Cour de justice de l’Union européenne, le 14 septembre 2017, n°C-56/16

Il convient d’analyser l’arrêt rendu le 14 septembre 2017 par la deuxième chambre de la Cour de justice de l’Union européenne. Cette décision traite de l’étendue de la protection des appellations d’origine protégées face aux marques de l’Union européenne.

Une société a sollicité l’enregistrement d’un signe verbal pour désigner du whisky auprès de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle. Un organisme de défense d’une appellation d’origine pour des vins a formé une opposition fondée sur l’existence d’une dénomination géographique prestigieuse.

L’Office a rejeté cette opposition par une décision du 8 juillet 2014 au motif qu’il n’existait aucun risque de confusion entre les signes. L’organisme public a alors saisi le Tribunal de l’Union européenne afin d’obtenir l’annulation de cette décision de rejet.

Le Tribunal, par un arrêt du 18 novembre 2015, a accueilli ce recours en jugeant que la réglementation sectorielle constituait un instrument exhaustif et exclusif. L’Office et la société déposante ont alors formé un pourvoi devant la Cour de justice pour contester cette interprétation restrictive du droit.

La question de droit soulevée est de savoir si le règlement relatif à l’organisation commune du marché vitivinicole instaure un régime de protection exhaustif des appellations. Il s’agit de déterminer si ce texte fait obstacle à l’application d’autres régimes de protection issus du droit de l’Union ou du droit national.

La Cour de justice annule l’arrêt du Tribunal en affirmant que le règlement sectoriel ne s’oppose pas à l’application d’autres dispositions protectrices. Elle rejette ensuite définitivement le recours initial contre la décision de l’Office.

I. La reconnaissance de la pluralité des régimes de protection des appellations d’origine

A. Le rejet d’une exclusivité absolue du règlement vitivinicole

La Cour de justice censure le raisonnement du Tribunal qui voyait dans le règlement sur l’organisation commune du marché un système totalement fermé. Le juge de première instance estimait que ce texte « constitue un instrument exhaustif et exclusif » régissant seul la protection des dénominations de vins.

Cette approche excluait toute invocation de la protection des marques renommées ou des législations nationales spécifiques pour contester l’enregistrement d’un signe postérieur. La Cour de justice rectifie cette analyse en soulignant que la protection accordée par le droit de l’Union peut revêtir plusieurs formes complémentaires.

Le juge communautaire précise que « le règlement n° 1234/2007 ne s’oppose pas à l’application d’un régime de protection prévu par un autre acte du droit de l’Union ». Cette solution permet de concilier les impératifs de la politique agricole commune avec les règles générales de la propriété industrielle.

B. La préservation de la complémentarité des sources juridiques

L’arrêt souligne que la protection des indications géographiques ne saurait être limitée aux seules dispositions techniques prévues pour le secteur du vin. La Cour admet que d’autres motifs d’opposition, prévus par le règlement sur la marque de l’Union, restent parfaitement invocables par les titulaires de droits.

Cette lecture extensive assure une défense plus efficace des appellations prestigieuses contre des pratiques commerciales qui pourraient porter atteinte à leur renommée mondiale. Le juge refuse de sacrifier la protection offerte par les droits nationaux sur l’autel d’une uniformisation européenne qui serait trop réductrice.

L’objectif est de garantir que « la protection conférée par les indications géographiques puisse être invoquée indépendamment » des procédures strictement agricoles. Cette flexibilité juridique renforce la sécurité des groupements de producteurs tout en clarifiant les rapports de force entre signes distinctifs concurrents.

II. Les conséquences sur l’articulation entre droit des marques et indications géographiques

A. La confirmation de l’autonomie du risque de confusion

Le rejet du recours initial par la Cour confirme que l’existence d’une appellation d’origine ne garantit pas une annulation automatique des marques contenant des termes similaires. Le juge valide l’analyse de l’Office qui n’avait décelé aucune évocation illicite entre le whisky concerné et le vin protégé.

La Cour rappelle que l’appréciation du risque de confusion doit rester globale et tenir compte de la perception du consommateur moyen de l’Union. Le terme litigieux était perçu comme un nom de lieu ou un prénom, sans lien direct avec le produit viticole en cause.

Il est établi que « la marque demandée ne constitue pas une évocation » de l’appellation d’origine, car les caractéristiques des produits sont fondamentalement distinctes. Cette rigueur dans l’analyse factuelle évite que la protection des dénominations géographiques ne se transforme en un monopole injustifié sur le langage.

B. Une portée jurisprudentielle fixant les limites du droit des appellations

L’arrêt précise que si la protection est plurielle, elle n’est pas infinie et doit respecter les conditions de validité propres à chaque fondement juridique. La décision oblige les organismes de défense à prouver concrètement l’atteinte portée à l’appellation selon les standards du droit des marques.

Cette solution équilibre les intérêts des producteurs traditionnels et ceux des nouveaux opérateurs économiques souhaitant accéder au marché européen avec des dénominations originales. La Cour de justice stabilise ainsi le cadre légal des conflits entre signes géographiques et marques commerciales pour l’ensemble de l’Union.

La décision finale de rejeter le recours initial illustre la volonté du juge de maintenir une interprétation stricte de la notion d’évocation. Les appellations d’origine bénéficient d’un arsenal juridique étendu mais dont l’activation reste soumise à une démonstration précise de l’existence d’un préjudice.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture