Dans un contexte marqué par la volonté de l’Union européenne de promouvoir des alternatives au transport tout routier, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à préciser les contours de la notion de « transport combiné ». Saisie d’une question préjudicielle par l’Amtsgericht Köln, la Cour a rendu une décision éclairant l’articulation entre le régime libéralisé du transport combiné et les règles plus restrictives encadrant le cabotage.
En l’espèce, une société de transport établie en Roumanie avait effectué pour le compte d’une entreprise allemande plusieurs dizaines d’opérations consistant à acheminer des conteneurs. L’autorité de contrôle allemande a considéré qu’une majorité de ces opérations constituait des transports de cabotage illicites. Le litige portait spécifiquement sur les trajets réalisés avec des conteneurs vides, soit avant leur chargement en marchandises, soit après leur déchargement. L’autorité allemande considérait ces trajets comme des transports autonomes soumis aux limitations quantitatives et temporelles du cabotage prévues par le règlement (CE) n° 1072/2009. La société de transport soutenait au contraire que ces déplacements à vide faisaient partie intégrante d’une opération globale de transport combiné, bénéficiant du régime plus favorable de la directive 92/106/CEE.
Face à cette divergence d’interprétation, la juridiction de renvoi a interrogé la Cour de justice sur le point de savoir si le transport routier d’un conteneur vide, lié à une opération de transport de marchandises par voie maritime ou ferroviaire, devait être inclus dans la définition du transport combiné. En d’autres termes, il s’agissait de déterminer si un trajet routier à vide, précédant ou succédant à un transport de marchandises multimodal, constitue une partie indissociable de ce dernier, exemptée des règles sur le cabotage, ou une prestation de transport indépendante.
La Cour de justice répond par l’affirmative, en jugeant que le transport par route de conteneurs vides entre un terminal et un point de chargement ou de déchargement relève bien de la notion de « transports combinés ». Elle affirme que de tels trajets bénéficient en conséquence du régime libéralisé prévu pour les parcours initiaux et terminaux de ces opérations et échappent à l’application des restrictions propres au cabotage.
Il convient donc d’analyser la manière dont la Cour intègre le transport de conteneurs vides dans le champ du transport combiné (I), avant d’examiner la portée de cette solution qui consolide une approche pragmatique du transport multimodal (II).
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**I. L’intégration du transport de conteneurs vides dans la notion de transport combiné**
Pour inclure les trajets à vide dans le périmètre du transport combiné, la Cour de justice mobilise une interprétation finaliste de la législation (A) et souligne le lien fonctionnel indissociable entre le déplacement du conteneur et celui de la marchandise (B).
**A. Une interprétation téléologique de la directive 92/106/CEE**
Face au silence des textes sur le sort des conteneurs vides, la Cour se réfère à la finalité de la directive 92/106/CEE. Elle rappelle que, selon une jurisprudence constante, l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union doit tenir compte non seulement de ses termes, mais aussi de son contexte et de ses objectifs. Or, la directive vise à favoriser le développement du transport combiné pour des raisons d’intérêt public. Comme le souligne le troisième considérant de ce texte, « les problèmes croissants afférents à l’encombrement des routes, à l’environnement et à la sécurité routière exigent, dans l’intérêt public, un développement plus poussé des transports combinés comme alternative au transport routier ».
Partant de cet objectif, la Cour estime que seule une interprétation large de la notion de transport combiné est de nature à en promouvoir le recours. Exclure les trajets à vide du régime libéralisé reviendrait à freiner le développement de ce mode de transport. Une telle exclusion obligerait en effet les opérateurs à recourir à un autre transporteur, potentiellement un transporteur national, pour effectuer ces courts trajets initiaux ou terminaux. Cette fragmentation de l’opération de transport engendrerait des coûts et des complexités administratives supplémentaires, rendant le transport combiné moins attractif par rapport au transport tout routier. L’interprétation retenue est donc celle qui facilite la réalisation de l’objectif poursuivi par le législateur de l’Union.
