Cour de justice de l’Union européenne, le 15 décembre 2005, n°C-66/02

Par un arrêt en date du 15 décembre 2005, la Cour de justice des Communautés européennes s’est prononcée sur la qualification d’avantages fiscaux en aides d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, du traité CE. En l’espèce, un État membre avait mis en place un ensemble de mesures fiscales dérogatoires destinées à accompagner la restructuration de son secteur bancaire. Ces mesures comprenaient notamment une réduction du taux de l’impôt sur le revenu pour les banques réalisant des opérations de fusion, la neutralité fiscale pour la rétrocession de certains actifs, ainsi que l’application d’une taxation forfaitaire pour ces mêmes opérations. La Commission, après avoir ouvert la procédure formelle d’examen, a adopté une décision déclarant que ce régime constituait une aide d’État incompatible avec le marché commun. Elle a par conséquent ordonné la suppression du régime et la récupération des aides octroyées. L’État membre concerné a alors formé un recours en annulation contre cette décision devant la Cour de justice, soutenant principalement que les mesures en cause ne remplissaient pas les conditions pour être qualifiées d’aides d’État. Il avançait qu’elles s’inscrivaient dans une réforme générale du système bancaire et ne présentaient pas un caractère sélectif. Subsidiairement, il plaidait pour leur compatibilité avec le marché commun au titre des dérogations prévues par le traité. Le problème de droit soumis à la Cour consistait donc à déterminer si des mesures fiscales dérogatoires, bien qu’inscrites dans le cadre d’une réforme structurelle d’un secteur économique national, pouvaient être qualifiées d’aides d’État incompatibles avec le marché commun dès lors qu’elles conféraient un avantage sélectif à certaines entreprises et étaient susceptibles d’affecter les échanges intracommunautaires. La Cour a rejeté le recours de l’État membre et a ainsi validé la décision de la Commission. Elle a jugé que les allégements fiscaux, en allégeant les charges qui normalement grèvent le budget d’une entreprise, constituaient bien des aides financées au moyen de ressources d’État. La Cour a également confirmé leur caractère sélectif et leur capacité à fausser la concurrence et à affecter les échanges dans un secteur bancaire largement libéralisé. Enfin, elle a estimé que la Commission n’avait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en refusant d’appliquer les dérogations pour compatibilité.

La solution retenue par la Cour confirme avec rigueur la qualification d’aide d’État pour des avantages fiscaux sectoriels (I), tout en validant l’interprétation restrictive des dérogations possibles à leur interdiction (II).

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I. La confirmation rigoureuse de la qualification d’aide d’État

La Cour de justice fonde sa décision sur une analyse classique des conditions posées par l’article 87, paragraphe 1, du traité CE. Elle retient d’une part que les avantages fiscaux accordés constituent une intervention de l’État de nature sélective (A) et d’autre part que ces mesures affectent nécessairement la concurrence et les échanges entre États membres (B).

A. Le caractère étatique et sélectif des avantages fiscaux

L’arrêt rappelle tout d’abord la jurisprudence constante selon laquelle la notion d’aide d’État est plus large que celle de subvention. Elle englobe les interventions qui allègent les charges normalement supportées par une entreprise. Une mesure fiscale qui place ses bénéficiaires dans une situation plus favorable que les autres contribuables constitue donc une aide. La Cour précise qu’« une mesure par laquelle les autorités publiques accordent à certaines entreprises une exonération fiscale qui, bien que ne comportant pas un transfert de ressources d’État, place les bénéficiaires dans une situation financière plus favorable que les autres contribuables, constitue une aide d’État au sens de l’article 87, paragraphe 1, ce ». En l’espèce, les réductions de taux, les exonérations ou encore les reports de paiement d’impôt constituaient indubitablement une renonciation à des recettes fiscales par l’État, ce qui équivaut à une intervention au moyen de ressources d’État.

Ensuite, la Cour examine le caractère sélectif des mesures. L’État requérant soutenait qu’elles s’inscrivaient dans une politique économique générale. La Cour rejette cet argument en constatant que les avantages ne s’appliquent qu’au secteur bancaire et, au sein de ce secteur, uniquement aux entreprises réalisant des opérations spécifiques de restructuration ou de fusion. Ces mesures dérogeaient au régime fiscal de droit commun sans être justifiées par la nature ou l’économie générale du système fiscal. Elles ne constituaient pas une adaptation du système à des spécificités propres au secteur bancaire, mais visaient explicitement à améliorer la compétitivité de certaines entreprises nationales. La Cour conclut donc à la sélectivité des aides, celles-ci favorisant « certaines entreprises ou certaines productions ».

