Cour de justice de l’Union européenne, le 14 septembre 2023, n°C-246/22

Un arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne, sur renvoi préjudiciel d’une juridiction allemande, vient préciser le champ d’application du régime juridique applicable au transport combiné. En l’espèce, une société de transport établie dans un État membre avait effectué des trajets routiers sur le territoire d’un autre État membre. Ces trajets consistaient à déplacer des conteneurs vides depuis un terminal jusqu’à un lieu de chargement, ou depuis un lieu de déchargement vers un terminal, immédiatement avant ou après que ces mêmes conteneurs, une fois remplis, aient été intégrés dans un transport multimodal incluant une partie non routière. Les autorités de l’État d’accueil ont considéré que ces transports de conteneurs vides constituaient des opérations de cabotage non autorisées et ont sanctionné le gérant de l’entreprise.

Le litige a été porté devant une juridiction nationale, qui a sursis à statuer afin de poser une question préjudicielle à la Cour de justice. Les thèses en présence opposaient l’interprétation des autorités nationales, pour qui le transport d’un conteneur vide est un service de transport distinct soumis aux règles restrictives du cabotage, à celle de l’opérateur, qui soutenait que ce trajet fait partie intégrante d’une opération de transport combiné et doit donc bénéficier du régime de libéralisation qui lui est propre. Le problème de droit soulevé était donc de déterminer si le transport routier d’un conteneur vide, effectué en lien direct avec une opération de transport combiné de marchandises, relevait du régime spécifique de la directive 92/106/CEE ou des règles générales du cabotage prévues par le règlement (CE) n° 1072/2009.

À cette question, la Cour répond que ce type de transport relève bien de la notion de « transports combinés » et bénéficie par conséquent du régime libéralisé qui y est attaché, le soustrayant aux limitations applicables au cabotage. La Cour adopte une définition extensive de l’opération de transport combiné, fondée sur une analyse fonctionnelle et téléologique de la législation (I), consacrant ainsi une solution pragmatique qui renforce la cohérence et l’effectivité de la politique commune des transports (II).

I. L’extension de la notion de transport combiné au déplacement de conteneurs vides

La Cour de justice étend la définition du transport combiné en reconnaissant que le trajet d’un conteneur vide est une composante indissociable du transport de marchandises (A) et justifie cette approche par une interprétation cohérente avec d’autres textes du droit de l’Union (B).

A. La reconnaissance d’un déplacement accessoire mais indispensable

La directive 92/106/CEE définit le transport combiné comme un « transport de marchandises », ce qui laissait une ambiguïté sur le statut des trajets effectués à vide. La Cour lève cette incertitude en jugeant que l’opération doit être analysée dans sa globalité fonctionnelle. Elle considère que le transport du conteneur vide n’est pas une fin en soi mais une étape nécessaire à la réalisation de l’objectif principal, qui est le transport de la marchandise. Le juge de l’Union énonce ainsi que « le transport de conteneurs vides entre un terminal de conteneurs et le point de chargement ou de déchargement des marchandises constitue un déplacement accessoire mais indispensable à la réalisation du transport principal, à savoir le transport des marchandises, dont il fait partie intégrante. » Cette approche consacre une vision économique et logistique de l’opération, où les étapes préparatoires et finales sont considérées comme un tout indivisible. En qualifiant ce trajet d’intégré, la Cour refuse de le scinder artificiellement du reste de l’opération, ce qui aurait pour conséquence de le soumettre à un régime juridique distinct et plus contraignant.

B. La justification par une interprétation systémique

Pour conforter son analyse, la Cour ne s’en tient pas à la seule directive 92/106/CEE mais procède à une lecture systémique du droit des transports de l’Union. Elle établit un parallèle avec le règlement n° 1072/2009 lui-même, qui, bien que posant les règles du cabotage, reconnaît explicitement la spécificité des déplacements à vide. En effet, ce règlement intègre dans la définition des « transports internationaux » les « déplacements à vide effectués en relation avec ces transports ». La Cour s’appuie sur cette logique pour justifier son interprétation extensive. Elle observe que cette reconnaissance témoigne de « la volonté du législateur de l’Union de reconnaître que certains déplacements à vide peuvent être considérés comme bénéficiant des dispositions applicables aux transports de marchandises, pour autant que ces déplacements à vide soient effectués en relation avec un transport en charge. » Cette démarche par analogie assure une cohérence entre les différents instruments juridiques régissant le transport routier, en appliquant un principe similaire à des situations fonctionnellement identiques, qu’il s’agisse de transport international classique ou de transport combiné.

II. La consécration d’une solution pragmatique au service de la politique commune

En clarifiant le statut des transports de conteneurs vides, la décision de la Cour privilégie les objectifs de la politique des transports (A) et offre une sécurité juridique bienvenue aux opérateurs du secteur (B).

A. La primauté des objectifs de la directive

La Cour fonde son raisonnement sur une interprétation téléologique, en s’attachant aux finalités poursuivies par la directive 92/106/CEE. Elle rappelle que le but de cette législation est de promouvoir le transport combiné comme alternative au tout-routier, afin de lutter contre « les problèmes croissants afférents à l’encombrement des routes, à l’environnement et à la sécurité routière ». Une interprétation qui exclurait les trajets à vide du régime libéralisé irait à l’encontre de cet objectif. En effet, soumettre ces trajets aux restrictions du cabotage obligerait à recourir à un autre transporteur ou à limiter drastiquement ces opérations, ce qui engendrerait des « charges financières et administratives supplémentaires » et rendrait le transport combiné moins compétitif. La solution retenue est donc celle qui est la plus à même de garantir l’effet utile de la directive. En choisissant l’interprétation la plus favorable au développement du transport combiné, la Cour fait prévaloir l’esprit du texte sur une lecture littérale qui aurait pu en limiter la portée et l’efficacité.

B. Une clarification porteuse de sécurité juridique

Au-delà de son fondement logique et politique, la décision présente une portée pratique considérable. Elle met fin à une incertitude juridique qui pesait sur les entreprises de transport et pouvait donner lieu à des pratiques nationales divergentes, nuisibles au bon fonctionnement du marché unique. En posant une règle claire et uniforme, la Cour renforce la prévisibilité du droit pour les opérateurs économiques. Il ne s’agit pas d’une décision d’espèce, mais bien d’un arrêt de principe qui a vocation à s’appliquer à l’ensemble des situations similaires au sein de l’Union. Le dispositif de l’arrêt est d’ailleurs formulé en des termes généraux, précisant que le transport par route de conteneurs vides « relève de la notion de « transports combinés » ». Cette clarification harmonise l’application du droit de l’Union et assure aux transporteurs qu’ils peuvent organiser leurs chaînes logistiques de manière optimisée sans craindre des sanctions pour des opérations qui sont économiquement et fonctionnellement indissociables du transport combiné.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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