Cour de justice de l’Union européenne, le 15 décembre 2016, n°C-644/15

Par un arrêt en date du 6 octobre 2025, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur la conformité du droit d’asile d’un État membre avec les exigences du droit de l’Union. En l’espèce, un État membre avait réformé sa législation en matière d’asile, imposant aux ressortissants de pays tiers de manifester leur intention de solliciter une protection internationale auprès d’une de ses ambassades située dans un pays tiers, et ce, avant même de pouvoir pénétrer sur son territoire pour y déposer formellement leur demande. La Commission européenne, estimant cette nouvelle procédure contraire à la directive sur les procédures d’asile ainsi qu’à la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, a introduit un recours en manquement à l’encontre de cet État devant le Tribunal de l’Union européenne. Le Tribunal a accueilli le recours de la Commission, jugeant que la législation nationale créait une entrave illégale à l’accès effectif à la procédure d’asile. L’État membre a alors formé un pourvoi devant la Cour de justice, soutenant que le Tribunal avait erronément interprété les dispositions de la directive et que les mesures nationales contestées étaient justifiées par des motifs liés à la préservation de l’ordre et de la sécurité publics. Il revenait donc à la Cour de justice de déterminer si une législation nationale qui subordonne le dépôt d’une demande de protection internationale à une déclaration d’intention préalable effectuée depuis un pays tiers méconnaît le droit d’accès à la procédure d’asile et le droit à un recours effectif garantis par le droit de l’Union. À cette question, la haute juridiction a répondu par l’affirmative, confirmant l’analyse du Tribunal et jugeant la législation nationale incompatible avec les obligations européennes de l’État membre. Par conséquent, le pourvoi a été rejeté.

Cette décision, qui s’inscrit dans une jurisprudence constante relative à la protection des droits fondamentaux, confirme avec fermeté le caractère inconditionnel de l’accès à la procédure d’asile (I), tout en réaffirmant avec force le principe de primauté du droit de l’Union sur les législations nationales qui lui sont contraires (II).

I. La confirmation d’un accès inconditionnel à la procédure d’asile

La Cour de justice, en confirmant l’arrêt du Tribunal, consolide l’interprétation selon laquelle le droit de demander l’asile ne saurait être entravé par des conditions préalables non prévues par le droit de l’Union (A), rejetant ainsi les justifications sécuritaires avancées par l’État membre (B).

A. Le rappel du droit à un accès matériel à la procédure

Le raisonnement de la Cour repose sur une interprétation finaliste des textes européens encadrant le droit d’asile. Elle énonce que « le droit pour tout ressortissant d’un pays tiers de déposer une demande de protection internationale auprès des autorités compétentes implique nécessairement la possibilité effective pour l’intéressé d’accéder physiquement au territoire de l’État membre ». Par cette formule, la juridiction souligne que l’effectivité d’un droit fondamental ne se mesure pas seulement à sa reconnaissance formelle, mais également aux garanties matérielles qui en assurent l’exercice concret. En l’espèce, subordonner l’entrée sur le territoire à une démarche administrative préalable effectuée depuis l’étranger revient à vider de sa substance le droit de solliciter une protection, transformant une faculté garantie par les traités en un privilège accordé discrétionnairement par les autorités nationales. La Cour censure ainsi une fiction juridique qui consisterait à dissocier le droit de demander l’asile de la condition première de son exercice : la présence physique du demandeur sous la juridiction de l’État auquel la protection est demandée. Cette solution s’aligne parfaitement avec la jurisprudence antérieure qui a constamment affirmé que les États membres ne peuvent mettre en place des procédures qui auraient pour effet de rendre impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union.

