L’arrêt soumis à commentaire, rendu par la Cour de justice de l’Union européenne, porte sur l’interprétation d’une notion clé dans le cadre de la réglementation environnementale applicable aux élevages intensifs. Un exploitant d’une installation porcine s’est vu notifier une mise en demeure par l’autorité nationale compétente, lui ordonnant de réduire la capacité de son exploitation. Il était reproché à cet exploitant de dépasser le seuil de 750 emplacements pour truies, ce qui déclenchait l’obligation d’obtenir une autorisation spécifique au titre de la directive 96/61/CE relative à la prévention et à la réduction intégrées de la pollution. L’exploitant contestait cette analyse, arguant que son cheptel était majoritairement composé de « cochettes », c’est-à-dire de porcs femelles n’ayant pas encore mis bas, qu’il distinguait des « truies » au sens strict. Le litige portait donc sur la qualification de ces animaux et, par conséquent, sur l’assujettissement de l’installation au régime d’autorisation. Saisie du litige, la juridiction nationale a sursis à statuer afin de poser à la Cour de justice une question préjudicielle. Il s’agissait de déterminer si l’expression « emplacements pour truies », telle qu’elle figure à l’annexe I de la directive 96/61, devait être interprétée comme englobant également les emplacements destinés aux cochettes. À cette question, la Cour répond par l’affirmative, considérant que la finalité de la directive impose une lecture large de la notion, incluant les porcs femelles déjà saillies mais n’ayant pas encore mis bas.
La solution retenue par la Cour repose sur une interprétation téléologique de la notion d’« emplacement pour truies » (I), ce qui conduit à consacrer une approche fondée sur l’impact environnemental réel des activités d’élevage (II).
I. Une interprétation téléologique extensive de la notion d’« emplacement pour truies »
Pour définir le champ d’application du régime d’autorisation, la Cour de justice écarte une lecture littérale qui se serait appuyée sur d’autres textes de l’Union (A) pour privilégier une interprétation fondée sur l’objectif même de la directive, à savoir la protection de l’environnement (B).
A. Le rejet d’une lecture littérale et inter-directive
Face au silence de la directive 96/61 sur la définition de la « truie », il pouvait être tentant de se référer à d’autres actes du droit de l’Union, notamment ceux relatifs au bien-être animal. La directive 91/630, par exemple, opère une distinction claire entre la truie, femelle ayant déjà mis bas, et la cochette. Toutefois, la Cour écarte fermement cette approche par analogie. Elle rappelle que les définitions contenues dans la directive 91/630 sont données « [a]ux fins » de cette directive et lui sont donc spécifiques. Le juge européen souligne ainsi l’autonomie des notions juridiques en fonction du contexte réglementaire dans lequel elles s’insèrent.
Le fait que les deux directives poursuivent des objectifs manifestement différents est déterminant. L’une vise à établir des normes minimales pour le bien-être des porcs, tandis que l’autre a pour objet « la prévention et la réduction intégrées des pollutions ». En conséquence, la Cour juge que les dispositions de la directive 91/630 « ne sauraient être utilisées pour l’interprétation qu’il convient de donner à la notion de ‘truie’, figurant au point 6.6, sous c), de l’annexe I de la directive 96/61 ». Cette clarification méthodologique empêche qu’une distinction zootechnique, pertinente pour le bien-être animal, ne vienne réduire la portée d’une législation environnementale.
B. La primauté de l’objectif environnemental de la directive
Ayant écarté une définition exogène, la Cour se tourne vers la finalité de la directive 96/61 pour interpréter la notion litigieuse. Elle rappelle avec force que l’objet de ce texte est « d’atteindre un niveau élevé de protection de l’environnement considéré dans son ensemble ». Cet objectif large et ambitieux commande, selon la Cour, d’éviter toute interprétation restrictive des catégories d’installations visées par le régime d’autorisation. Une lecture qui exclurait les cochettes du décompte irait à l’encontre de cet impératif de protection.
Cette interprétation est renforcée par une analyse concrète de l’impact environnemental. La Cour relève qu’un « porc femelle qui a fait l’objet d’une première saillie est à l’origine d’une pollution qui a la même incidence sur l’environnement que celle générée par une truie qui a déjà mis bas ». Dès lors que l’objectif est de maîtriser la pollution, il devient illogique de traiter différemment des animaux qui présentent un potentiel polluant similaire. La Cour ancre ainsi son raisonnement dans une logique matérielle, où la nature de l’activité et ses effets priment sur des distinctions formelles. La finalité de protection environnementale justifie d’assimiler, aux fins de cette directive, la cochette à la truie.
II. La consécration d’une approche fondée sur l’impact environnemental réel
En liant la définition de la « truie » à sa fonction dans le cycle de production et à son impact polluant, la Cour précise les conditions d’application du régime d’autorisation (A) et clarifie la portée d’une jurisprudence antérieure relative aux méthodes de calcul des seuils (B).
A. L’incidence de la solution sur le champ d’application des autorisations
L’interprétation de la Cour a une conséquence directe et significative sur le périmètre des installations soumises à autorisation. En incluant les cochettes dans le calcul du seuil de 750 emplacements, elle élargit de fait le champ d’application de la directive 96/61. Le raisonnement repose sur la distinction opérée par l’annexe I de la directive entre les « porcs de production » et les « truies ». La Cour considère qu’une fois saillie, une femelle n’est plus destinée à l’engraissement mais à la reproduction. Elle bascule ainsi dans la catégorie des « truies » au sens de la directive, car elle « rentre, par la nature des choses, dans la catégorie des porcs femelles destinés à la reproduction ».
Cette approche fonctionnelle assure la pleine effectivité du dispositif. Elle empêche que des élevages d’une taille conséquente, spécialisés dans le renouvellement des cheptels reproducteurs, puissent échapper au régime d’autorisation en jouant sur la qualification des animaux. La solution garantit ainsi que toute installation d’élevage de porcs femelles reproductrices d’une certaine dimension soit soumise à un contrôle environnemental intégré, conformément à l’esprit de la directive. La Cour assure la cohérence du système en alignant la qualification juridique sur la réalité biologique et économique de l’activité d’élevage.
B. La clarification de la méthode des « animaux-équivalents »
L’arrêt offre également à la Cour l’opportunité de préciser sa jurisprudence antérieure, notamment l’arrêt *Association nationale pour la protection des eaux et rivières*. L’exploitant soutenait que la prise en compte de la pollution réelle s’apparentait à la méthode des « animaux-équivalents », que la Cour aurait précédemment rejetée. La juridiction nuance cette affirmation. Elle rappelle que dans son arrêt antérieur, elle n’a pas formellement interdit une telle méthode, mais a posé des conditions strictes à son utilisation. Elle a surtout jugé que cette méthode ne saurait « avoir pour effet de soustraire au régime institué par cette directive des installations qui relèvent de celle-ci eu égard au nombre d’emplacements qu’elles totalisent ».
Dans le cas présent, l’analyse est différente. Il ne s’agit pas d’utiliser une méthode de calcul pour passer sous les seuils, mais d’utiliser un critère de pollution équivalente pour interpréter la portée même d’un seuil. En confirmant que la pollution générée par l’activité « revêt une pertinence certaine » pour interpréter les catégories de l’annexe, la Cour légitime une approche matérielle. Elle admet que le potentiel polluant est un guide d’interprétation valide pour définir les notions de la directive, à condition que cela serve son objectif de protection élevée de l’environnement et non à le contourner. L’arrêt consolide ainsi une vision pragmatique où l’effectivité de la norme environnementale prime sur les qualifications formelles.