte.
B. Un pouvoir subordonné au respect des principes généraux du droit communautaire
Si la compétence des États membres est affirmée, elle n’est pas pour autant discrétionnaire. La Cour rappelle avec force que l’exercice de cette prérogative est strictement conditionné. Le dispositif national complémentaire doit non seulement être « nécessaire », mais il doit également se conformer aux principes généraux qui structurent le droit communautaire. La décision énonce clairement que « dans l’exercice de ce pouvoir, l’État membre doit respecter les principes généraux du droit communautaire ».
Ces principes incluent notamment ceux de proportionnalité, de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime. Une mesure nationale ne serait donc pas valable si elle allait au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif de contrôle visé. De même, elle ne pourrait être invoquée si sa formulation était imprécise au point de ne pas permettre à un opérateur économique de connaître avec certitude l’étendue de ses obligations. En l’espèce, la Cour estime que la possibilité pour les États de prendre des mesures additionnelles découle clairement du règlement, de sorte qu’un producteur ne pouvait légitimement s’attendre à y échapper. Cet encadrement garantit que l’autonomie laissée aux États ne porte pas atteinte à l’uniformité et à la prévisibilité du droit communautaire.
II. La validation d’une mesure nationale de contrôle renforcé
Au-delà de l’affirmation de principe, la Cour examine concrètement la réglementation nationale en cause. Elle la valide en se fondant sur les justifications avancées par l’État membre concerné (A), ce qui a pour effet de consolider les obligations de traçabilité qui pèsent sur les producteurs (B).
A. La justification de la mesure par les spécificités du marché national
Répondant à la seconde question préjudicielle, la Cour se penche sur la proportionnalité de l’obligation de consigner dans un registre les quantités de beurre produites puis détruites. Pour ce faire, elle analyse l’argumentaire du gouvernement néerlandais, qui avait justifié cette exigence par « la structure du secteur du lait et notamment par l’existence d’un certain nombre de grands élevages de vaches laitières pratiquant la vente directe de leur production, lesquels sont difficilement contrôlables sur le seul fondement des prescriptions communautaires ».
La Cour juge cette justification convaincante et considère que la mesure litigieuse est nécessaire. Elle permet d’assurer un contrôle efficace et d’éviter que des quantités de lait, prétendument non commercialisées, n’intègrent en réalité le circuit économique en échappant au prélèvement. L’obligation de documenter la destruction d’un sous-produit comme le beurre n’est donc pas une contrainte disproportionnée au regard de l’enjeu, qui est la lutte contre le contournement des quotas laitiers. Cette approche pragmatique démontre que l’appréciation de la nécessité d’une mesure nationale s’effectue in concreto, en tenant compte des réalités économiques et structurelles propres à chaque État membre.
B. Le renforcement de la responsabilité du producteur dans la traçabilité des produits
En validant la règle nationale, l’arrêt tire les conséquences de la responsabilité qui incombe à l’opérateur économique. Un producteur ne peut se prévaloir des lacunes d’un système de contrôle pour s’exonérer de ses obligations. En l’absence de registres prouvant la destruction du beurre, l’administration était fondée à considérer que les quantités de lait correspondantes avaient été commercialisées. La décision confirme que le fardeau de la preuve repose sur le producteur, qui doit être en mesure de justifier l’intégralité de ses flux de production.
La portée de cet arrêt est significative. Il clarifie que le régime de contrôle n’a pas pour objet de tracer uniquement les produits vendus, mais de vérifier la cohérence de l’ensemble de l’activité de l’exploitation pour garantir le respect des quantités de référence. Une simple affirmation de destruction ou de transformation en aliments pour bétail est insuffisante si la législation nationale, pour des motifs légitimes de contrôle, exige une consignation écrite. La Cour envoie ainsi un signal clair aux opérateurs, les incitant à une diligence et une transparence accrues dans la gestion de leur comptabilité, bien au-delà de la seule déclaration de leurs ventes.