Par un arrêt récent, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à clarifier la distinction entre deux positions tarifaires relatives aux ouvrages en bois, apportant des précisions sur la notion de « bois profilé ».
En l’espèce, une société importatrice a sollicité l’émission d’un renseignement tarifaire contraignant pour des planches de bois d’ipé. Ces marchandises, rabotées sur leurs quatre faces, présentaient la particularité d’avoir leurs quatre coins arrondis sur toute leur longueur. L’administration douanière compétente a classé ces produits dans la sous-position 4407 29 83 de la nomenclature combinée, correspondant aux bois simplement rabotés. L’opérateur économique a contesté cette classification, soutenant que les planches devaient relever de la sous-position 4409 22 00, applicable aux bois profilés. Après le rejet de sa réclamation administrative, la société a saisi le tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles. Cette juridiction, confrontée à une difficulté d’interprétation du droit de l’Union, a décidé de surseoir à statuer et de poser deux questions préjudicielles à la Cour de justice.
Le problème de droit soumis à la Cour consistait à déterminer si des planches de bois, rabotées et dont les coins sont légèrement arrondis sur toute leur longueur, doivent être considérées comme « profilées » au sens de la position 4409 de la nomenclature combinée, ou si elles conservent le caractère de bois simplement rabotés relevant de la position 4407.
La Cour de justice répond que de telles marchandises ne sauraient être qualifiées de « profilées » et sont susceptibles de relever de la position 4407. Elle précise que « les planches de bois rabotées, dont les quatre coins ont été légèrement arrondis sur toute la longueur de la planche, ne doivent pas être considérées comme profilées ». Cette solution, qui repose sur une interprétation téléologique des critères de classement (I), vient renforcer la logique systémique de la nomenclature combinée et la prévalence des caractéristiques objectives des marchandises (II).
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**I. L’interprétation téléologique des critères de classement du bois profilé**
Pour distinguer le bois simplement raboté du bois profilé, la Cour de justice s’appuie sur une analyse finaliste de la notion de profilage, telle qu’elle ressort des notes explicatives. Elle combine une approche fonctionnelle (A) à une appréciation matérielle du degré de transformation du bois (B).
**A. La finalité d’assemblage ou de décoration comme critère déterminant du profilage**
La Cour rappelle que le classement tarifaire est déterminé légalement d’après les termes des positions et des notes de sections ou de chapitres. Elle se réfère aux notes explicatives du système harmonisé relatives à la position 4409, qui précisent que le profilage doit « soit faciliter un assemblage, soit permettre d’obtenir les moulures ou baguettes ». Or, en l’espèce, le renseignement tarifaire contraignant initial décrivait des planches dont les rives arrondies « ne facilitent aucunement l’assemblage ». L’opérateur économique n’a d’ailleurs jamais soutenu que l’arrondi des coins répondait à une telle fonction, ni qu’il visait à créer des moulures ou des baguettes décoratives.
En l’absence de cette finalité fonctionnelle, l’opération ne peut être qualifiée de profilage. La Cour en déduit logiquement que le simple arrondi ne suffit pas à faire basculer la marchandise dans la position 4409. Le raisonnement met ainsi en lumière que la nature d’une transformation du bois, au sens douanier, ne dépend pas uniquement de la technique employée mais avant tout du but objectif auquel cette transformation répond. Cette approche fonctionnelle offre un critère de distinction clair et objectif, essentiel à la sécurité juridique.
**B. Le caractère « léger » de l’arrondi comme indice d’une simple finition**
La Cour de justice affine son analyse en comparant les notes explicatives des deux positions concurrentes. Les notes relatives à la position 4407, portant sur les bois sciés ou rabotés, admettent expressément que cette position couvre les bois qui sont « légèrement arrondis ». À l’inverse, celles de la position 4409, qui décrivent les bois profilés, mentionnent « [l]es planches rabotées à bords arrondis » sans inclure l’adverbe « légèrement ». De cette différence textuelle, la Cour infère que le classement sous la position 4409 requiert un arrondi d’une importance supérieure, qui modifie substantiellement la section de la planche.
Or, les faits de l’espèce, tels que constatés par l’autorité douanière, font état de rives « légèrement arrondies » et d’une section « presque rectangulaire ». Cette faible ampleur de la transformation conforte l’idée qu’il ne s’agit pas d’un profilage modifiant le caractère essentiel du produit, mais d’une simple finition consécutive au rabotage. Le degré de l’arrondi devient ainsi un indice matériel permettant de corroborer l’absence de finalité d’assemblage ou de décoration. La solution adoptée est donc cohérente avec la structure même de la nomenclature, qui opère une graduation dans le niveau de complexité des ouvrages.
Au-delà de la clarification de la notion de profilage, cet arrêt est l’occasion pour la Cour de justice de rappeler avec force les principes directeurs qui gouvernent l’interprétation du droit douanier.
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**II. La confirmation des principes directeurs de l’interprétation tarifaire**
La décision réaffirme la prévalence des caractéristiques objectives des marchandises sur tout autre considération (A) et rappelle la nécessité d’une application uniforme du droit de l’Union en dépit des divergences linguistiques (B).
**A. La primauté des caractéristiques et propriétés objectives sur le processus de fabrication**
La Cour rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle « le critère décisif pour la classification tarifaire des marchandises doit être recherché, d’une manière générale, dans leurs caractéristiques et propriétés objectives ». En l’espèce, l’opérateur économique avait fait valoir que le processus de fabrication impliquait l’usage de couteaux spécifiques et que les profils pouvaient être adaptés à la demande des clients. La Cour écarte implicitement ces arguments en se concentrant sur le résultat final, à savoir une planche dont l’arrondi est léger et ne présente pas de fonction d’assemblage.
Ce faisant, elle confirme que ni l’intention du fabricant, ni la complexité du procédé de fabrication, ni même la destination commerciale du produit ne sauraient prévaloir sur les caractéristiques physiques et fonctionnelles de la marchandise au moment de son importation. Cette orthodoxie méthodologique est le gage de la prévisibilité du classement tarifaire et de la facilité des contrôles douaniers, qui doivent pouvoir s’appuyer sur des éléments matériellement observables sur le produit lui-même. La solution s’inscrit ainsi dans une logique de sécurité juridique et d’égalité de traitement entre les opérateurs économiques.
**B. L’harmonisation interprétative face aux divergences linguistiques de la nomenclature**
L’un des arguments soulevés était fondé sur une divergence entre les versions linguistiques de la position 4409, certaines versions, dont la néerlandaise, ne mentionnant pas le terme « arrondis ». La Cour balaie cette difficulté en appliquant sa méthode traditionnelle d’interprétation. Elle rappelle qu’en cas de divergence, la disposition doit être interprétée « en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément ». La nomenclature combinée étant fondée sur le système harmonisé, dont la position 4409 contient bien le terme « arrondis », une interprétation uniforme impose de le prendre en compte.
Toutefois, la Cour ne s’arrête pas à ce constat et précise que le terme « arrondis » figure dans une liste indicative d’exemples de profilage. Par conséquent, même un bois arrondi doit, pour relever de la position 4409, avoir fait l’objet d’un « profilage » au sens fonctionnel du terme. La divergence linguistique était donc, en tout état de cause, sans incidence sur la solution du litige. Cette approche démontre la robustesse des principes d’interprétation du droit de l’Union, qui permettent de dépasser les variations textuelles pour assurer une application cohérente et uniforme sur tout le territoire douanier.