**B. Le caractère accessoire et indispensable du trajet à vide**
Au-delà de l’objectif de la directive, la Cour fonde son raisonnement sur la nature même de l’opération de transport. Elle considère que le déplacement d’un conteneur vide vers un point de chargement, ou depuis un point de déchargement vers un terminal, n’est pas une fin en soi. Il s’agit d’une étape nécessaire à la réalisation du transport principal, celui des marchandises. La Cour qualifie ce déplacement d’« accessoire mais indispensable à la réalisation du transport principal, à savoir le transport des marchandises, dont il fait partie intégrante ». Sans la prise en charge du conteneur vide et son acheminement vers le lieu de chargement, le transport de la marchandise ne pourrait tout simplement pas commencer.
Pour conforter son analyse, la Cour opère un raisonnement par analogie avec le règlement n° 1072/2009 lui-même. Elle relève que ce règlement, qui régit pourtant le transport international et le cabotage de manière plus restrictive, reconnaît que certains « déplacements à vide effectués en relation avec ces transports » de marchandises font partie intégrante des opérations qu’il encadre. Cette reconnaissance témoigne de la volonté du législateur de l’Union d’adopter une vision globale et fonctionnelle des opérations de transport. En appliquant une logique similaire au transport combiné, la Cour assure une cohérence d’ensemble au sein de la politique commune des transports.
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**II. La consolidation d’une approche pragmatique du transport multimodal**
En qualifiant les trajets à vide d’éléments constitutifs du transport combiné, la décision renforce la compétitivité de ce dernier (A) et clarifie utilement la frontière juridique qui le sépare du cabotage (B).
**A. Le renforcement de la compétitivité du transport combiné**
La solution retenue par la Cour a des implications économiques directes et positives pour la filière du transport combiné. En permettant au même transporteur non-résident d’effectuer l’intégralité des trajets routiers initiaux et terminaux, y compris à vide, elle simplifie l’organisation logistique et réduit les coûts. Comme le note la Cour en se référant aux conclusions de l’avocat général, une interprétation contraire « impliquerait des charges financières et administratives supplémentaires et serait dès lors de nature à rendre moins compétitif ledit transport combiné ». Cette décision favorise donc une meilleure efficacité opérationnelle pour les transporteurs spécialisés dans le transport multimodal.
Cette approche pragmatique permet de ne pas décourager les entreprises de recourir à des solutions plus respectueuses de l’environnement. Si chaque segment d’une opération logistique complexe était soumis à des régimes juridiques différents et contraignants, l’avantage compétitif du transport combiné s’en trouverait anéanti. La décision garantit ainsi que le cadre réglementaire soutient activement les objectifs politiques de report modal de la route vers le rail et la voie d’eau, plutôt que de créer des obstacles involontaires à leur réalisation.
**B. La clarification de la frontière entre transport combiné et cabotage**
Au-delà de ses conséquences économiques, l’arrêt présente une portée juridique significative en apportant une sécurité juridique bienvenue aux opérateurs. Le règlement n° 1072/2009 encadre strictement le cabotage, le définissant comme une activité temporaire et non continue. En revanche, la directive 92/106 vise à libéraliser complètement les trajets routiers qui s’inscrivent dans une chaîne de transport combiné. La distinction entre les deux régimes est donc fondamentale. Avant cette décision, une zone d’incertitude existait quant au statut des trajets à vide, exposant les transporteurs à des amendes et des contentieux.
En jugeant que le transport de conteneurs vides est indissociable du transport combiné, la Cour établit une ligne de partage claire. Un trajet routier effectué par un transporteur non-résident n’est pas un cabotage s’il peut être démontré qu’il constitue l’amorce ou le prolongement nécessaire d’un transport principal utilisant un autre mode. Cette clarification est essentielle pour que les transporteurs puissent planifier leurs opérations en toute connaissance du cadre juridique applicable. La décision met ainsi fin à une ambiguïté qui nuisait à la prévisibilité du droit et à l’attractivité du marché unique des transports.