La Cour de justice de l’Union européenne, par un arrêt du 15 décembre 2011, précise l’application des règles de conflit de lois relatives au contrat de travail. Cette décision interprète l’article 6 de la convention de Rome du 19 juin 1980 afin de sécuriser la détermination de la loi applicable au salarié.
Un chef mécanicien résidant aux Pays-Bas conclut un contrat de travail avec une société luxembourgeoise par l’intermédiaire d’une entreprise établie à Anvers. Le salarié accomplit ses missions sur des navires circulant en mer du Nord avant d’être licencié par son employeur en avril de l’année 2002.
Le requérant saisit l’arbeidsrechtbank te Antwerpen le 4 avril 2003 pour obtenir le paiement d’indemnités de rupture sur le fondement de la législation belge. Par un jugement du 12 novembre 2004, cette juridiction se déclare incompétente territorialement pour statuer sur l’action engagée contre la société établie au Luxembourg.
L’arbeidshof te Antwerpen, saisie en appel, juge que le droit luxembourgeois s’applique au contrat conformément au critère subsidiaire de l’établissement ayant procédé à l’embauche. Le salarié forme alors un pourvoi devant le Hof van Cassatie de Belgique le 7 juin 2010 en invoquant une violation des règles de rattachement.
La juridiction suprême belge sursoit à statuer pour interroger la Cour sur la hiérarchie des critères de l’article 6 et la définition de l’établissement d’embauche. Les juges européens doivent déterminer si le lieu d’exécution effective du travail prime sur le siège social mentionné dans l’acte contractuel de recrutement.
La Cour affirme que « l’intention du législateur était d’établir une hiérarchie entre les critères à prendre en compte pour la détermination de la loi applicable ». Elle privilégie systématiquement le lieu d’exercice habituel de l’activité professionnelle pour garantir une protection optimale à la partie faible au contrat.
I. La primauté hiérarchique du lieu d’accomplissement habituel du travail
A. L’interprétation extensive du critère de rattachement principal
La Cour rappelle que le critère du pays où le travailleur accomplit habituellement son travail doit faire l’objet d’une interprétation particulièrement large et protectrice. Cette priorité vise à soumettre la relation de travail à la loi de l’environnement social et professionnel dans lequel le salarié s’insère quotidiennement.
Le juge national doit rechercher l’État avec lequel l’activité présente un rattachement significatif, même lorsque les missions s’exécutent sur plusieurs territoires nationaux distincts. Pour le secteur maritime, il convient de localiser le lieu à partir duquel le travailleur organise ses missions et reçoit les instructions de sa hiérarchie.
Le lieu de l’occupation effective constitue l’élément déterminant permettant d’identifier le centre de gravité de la relation contractuelle liant les parties en présence. « Le critère du lieu où le travailleur accomplit habituellement son travail s’applique en priorité » afin d’exclure autant que possible les critères purement formels.
B. La subsidiarité rigoureuse de l’établissement d’embauche
L’application de la loi du pays de l’établissement ayant embauché le salarié ne peut intervenir que si le lieu habituel de travail reste indéterminable. Ce critère résiduel impose une lecture stricte pour assurer la prévisibilité juridique nécessaire aux cocontractants lors de la signature de l’engagement initial.
La Cour souligne que les modalités de l’exécution effective des missions n’ont aucune incidence sur la définition de l’établissement d’embauche au sens conventionnel. Ce rattachement subsidiaire concerne exclusivement la phase de conclusion du contrat ou la naissance factuelle de la relation de travail entre les intéressés.
L’analyse systématique de la convention de Rome impose d’ignorer le critère de l’établissement dès lors qu’un centre d’activités habituel peut être localisé géographiquement. Cette hiérarchie stricte empêche l’employeur d’imposer une loi étrangère moins protectrice en utilisant simplement une structure de recrutement située hors du lieu d’exécution.
II. La caractérisation autonome de l’établissement d’embauche
A. L’indifférence des formes juridiques et des modalités d’exécution
La notion d’établissement de l’employeur ne dépend pas de critères formels rigides comme la possession d’une personnalité juridique propre au regard du droit national. Le terme désigne toute structure stable de l’entreprise, incluant les succursales, les bureaux ou les représentations permanentes agissant pour le compte de la société.
La simple présence passagère d’un agent de recrutement dans un État membre ne suffit pas à constituer un établissement au sens de la règle européenne. Une stabilité minimale demeure exigée pour que le rattachement au pays de l’embauche produise ses effets juridiques sur la loi régissant le contrat.
La Cour précise que « la possession de la personnalité juridique ne constitue pas une exigence à laquelle l’établissement de l’employeur doit répondre » impérativement. Cette approche matérielle privilégie la structure organisationnelle réelle de l’entreprise sur les dénominations purement administratives ou les statuts sociaux déposés au registre.
B. La prévalence de la réalité matérielle sur les stipulations contractuelles
Le juge doit écarter les termes du contrat lorsqu’une situation réelle différente ressort des éléments objectifs et vérifiables soumis à son appréciation souveraine. Une entreprise tierce liée à l’employeur peut ainsi être qualifiée d’établissement d’embauche si elle a agi pour le compte de ce dernier.
L’absence de transfert formel du pouvoir de direction ne constitue pas un obstacle insurmontable pour reconnaître la qualité d’employeur à une entité distincte. La juridiction de renvoi doit examiner la localisation réelle de l’établissement qui a publié l’avis de recrutement et mené les entretiens préalables.
Cette solution garantit que « des éléments objectifs permettent d’établir l’existence d’une situation réelle qui différerait de celle qui ressort des termes du contrat ». La protection du travailleur repose ainsi sur la recherche d’une vérité factuelle s’opposant aux montages juridiques destinés à contourner les lois impératives.