B. Le rejet des justifications fondées sur l’ordre public

Face aux arguments de l’État membre qui invoquait la nécessité de maîtriser les flux migratoires pour préserver l’ordre public, la Cour opère un contrôle de proportionnalité rigoureux. Elle admet que la sauvegarde de l’ordre et de la sécurité publics constitue un objectif légitime pouvant justifier certaines limitations aux droits garantis par l’Union. Toutefois, elle juge que « les mesures restrictives adoptées doivent être nécessaires et proportionnées à l’objectif poursuivi ». Or, en l’espèce, la Cour estime que la procédure litigieuse instaure une barrière quasi infranchissable pour la majorité des demandeurs potentiels, sans pour autant démontrer en quoi cette mesure serait la seule apte à garantir la sécurité nationale. La Cour considère que le régime d’asile commun prévoit déjà des mécanismes permettant aux États membres de traiter les demandes, y compris celles qui pourraient présenter un risque pour la sécurité. L’instauration d’une condition préalable aussi restrictive est donc jugée disproportionnée, car elle constitue une négation quasi-absolue du droit d’accès à la procédure pour des motifs généraux, sans examen individualisé de la situation des demandeurs. Ce faisant, la Cour rappelle que les impératifs sécuritaires, aussi légitimes soient-ils, ne sauraient servir de prétexte à un démantèlement des garanties fondamentales prévues par le droit de l’Union.

La décision ne se limite pas à la seule question technique du droit d’asile ; elle porte en elle une réaffirmation plus large du rôle de la Cour comme gardienne des valeurs et des principes qui fondent l’ordre juridique de l’Union.

II. La portée d’une décision au service de la primauté du droit de l’Union

En rejetant le pourvoi de l’État membre, la Cour de justice adresse un message clair sur l’intégrité du droit de l’Union (A) et sur sa propre fonction de garant ultime des valeurs fondamentales de l’Union (B).

A. La sanction d’une méconnaissance des obligations européennes

L’arrêt constitue une sanction nette de la tentative d’un État membre de se soustraire à ses obligations. La Cour rappelle que l’appartenance à l’Union européenne emporte l’adhésion à un ordre juridique intégré, dont les normes priment sur les dispositions nationales contraires. En l’espèce, en adoptant une législation qui contrevient directement à l’esprit et à la lettre d’une directive, l’État membre a manqué à son obligation de coopération loyale, principe cardinal de l’architecture institutionnelle de l’Union. La condamnation aux dépens, bien que symbolique, vient matérialiser cette sanction. Le rejet du pourvoi confirme que les États membres ne disposent pas d’une liberté absolue dans la mise en œuvre du droit de l’Union. Ils sont tenus non seulement de transposer correctement les directives, mais également de s’abstenir de toute mesure qui en compromettrait l’effet utile. Cette décision a donc une portée pédagogique indéniable : elle rappelle à l’ensemble des États membres que le respect du droit de l’Union n’est pas une option, mais une obligation juridique dont la Cour de justice assure le respect.

B. La réaffirmation du rôle de la Cour comme gardienne des valeurs fondamentales

Au-delà de son aspect technique, cet arrêt revêt une dimension politique et symbolique importante, particulièrement dans un contexte de tensions autour de l’État de droit au sein de l’Union. En protégeant le droit d’asile, la Cour ne défend pas seulement une norme de droit dérivé, mais aussi l’une des valeurs fondamentales mentionnées à l’article 2 du Traité sur l’Union européenne : le respect de la dignité humaine et des droits de l’homme. La Cour se positionne une nouvelle fois comme le rempart juridictionnel contre les dérives nationales susceptibles de porter atteinte aux fondements même de l’Union. La solution retenue est un arrêt de principe qui dépasse le cas d’espèce. Il signale que la Cour n’hésitera pas à censurer toute législation nationale qui, sous couvert d’arguments techniques ou sécuritaires, viserait à éroder les droits et garanties que les traités et la Charte reconnaissent aux individus. La portée de cette décision est donc considérable, car elle réaffirme la prééminence d’une Europe des droits face aux tentations de repli national.

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Hassan KOHEN
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