B. L’effet sur la concurrence et les échanges entre États membres

Une fois l’avantage sélectif établi, la Cour se penche sur son impact potentiel sur le marché intérieur. Elle rappelle qu’il n’est pas nécessaire de démontrer un effet réel de l’aide sur la concurrence et les échanges, mais seulement de vérifier si elle est susceptible de les affecter. Or, dans un secteur économique ayant fait l’objet d’une libéralisation au niveau communautaire, toute aide est présumée avoir une telle incidence.

L’arrêt souligne que « lorsqu’une aide accordée par un État membre renforce la position d’une entreprise par rapport à d’autres entreprises concurrentes dans les échanges intracommunautaires, ces derniers doivent être considérés comme influencés par l’aide ». Dans le cas présent, le secteur des services financiers est caractérisé par une concurrence intense et une forte intégration européenne. Les allégements fiscaux accordés aux banques nationales étaient de nature à renforcer leur position concurrentielle. Cet avantage pouvait dissuader les entreprises d’autres États membres de pénétrer le marché national ou, inversement, permettre aux entreprises bénéficiaires de pénétrer plus facilement d’autres marchés européens. Par conséquent, les conditions d’affectation des échanges et de distorsion de la concurrence étaient remplies.

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II. Le rejet de l’application des dérogations pour compatibilité

Après avoir confirmé la qualification d’aide d’État, la Cour examine les arguments subsidiaires de l’État membre relatifs à une possible compatibilité des mesures avec le marché commun. Elle confirme l’analyse de la Commission en retenant une interprétation stricte de la notion de projet d’intérêt européen commun (A) et en validant l’appréciation restrictive de la Commission quant à la contribution de l’aide au développement d’une activité économique (B).

A. L’interprétation stricte de la notion de projet d’intérêt européen commun

L’État requérant faisait valoir que la réforme du secteur bancaire, visant à finaliser sa privatisation, constituait un projet important d’intérêt européen commun au sens de l’article 87, paragraphe 3, sous b), du traité CE. La Cour rejette cette argumentation en rappelant le large pouvoir d’appréciation dont dispose la Commission en la matière. Le contrôle juridictionnel se limite à vérifier l’absence d’erreur manifeste d’appréciation.

La Cour estime que la Commission n’a pas commis une telle erreur en considérant que les mesures litigieuses avantageaient principalement les opérateurs économiques d’un seul État membre et non la Communauté dans son ensemble. Un processus de privatisation engagé par un État ne peut être considéré, en soi, comme un projet d’intérêt européen commun. Les motifs de la loi nationale indiquaient d’ailleurs que l’objectif était de renforcer la position concurrentielle du système bancaire national face à ses concurrents européens. En conséquence, la dérogation prévue pour les projets d’intérêt européen commun ne pouvait être appliquée, son but étant de promouvoir des initiatives transnationales bénéficiant à la Communauté dans son ensemble.

B. L’appréciation limitée de la compatibilité de l’aide au développement d’une activité

Enfin, l’arrêt se prononce sur la dérogation prévue à l’article 87, paragraphe 3, sous c), du traité, relative aux aides destinées à faciliter le développement de certaines activités économiques. La Cour relève que pour être compatible, une aide ne doit pas « altérer les conditions des échanges dans une mesure contraire à l’intérêt commun ». Or, la Commission avait jugé que cette condition n’était pas remplie.

La Cour valide ce raisonnement, en soulignant que les mesures en cause avaient pour effet principal d’améliorer la compétitivité des bénéficiaires dans un secteur où la concurrence est déjà forte. Plutôt que de faciliter le développement de l’activité bancaire en général, les aides étaient conçues pour renforcer la position de certaines banques par rapport à leurs concurrentes. Là encore, la Cour constate que l’analyse de la Commission ne procède pas d’une erreur manifeste d’appréciation. Elle réaffirme ainsi que le large pouvoir d’appréciation de la Commission dans l’examen de la compatibilité des aides implique une évaluation complexe des aspects économiques et sociaux, que le juge ne saurait substituer par sa propre appréciation, sauf en cas de vice manifeste.

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