Cour de justice de l’Union européenne, le 14 septembre 2023, n°C-821/21

Par un arrêt rendu sur question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé le régime de protection des consommateurs dans les litiges transfrontaliers. Un consommateur résidant au Royaume-Uni a conclu un contrat de jouissance de biens immobiliers à temps partagé avec une société établie au Royaume-Uni, agissant par l’intermédiaire de sa succursale en Espagne. Le contrat désignait le droit anglais et gallois comme applicable et attribuait une compétence exclusive aux juridictions d’Angleterre et du pays de Galles. Le consommateur a néanmoins saisi une juridiction espagnole d’une action en nullité du contrat, dirigée non seulement contre son cocontractant, mais également contre d’autres sociétés du même groupe. Saisie du litige, la juridiction espagnole a sursis à statuer et a interrogé la Cour de justice sur l’interprétation des dispositions pertinentes du règlement Bruxelles I bis concernant la compétence judiciaire et du règlement Rome I relatif à la loi applicable. Les questions posées visaient à clarifier, d’une part, les conditions de détermination du for compétent en matière de contrats de consommation et, d’autre part, les règles de détermination de la loi applicable à de tels contrats. La Cour de justice a retenu une interprétation stricte des textes, affirmant que la protection du consommateur ne saurait déroger aux objectifs de prévisibilité et de sécurité juridique. Elle a jugé que la notion de « l’autre partie au contrat » ne vise que le cocontractant effectif et que le choix de la loi applicable, pour être valable, doit informer le consommateur du maintien des dispositions impératives de la loi de sa résidence. Cette décision vient ainsi délimiter précisément le cadre juridique applicable aux litiges de consommation (I), tout en sécurisant le recours à la loi la plus protectrice pour le consommateur (II).

I. Une délimitation précise du cadre juridique applicable aux litiges de consommation

La Cour de justice apporte des clarifications essentielles sur les règles de compétence judiciaire en matière de contrats de consommation. Elle retient une acception restrictive de la notion de « cocontractant » (A) et rappelle le caractère autonome des critères de détermination du domicile du professionnel (B).

A. L’acception restrictive de la qualité de cocontractant

La juridiction de renvoi cherchait à savoir si l’action du consommateur pouvait être dirigée contre des entités appartenant au même groupe que son cocontractant, mais n’ayant pas signé le contrat litigieux. La Cour de justice répond par la négative, en s’appuyant sur une lecture littérale des textes. Elle énonce que l’article 18, paragraphe 1, du règlement Bruxelles I bis « doit être interprété en ce sens que l’expression “autre partie au contrat”, figurant à cette disposition, doit être comprise comme visant uniquement la personne, physique ou morale, partie au contrat en cause et non d’autres personnes, étrangères à ce contrat ». Cette solution, qui peut paraître rigoureuse, s’inscrit dans la lignée d’une jurisprudence constante visant à garantir un haut degré de prévisibilité en matière de compétence internationale. En effet, les règles de compétence spéciales en faveur des consommateurs dérogent au principe général de la compétence du tribunal du domicile du défendeur ; elles doivent donc faire l’objet d’une interprétation stricte. Permettre à un consommateur d’attraire devant le for de son choix des sociétés tierces au contrat, même économiquement liées au professionnel, créerait une insécurité juridique contraire aux objectifs du règlement. La protection de la partie faible ne peut justifier une extension des règles de compétence au-delà des hypothèses expressément prévues par le législateur de l’Union.

B. Le caractère autonome de la détermination du domicile du professionnel

La Cour se prononce également sur la détermination du domicile du professionnel, conditionnant l’une des options de compétence offertes au consommateur par l’article 18 du règlement Bruxelles I bis. Elle juge que la définition du domicile des personnes morales, telle qu’établie à l’article 63 du règlement, ne limite pas le choix du consommateur mais vise au contraire à le rendre effectif. Le juge européen rappelle que cet article 63 fournit une « définition autonome » qui s’impose au juge national et ne constitue pas une simple présomption. En vertu de cette disposition, le domicile d’une société peut être son siège statutaire, son administration centrale ou son principal établissement. Ces trois critères sont alternatifs et le consommateur peut se prévaloir de l’un d’eux pour fonder la compétence d’une juridiction. La Cour précise que les indications spécifiques relatives à certains États membres, comme le Royaume-Uni, constituent également des définitions autonomes et non des présomptions réfragables. En refusant de laisser la détermination du domicile à l’appréciation des faits de chaque espèce, la Cour renforce la prévisibilité des règles de compétence et assure une application uniforme du droit de l’Union, conformément aux objectifs du règlement Bruxelles I bis.

II. La sécurisation du recours à la loi protectrice du consommateur

Au-delà des questions de compétence, l’arrêt précise le régime de la loi applicable aux contrats de consommation. Il subordonne la validité des clauses d’élection de for à une exigence de transparence (A) et consacre le caractère impératif de la loi de la résidence habituelle du consommateur en l’absence de choix valable (B).

A. La validité conditionnée de la clause de choix de la loi applicable

Le règlement Rome I consacre la liberté des parties de choisir la loi applicable à leur contrat. Toutefois, cette autonomie de la volonté est encadrée pour les contrats de consommation. La Cour rappelle qu’une clause de choix de loi, insérée dans des conditions générales et n’ayant pas fait l’objet d’une négociation individuelle, doit respecter des exigences particulières pour être jugée valide. Se fondant sur l’article 6, paragraphe 2, du règlement, elle juge que le choix de la loi applicable « ne peut cependant avoir pour résultat de priver le consommateur de la protection que lui assurent les dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord en vertu de la loi qui aurait été applicable, en l’absence de choix ». Par conséquent, une telle clause n’est valide que si elle informe clairement le consommateur qu’il continue de bénéficier de la protection des dispositions impératives de la loi de sa résidence habituelle. En l’espèce, bien que la loi choisie coïncidait avec celle de la résidence du consommateur, la Cour souligne l’importance de cette obligation d’information, qui vise à éviter que le consommateur ne soit induit en erreur et dissuadé de faire valoir ses droits. La solution protège efficacement le consentement du consommateur, considéré comme la partie faible au contrat.

B. L’application impérative de la loi de la résidence habituelle

Enfin, la Cour clarifie les conséquences de l’invalidité d’une clause de choix de la loi. Lorsque les conditions de l’article 6, paragraphe 1, du règlement Rome I sont remplies, la loi applicable est celle du pays où le consommateur a sa résidence habituelle. Cette règle s’applique de manière objective et impérative. La Cour précise que cette disposition « peut être invoquée par les deux parties audit contrat, y compris le professionnel ». Elle ajoute que cette loi doit s’appliquer « nonobstant la circonstance que la loi applicable au même contrat conformément aux articles 3 et 4 de ce règlement est susceptible d’être plus favorable au consommateur ». Cette position réaffirme le caractère exhaustif du mécanisme de protection instauré par l’article 6. En désignant la loi de la résidence habituelle, le législateur a déjà opéré une mise en balance des intérêts en présence et a estimé que cette loi offrait une protection adéquate. Introduire une comparaison au cas par cas avec d’autres lois potentiellement applicables porterait atteinte à la prévisibilité de la loi applicable et à la sécurité juridique, principes fondamentaux du droit de l’Union. La protection du consommateur est donc assurée par une règle de conflit claire et prévisible, et non par une recherche de la solution la plus avantageuse au cas d’espèce.

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Hassan KOHEN
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