Par un arrêt en date du 15 décembre 2016, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les contours de la notion de système de promotion pyramidale, telle qu’elle est définie par la directive 2005/29/CE relative aux pratiques commerciales déloyales. Cette décision intervient dans le cadre d’un renvoi préjudiciel initié par une juridiction belge, confrontée à la qualification juridique d’un système de participation collective à des jeux de loterie.
En l’espèce, une société organisait un système permettant à des consommateurs de mutualiser leurs mises pour participer aux tirages d’une loterie nationale, augmentant ainsi leurs chances de gain. L’adhésion à ce système nécessitait le versement d’une participation initiale, suivie de contributions mensuelles. La structure du système était pyramidale, chaque groupe de joueurs formant une pyramide à plusieurs niveaux, au sommet de laquelle se trouvait l’organisateur. La répartition des gains favorisait les niveaux supérieurs, incitant ainsi les participants à recruter de nouveaux membres pour progresser dans la hiérarchie et améliorer leur espérance de gain.
Saisie par l’opérateur de la loterie nationale, la juridiction de première instance, le tribunal de commerce d’Anvers, par un jugement du 7 octobre 2014, avait qualifié cette pratique de trompeuse, mais avait refusé de la considérer comme un système de promotion pyramidale. Les juges du fond estimaient qu’il n’était pas établi que la contrepartie promise aux membres existants provenait « essentiellement » des participations financières des nouveaux adhérents. Saisie en appel de cette décision, la cour d’appel d’Anvers a sursis à statuer afin de demander à la Cour de justice si l’existence d’un système pyramidal prohibé supposait un lien financier direct entre les contributions des nouveaux membres et la rémunération des anciens, ou si un lien indirect pouvait suffire.
La question posée à la Cour était donc de savoir si la qualification de système de promotion pyramidale, au sens de l’annexe I, point 14, de la directive 2005/29, exigeait que la contrepartie perçue par un consommateur provienne directement des participations versées par les nouveaux entrants, ou si la qualification pouvait être retenue en présence d’un mécanisme où ce financement, bien qu’essentiel, n’est qu’indirect.
À cette question, la Cour de justice répond que l’existence d’un lien financier indirect suffit. Elle juge que l’annexe I, point 14, de la directive 2005/29 « doit être interprétée en ce sens que cette disposition permet de qualifier une pratique commerciale de “système de promotion pyramidale” même dans l’hypothèse où il n’existe qu’un lien indirect entre les participations versées par de nouveaux adhérents à un tel système et les contreparties perçues par les adhérents en place ».
Cette solution, qui clarifie les conditions d’interdiction des systèmes pyramidaux (I), renforce de manière notable la protection des consommateurs face à des montages complexes (II).
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I. La clarification des conditions d’interdiction des systèmes pyramidaux
La Cour de justice, en se fondant sur sa jurisprudence antérieure, rappelle d’abord les éléments constitutifs d’un système pyramidal (A), avant de préciser la nature du lien financier requis, consacrant ainsi une interprétation extensive et pragmatique de la directive (B).
A. Le rappel des critères constitutifs du système pyramidal
La décision commentée s’inscrit dans le prolongement de l’arrêt *4finance* du 3 avril 2014, dans lequel la Cour avait déjà dégagé trois conditions cumulatives pour identifier un système de promotion pyramidale. Premièrement, le système doit reposer sur la promesse faite au consommateur de réaliser un bénéfice économique. Deuxièmement, la réalisation de cette promesse doit dépendre de l’entrée de nouveaux consommateurs dans le système. Troisièmement, la majorité des revenus finançant la contrepartie promise ne doit pas provenir d’une activité économique réelle.
Dans le cas d’espèce, la juridiction de renvoi avait déjà constaté que les deux premières conditions étaient remplies. La promesse d’un bénéfice économique résidait dans l’augmentation des chances de gain à la loterie, et cette promesse dépendait structurellement de l’adhésion continue de nouveaux joueurs pour assurer la viabilité et l’expansion des groupes de jeu. La difficulté portait sur la troisième condition, à savoir la source du financement de la contrepartie. Le débat ne portait pas sur l’absence d’activité économique réelle, mais sur la manière dont les participations des nouveaux membres finançaient les gains des anciens.
