L’arrêt de la Grande Chambre de la Cour de justice de l’Union européenne rendu le 15 avril 2021 dans l’affaire C‑194/19 porte sur le règlement Dublin III. Un ressortissant étranger a contesté devant une juridiction nationale une décision ordonnant son transfert vers l’État membre initialement désigné comme responsable de sa demande d’asile. Le requérant invoquait l’arrivée postérieure de son frère sur le territoire national pour justifier un examen conjoint de leurs situations respectives par les autorités compétentes. Le Conseil du contentieux des étrangers a rejeté cet argument au motif que les faits invoqués étaient postérieurs à l’adoption de la décision administrative attaquée par le demandeur. Saisi d’un pourvoi, le Conseil d’État de Belgique a interrogé la Cour sur l’obligation de prendre en compte des éléments nouveaux pour garantir un recours juridictionnel effectif. La question posée visait à déterminer si le droit de l’Union s’oppose à une règle nationale limitant l’examen de légalité aux seuls éléments connus initialement. La Cour affirme que le juge doit pouvoir apprécier les circonstances postérieures à la décision lorsque celles-ci s’avèrent déterminantes pour la correcte application du règlement européen. L’analyse de cette solution impose d’étudier l’étendue du droit au recours effectif avant d’envisager les modalités d’adaptation laissées à l’appréciation des ordres juridiques nationaux.
I. La consécration d’un droit au recours incluant les faits postérieurs
A. L’étendue du contrôle juridictionnel en matière de transfert La Cour souligne que l’article 27 du règlement Dublin III garantit au demandeur un recours effectif portant sur l’examen de la situation de fait. Ce droit doit être lu à la lumière de l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux pour assurer une protection efficace des personnes concernées par le transfert. Le juge européen précise ainsi que « le recours qu’il prévoit contre une décision de transfert doit pouvoir porter tant sur le respect des règles attribuant la responsabilité ». Cette interprétation garantit une célérité de traitement sans sacrifier les droits procéduraux fondamentaux des ressortissants étrangers au sein de l’Union européenne. La définition de l’objet du recours commande alors d’en préciser les modalités d’exercice face à l’apparition d’éléments factuels nouveaux au cours de la procédure contentieuse.
B. L’obligation de prise en compte des éléments nouveaux déterminants L’arrêt rappelle que le demandeur doit bénéficier d’une voie de recours permettant de se prévaloir de circonstances postérieures à l’adoption de la décision de transfert. La Cour considère cette exigence nécessaire « lorsque la prise en compte de celles-ci est déterminante pour la correcte application dudit règlement » de l’Union européenne. Cette approche jurisprudentielle évite l’exécution de transferts qui seraient devenus contraires aux critères objectifs et équitables définis par le législateur européen lors de l’adoption du texte. Le droit au recours ne saurait donc rester figé au jour de l’acte administratif si l’évolution des faits modifie radicalement la situation juridique du requérant. L’obligation de prendre en compte ces éléments nouveaux doit néanmoins se concilier avec le principe d’autonomie procédurale dont disposent traditionnellement les États membres de l’Union.
II. L’encadrement de l’autonomie procédurale des États membres
A. La soumission des règles nationales au principe d’effectivité Le juge de l’Union rappelle qu’il appartient à chaque État membre de régler les modalités procédurales des recours en vertu du principe de l’autonomie. Ces règles ne doivent toutefois pas rendre « impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union » au profit des justiciables. Une législation nationale interdisant au juge de l’annulation de considérer des faits postérieurs n’assure pas une protection juridictionnelle suffisante pour le ressortissant étranger concerné. Le respect du principe d’effectivité impose un aménagement des procédures internes afin de permettre une appréciation globale et actuelle de la situation du demandeur de protection. La recherche d’une effectivité concrète conduit la Cour à proposer des alternatives procédurales capables de garantir les droits fondamentaux sans remettre en cause l’organisation juridictionnelle interne.
B. La possibilité d’une voie de recours spécifique alternative La Cour admet qu’une protection suffisante puisse être garantie par une voie de recours spécifique distincte du recours en annulation classique dirigé contre l’acte administratif initial. Cette procédure doit impérativement comporter « un examen ex nunc de la situation de la personne concernée, dont les résultats lient les autorités compétentes » de l’État. L’exercice de ce recours particulier ne peut être subordonné à l’imminence du transfert ou à une mesure privative de liberté imposée au ressortissant étranger en séjour. La solution finale concilie l’autonomie institutionnelle des États membres avec l’exigence impérieuse de garantir l’application uniforme et efficace du droit de l’Union européenne.