Cour de justice de l’Union européenne, le 15 janvier 2019, n°C-258/17

Par un arrêt dont les motifs sont ici rapportés, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur l’application dans le temps de la directive 2000/78/CE, qui établit un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail.

En l’espèce, un fonctionnaire avait fait l’objet, avant l’entrée en vigueur d’une directive européenne, d’une sanction disciplinaire devenue définitive. Cette décision ordonnait sa mise à la retraite d’office et entraînait une réduction substantielle du montant de sa pension. La sanction était motivée par des considérations tenant à son orientation sexuelle, constituant une discrimination. Après l’expiration du délai de transposition de la directive, le fonctionnaire a contesté la réduction continue de sa pension devant les juridictions nationales. Celles-ci, confrontées à l’articulation entre une décision administrative nationale définitive et les exigences nouvelles du droit de l’Union, ont interrogé la Cour de justice à titre préjudiciel.

La question de droit posée à la Cour était de savoir si la directive 2000/78/CE pouvait s’appliquer aux effets financiers futurs d’une décision disciplinaire, elle-même adoptée et devenue définitive avant l’expiration du délai de transposition de ladite directive. Il s’agissait également de déterminer si une telle application pouvait conduire à la remise en cause de la sanction initiale dans son intégralité.

La Cour de justice répond que la directive « s’applique, après l’expiration du délai de transposition de cette directive, à savoir à partir du 3 décembre 2003, aux effets futurs d’une décision disciplinaire définitive ». Elle précise cependant que le droit de l’Union n’impose pas de réexaminer « la sanction disciplinaire définitive ordonnant la mise à la retraite anticipée », mais oblige la juridiction nationale à corriger « la réduction du montant de sa pension », afin de neutraliser la discrimination pour la période postérieure à cette date.

Cette solution consacre une application temporelle extensive de la protection contre les discriminations (I), tout en ménageant le principe de sécurité juridique attaché aux décisions administratives définitives (II).

I. L’application temporelle extensive de la protection contre les discriminations

La Cour de justice affirme l’applicabilité de la directive à une situation née antérieurement à son entrée en vigueur, en se fondant sur la nature continue de ses effets (A), ce qui garantit la primauté et l’effectivité de l’interdiction des discriminations (B).

A. La dissociation entre l’acte initial et ses effets continus

La Cour opère une distinction fondamentale entre l’acte juridique initial et les effets qu’il continue de produire dans le temps. La sanction disciplinaire est un acte instantané, devenu définitif avant que la directive ne produise ses effets. En revanche, le versement mensuel d’une pension réduite constitue une situation qui perdure et se renouvelle après le 3 décembre 2003, date d’expiration du délai de transposition. C’est parce que les effets de la discrimination se prolongent dans le temps, après la date à laquelle la protection européenne est devenue obligatoire pour les États membres, que la directive trouve à s’appliquer. Le fait générateur du litige n’est donc pas la sanction passée, mais bien la persistance actuelle de ses conséquences pécuniaires discriminatoires. Cette analyse permet d’éviter l’écueil de la rétroactivité, car la directive ne régit que des situations postérieures à son entrée en vigueur.

B. L’obligation de garantir l’effet utile de la directive

La juridiction européenne estime que la directive « s’applique […] aux effets futurs d’une décision disciplinaire définitive ». En jugeant ainsi, elle assure l’effet utile du droit de l’Union en matière de non-discrimination. Permettre que les conséquences pécuniaires d’une sanction discriminatoire se poursuivent indéfiniment après l’entrée en vigueur de la protection européenne viderait la directive d’une partie de sa substance et créerait des zones de non-droit. La Cour fait ainsi prévaloir l’objectif d’égalité de traitement sur une application rigide des principes régissant l’application de la loi dans le temps. La protection contre les discriminations fondées sur l’orientation sexuelle, consacrée comme un principe général du droit de l’Union, justifie une application immédiate aux situations en cours pour faire cesser toute atteinte continue aux droits fondamentaux de la personne.

Si la Cour étend la protection conférée par la directive, elle en module cependant les conséquences sur l’ordre juridique interne afin de trouver un équilibre avec d’autres impératifs.

II. Une conciliation pragmatique avec la sécurité juridique

Tout en affirmant l’applicabilité de la directive, la Cour prend soin de préserver la stabilité des situations juridiques en limitant la portée de sa décision (A), ce qui conduit à imposer une obligation ciblée et précise de réparation au juge national (B).

A. Le respect de l’autorité de la chose décidée de la sanction disciplinaire

La Cour de justice prend soin de préserver la stabilité des situations juridiques consolidées. Elle énonce que sa solution n’impose pas à la juridiction nationale « de réexaminer […] la sanction disciplinaire définitive ordonnant la mise à la retraite anticipée du fonctionnaire concerné ». Ce faisant, elle respecte l’autorité de la chose jugée ou l’intangibilité des décisions administratives devenues définitives, un principe essentiel à la sécurité juridique dans les ordres nationaux. L’arrêt ne conduit donc pas à une annulation de la mise à la retraite elle-même. Cette retenue est capitale, car elle montre que l’application du droit de l’Union ne vise pas à bouleverser rétroactivement l’ensemble des situations juridiques passées, mais à corriger leurs effets présents lorsqu’ils entrent en conflit avec les normes européennes.

B. L’obligation ciblée de réparation de la discrimination

La solution retenue est pragmatique et chirurgicale, imposant au juge national une obligation de résultat précise. Il doit réexaminer « la réduction du montant de sa pension, pour déterminer le montant qu’il aurait perçu en l’absence de toute discrimination fondée sur l’orientation sexuelle ». L’intervention se limite donc à l’aspect financier du préjudice continu, corrigeant le présent sans annuler le passé. Cette approche permet de garantir une réparation effective pour la victime, qui verra sa pension recalculée, tout en minimisant l’ingérence dans l’ordre juridique national. La Cour offre ainsi une méthode pour mettre fin à la discrimination sans pour autant créer une insécurité juridique généralisée, démontrant une volonté de conciliation entre l’effectivité du droit de l’Union et la stabilité des ordres juridiques nationaux.

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Hassan KOHEN
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