Par un arrêt en date du 15 décembre 2016, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé l’étendue des pouvoirs du représentant chargé du règlement des sinistres en matière d’assurance automobile obligatoire. En l’espèce, des ressortissants portugais ont été victimes d’un accident de la circulation survenu en Espagne, impliquant un véhicule assuré par une compagnie établie dans ce même État. Les victimes et leurs ayants droit ont engagé une action en indemnisation au Portugal, en assignant directement le représentant local de l’assureur étranger, désigné conformément à la législation de l’Union.
Le tribunal de première instance portugais a rejeté leur demande, considérant que le représentant désigné n’avait pas la qualité pour être défendeur à l’action. Les demandeurs ont alors interjeté appel de cette décision. La cour d’appel de Porto, saisie du litige, a décidé de surseoir à statuer afin de poser à la Cour de justice une question préjudicielle. Il s’agissait de déterminer si l’article 4 de la directive 2000/26/CE devait être interprété en ce sens qu’il impose aux États membres de prévoir que le représentant chargé du règlement des sinistres puisse être assigné en justice, en lieu et place de l’entreprise d’assurance qu’il représente. La Cour a répondu par la négative, considérant que le rôle de ce représentant est encadré par des missions spécifiques qui n’incluent pas la capacité processuelle passive.
La Cour fonde sa solution sur une interprétation stricte des missions du représentant (I), tout en préservant l’objectif de protection des victimes par d’autres voies (II).
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I. LA CONFIRMATION D’UN MANDAT DE REPRÉSENTATION LIMITÉ
La Cour de justice délimite précisément le rôle du représentant chargé du règlement des sinistres en se fondant sur une interprétation littérale de ses fonctions (A), ce qui la conduit à opérer une distinction nette entre la représentation de l’assureur et la capacité à être partie à une procédure judiciaire (B).
A. Une interprétation littérale des fonctions du représentant
La Cour procède à une analyse méthodique des dispositions de l’article 4 de la directive 2000/26. Elle relève que le paragraphe 4 de cet article dispose que « le représentant chargé du règlement des sinistres réunit, à propos de tels sinistres, toutes les informations nécessaires en relation avec le règlement des sinistres et prend les mesures nécessaires pour négocier le règlement des sinistres ». Ces termes cantonnent manifestement le rôle du représentant à une phase précontentieuse de négociation. La Cour souligne que ces dispositions ne font aucune référence à une éventuelle procédure juridictionnelle.
De même, le paragraphe 5 de l’article 4, bien qu’il prévoie que le représentant « dispose de pouvoirs suffisants pour représenter l’entreprise d’assurance auprès des personnes lésées […] et pour satisfaire intégralement leurs demandes d’indemnisation », ne saurait être interprété comme lui conférant la qualité pour être assigné. La Cour estime que cette disposition vise à garantir l’effectivité de la procédure amiable, en s’assurant que le représentant ne soit pas un simple intermédiaire sans pouvoir décisionnel, mais elle n’étend pas ses prérogatives au-delà de ce cadre. La solution est logique, car l’action en justice ne vise pas à obtenir une satisfaction de la part du représentant lui-même, mais bien de l’assureur qui est le débiteur de l’obligation d’indemnisation.
B. La distinction entre représentation et capacité processuelle passive
L’apport essentiel de l’arrêt réside dans la clarification de la nature des pouvoirs du représentant. La Cour reconnaît que celui-ci a une mission de représentation, mais elle en précise les contours. En s’appuyant sur le considérant 15 de la directive, elle rappelle que le représentant doit pouvoir « représenter l’entreprise d’assurance auprès des autorités nationales – y compris, le cas échéant, devant les juridictions ». Toutefois, cette capacité à agir devant une juridiction ne signifie pas qu’il puisse être lui-même attrait en justice comme défendeur.
La Cour confirme sa jurisprudence antérieure, notamment l’arrêt *Spedition Welter*, en indiquant que parmi les « pouvoirs suffisants » du représentant figure le mandat de recevoir des notifications d’actes judiciaires. Ainsi, la victime peut valablement notifier son assignation au représentant, ce qui facilite grandement ses démarches en lui évitant les formalités complexes d’une notification transfrontalière. Cependant, cette facilité procédurale ne modifie pas la substance du droit processuel : le destinataire de l’acte est bien l’assureur, et c’est ce dernier qui doit être désigné comme partie défenderesse dans l’acte introductif d’instance. La Cour refuse ainsi d’assimiler un mandat de représentation, même étendu à la réception d’actes, à la capacité d’être partie à un procès.
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Si la solution clarifie le statut du représentant, elle réaffirme également les droits garantis aux personnes lésées par d’autres mécanismes, préservant ainsi l’équilibre souhaité par le législateur de l’Union.
II. LA PRÉSERVATION DE L’ÉQUILIBRE ENTRE PROTECTION DES VICTIMES ET SÉCURITÉ JURIDIQUE
En refusant de faire du représentant un défendeur potentiel, la Cour ne diminue pas le niveau de protection des victimes, car elle rappelle l’existence du droit d’action directe contre l’assureur (A). Cette interprétation rigoureuse permet en outre d’éviter de créer une compétence juridictionnelle non expressément prévue par les textes, garantissant ainsi la sécurité juridique (B).
A. Le maintien du droit d’action directe contre l’assureur
La Cour prend soin de souligner que sa décision ne prive nullement la victime de ses droits. Le mécanisme central de protection demeure l’article 3 de la directive 2000/26, qui instaure « un droit d’action directe à l’encontre de l’entreprise d’assurance couvrant la responsabilité civile de la personne responsable ». Ce droit est complété par les règles de compétence judiciaire prévues par le droit de l’Union, notamment le règlement n° 44/2001 (aujourd’hui règlement n° 1215/2012), qui permet à la victime d’assigner l’assureur devant les tribunaux de son propre domicile.
En conséquence, la victime n’est pas contrainte d’agir à l’étranger. Elle peut intenter son action dans son État de résidence, dans sa langue et selon des procédures qui lui sont familières. La désignation du représentant vient simplement faciliter cette action en fournissant un point de contact local pour la phase amiable et pour la notification des actes judiciaires. La Cour estime donc que l’objectif de la directive, qui est de garantir aux victimes « un traitement comparable quel que soit l’endroit de la Communauté européenne où l’accident s’est produit », est atteint sans qu’il soit nécessaire de conférer au représentant la qualité pour défendre à l’action.
B. Le refus de créer une compétence juridictionnelle non prévue par les textes
La décision de la Cour s’explique également par sa volonté de ne pas outrepasser l’intention du législateur. Elle se réfère explicitement aux considérants 13 et 16 de la directive, qui précisent que le recours à un représentant « n’influe en aucune manière sur le droit matériel applicable […] ni sur les compétences juridictionnelles ». Admettre que le représentant puisse être assigné reviendrait à créer une nouvelle règle de compétence implicite, fondée sur le lieu d’établissement de ce dernier. Or, la Cour se montre traditionnellement prudente quant à l’extension des chefs de compétence juridictionnelle, qui doivent reposer sur des textes clairs.
En refusant d’interpréter l’article 4 de manière extensive, la Cour garantit la prévisibilité et la sécurité juridique pour les entreprises d’assurance. Celles-ci savent qu’elles peuvent être attraites en justice dans l’État de résidence de la victime, mais elles n’ont pas à craindre que leurs représentants locaux, dont le rôle est avant tout administratif et de négociation, soient transformés en succursales déguisées ou en défendeurs de plein droit. La solution maintient ainsi un équilibre entre la facilitation des recours pour les victimes et le respect des règles établies de compétence internationale.