B. L’admission d’un lien financier indirect comme critère suffisant
Le principal apport de cet arrêt réside dans la confirmation qu’un lien financier indirect est suffisant pour satisfaire à la troisième condition. La Cour juge que le texte de l’annexe I, point 14, de la directive, qui exige que la contrepartie provienne « essentiellement » de l’entrée d’autres consommateurs, n’impose nullement que ce lien soit direct. L’élément déterminant est le caractère « essentiel » ou « principal » de cette source de financement, et non sa nature directe ou indirecte.
Cette interprétation est justifiée par la nécessité de garantir l’effet utile de l’interdiction. La Cour souligne en effet qu’« une interprétation contraire de cette disposition risquerait de priver celle-ci de son effet utile puisque l’exigence d’un lien direct permettrait de contourner facilement l’interdiction absolue des systèmes de promotion pyramidale ». En d’autres termes, les organisateurs de tels systèmes pourraient aisément masquer la circulation des flux financiers en interposant des mécanismes ou des entités pour rompre le lien direct, vidant ainsi l’interdiction de sa substance. La Cour adopte une approche téléologique, privilégiant l’objectif de protection du consommateur sur une lecture formaliste du texte.
En retenant une interprétation extensive de la notion, la Cour ne se contente pas de définir un critère technique ; elle étend la portée de la protection offerte par la directive.
II. Le renforcement de la protection du consommateur face aux montages complexes
La décision a pour conséquence directe de rendre plus difficile la mise en place de systèmes pyramidaux dissimulés sous des apparences de légalité (A), et confère aux juridictions nationales un outil d’analyse plus efficace pour apprécier la nature réelle des pratiques commerciales (B).
A. La neutralisation des stratégies de contournement
En validant le critère du lien indirect, la Cour de justice déjoue les stratégies de contournement fondées sur la complexité des montages financiers. Le système en cause dans l’affaire au principal illustre parfaitement ce type de montage. Les participations des nouveaux adhérents ne rémunéraient pas directement les membres plus anciens, mais alimentaient un système global de mises collectives dont la structure même assurait une redistribution des gains potentiels au profit des initiateurs et des premiers entrants. Le plafonnement des gains reversés aux joueurs et la part conservée par l’organisateur constituaient des mécanismes indirects mais certains de financement du système par les mises de tous, y compris et surtout par celles des nouveaux venus.
La solution retenue oblige ainsi les juges nationaux à analyser la substance économique du système plutôt que sa forme juridique ou financière. Il leur appartient de vérifier si, en dépit des apparences, la viabilité du modèle et la promesse de gain reposent en réalité sur un flux continu de nouvelles adhésions, caractéristique fondamentale des systèmes pyramidaux qui sont mathématiquement voués à l’effondrement. Cette approche pragmatique est essentielle pour protéger les consommateurs, en particulier les derniers entrants, qui sont inéluctablement lésés.
B. La portée de la décision pour l’appréciation des pratiques commerciales déloyales
Au-delà du cas spécifique des systèmes pyramidaux, cet arrêt renforce la portée générale de la directive sur les pratiques commerciales déloyales. Il incite les juridictions nationales à adopter une grille d’analyse fonctionnelle et économique pour évaluer les pratiques commerciales, notamment celles qui se développent sur internet et qui se caractérisent par leur complexité et leur opacité. La décision du 15 décembre 2016 constitue un arrêt de principe qui clarifie l’interprétation d’une des pratiques commerciales réputées déloyales « en toutes circonstances ».
Cette clarification confère une plus grande sécurité juridique et harmonise l’application du droit de l’Union en la matière. En se concentrant sur le rôle « essentiel » des participations des nouveaux membres, indépendamment de la complexité des flux financiers, la Cour fournit un critère à la fois souple et robuste. Elle permet ainsi de sanctionner des pratiques qui, tout en se présentant comme des modèles économiques innovants, reposent sur un mécanisme de transfert de richesse des nouveaux participants vers les promoteurs du système, sans création de valeur économique réelle. La protection des intérêts économiques des consommateurs, objectif central de la directive, s’en trouve consolidée.