Cour de justice de l’Union européenne, le 15 décembre 2022, n°C-88/21

Par un arrêt du 15 décembre 2022, la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en première chambre, a précisé l’interprétation à donner aux dispositions de la décision 2007/533/JAI relative au système d’information Schengen de deuxième génération. Cette décision préjudicielle répond à une question portant sur l’étendue des obligations d’un État membre face à un véhicule signalé dans ce système, notamment en matière d’immatriculation. En l’espèce, un véhicule à moteur, acheté en Allemagne après avoir été volé dans un autre État membre, a été transporté en Lituanie. Une tentative d’immatriculation dans ce dernier pays a révélé l’existence d’un signalement aux fins de saisie ou de preuve, émis par les autorités du pays où le vol avait eu lieu. Une enquête pénale ouverte en Lituanie a été close sans qu’aucune infraction n’ait été constatée sur son territoire, et le véhicule a été restitué à son acquéreur. Malgré la communication de ces informations à l’État membre signalant et au propriétaire initial, le signalement n’a pas été effacé du système pendant plus de trois ans. Se fondant sur sa réglementation nationale, l’autorité lituanienne compétente a refusé l’immatriculation du véhicule au motif qu’il faisait toujours l’objet d’un signalement actif. Le contentieux a conduit la Cour administrative suprême de Lituanie à interroger la Cour de justice sur la compatibilité d’une telle interdiction nationale avec le droit de l’Union. Il s’agissait de déterminer si l’article 39 de la décision SIS II devait être interprété comme imposant une obligation générale et absolue d’interdire l’immatriculation d’un véhicule signalé, même lorsque le signalement paraît avoir perdu sa pertinence. La Cour a répondu par la négative, affirmant que la décision « ne prévoit pas d’obligation générale d’interdire l’immatriculation d’un véhicule à moteur qui fait l’objet d’un signalement en cours dans le système d’information Schengen ». La solution de la Cour, en précisant la marge de manœuvre laissée aux États membres, consacre une approche pragmatique de la coopération policière (I), bien que cette interprétation révèle les limites du système face à l’inertie d’un État membre signalant (II).

I. La clarification de la marge de manœuvre nationale dans l’exécution d’un signalement

La Cour de justice fonde sa solution sur une lecture stricte des textes encadrant le système d’information Schengen, réaffirmant que celui-ci est un outil de coopération et non d’uniformisation des procédures administratives nationales. Elle conforte ainsi la compétence des États membres dans le choix des mesures à appliquer (A), tout en s’assurant que cette autonomie ne contrevient pas aux objectifs de sécurité de l’Union (B).

A. Une interprétation littérale des mesures d’exécution

La Cour procède à une analyse textuelle de l’article 39 de la décision SIS II, qui régit la conduite à tenir lorsqu’un objet signalé est découvert. Elle relève que son paragraphe 3 se contente d’énoncer que « l’État membre qui a trouvé l’objet prend les mesures conformément à son droit national ». De cette formule générale, les juges déduisent l’absence d’une obligation spécifique et prédéterminée qui pèserait sur les autorités nationales. Le législateur de l’Union, en choisissant cette rédaction, a volontairement laissé une « large marge d’appréciation » aux États membres quant à la nature des mesures à adopter. Cette analyse est renforcée par l’absence, dans les autres dispositions de la décision ou dans le règlement n°1986/2006, d’une quelconque prescription imposant une interdiction d’immatriculation. Le système organise la circulation de l’information et le contact entre autorités, mais ne dicte pas la conséquence administrative ou juridique à tirer au niveau national, laquelle relève de la procédure interne de chaque État.

B. La préservation de l’objectif de coopération sans imposition d’une mesure uniforme

L’objectif du système SIS II, rappelé par la Cour, est de garantir « un niveau élevé de sécurité dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice de l’Union européenne » en soutenant la coopération opérationnelle. L’interprétation retenue n’est pas jugée contraire à cette finalité. En effet, la Cour estime que l’échange d’informations et la concertation entre l’État membre d’exécution et l’État membre signalant constituent le cœur du mécanisme de coopération. L’obligation principale consiste à se mettre en contact « afin de convenir des mesures nécessaires », non à appliquer une sanction administrative automatique comme le refus d’immatriculation. En conséquence, la Cour conclut que le droit de l’Union n’impose pas aux États membres d’interdire les actions relatives à l’objet trouvé autres que la saisie ou la collecte de preuves. Cette solution préserve la souplesse du système et respecte la répartition des compétences entre l’Union et ses membres.

Si la Cour établit clairement le principe de l’autonomie nationale dans le choix des mesures, sa décision met également en lumière les difficultés pratiques engendrées par une application rigide des règles nationales, surtout face à une carence de l’État signalant.

II. Les implications et les limites de la solution en droit national

En validant la faculté pour un État membre de prévoir une interdiction d’immatriculation tout en lui permettant d’y assortir des dérogations, la Cour reconnaît la valeur de l’autonomie procédurale nationale (A). Toutefois, cette approche ne résout pas entièrement la situation de blocage juridique dans laquelle se trouve le propriétaire du bien lorsque l’État signalant manque à ses propres obligations (B).

A. La reconnaissance de l’autonomie procédurale de l’État membre d’exécution

La décision de la Cour a pour principale valeur de confirmer que le droit de l’Union n’édicte pas, en la matière, de règle de fond qui se substituerait au droit national. Un État membre reste donc libre de prévoir dans sa législation une interdiction d’immatriculer un véhicule signalé dans le SIS II. Cependant, et c’est un apport essentiel de l’arrêt, il ne s’oppose pas « à ce que cet État membre prévoie des dérogations à une interdiction générale d’immatriculer un tel véhicule ». Cette précision ouvre la voie à des solutions nationales plus nuancées, qui pourraient par exemple permettre une immatriculation provisoire ou conditionnelle après un certain délai ou une fois que les vérifications nécessaires ont été effectuées et que l’État signalant a été dûment informé. La Cour légitime ainsi une approche au cas par cas, qui semble plus juste et proportionnée, notamment dans des situations où le signalement persiste sans justification apparente.

B. La portée limitée face à l’inertie de l’État membre signalant

La principale limite de la portée de cet arrêt réside dans l’absence de solution directe au problème fondamental de l’espèce : l’inaction de l’État membre à l’origine du signalement. La Cour prend soin de rappeler, « à toutes fins utiles », les obligations qui pèsent sur ce dernier. En vertu du manuel Sirene, « dès que les conditions du maintien du signalement ne sont plus réunies, l’État membre signalant efface celui-ci sans tarder ». L’État signalant est le seul autorisé à modifier ou effacer les données qu’il a introduites, et il est responsable de leur actualité. Or, l’arrêt ne fournit aucun mécanisme contraignant permettant à l’État d’exécution ou à la personne concernée de forcer la main à un État membre défaillant. La coopération, principe cardinal du système, trouve ici sa faiblesse structurelle. En l’absence d’une procédure efficace pour remédier à une telle carence, le propriétaire du véhicule demeure dans une impasse juridique, privé de la jouissance de son bien par le maintien d’un signalement devenu obsolète.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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