Par un arrêt rendu en matière de manquement d’État, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur les conséquences du non-respect par un État membre du délai de transposition d’une directive. En l’espèce, une directive du Parlement européen et du Conseil, adoptée le 14 juin 2006, visait à modifier plusieurs textes antérieurs relatifs aux comptes annuels et consolidés de diverses formes de sociétés, y compris des établissements financiers et des entreprises d’assurance. Cette directive fixait un délai dans lequel les États membres devaient adopter les mesures nationales nécessaires pour s’y conformer. Un État membre n’ayant pas procédé à cette transposition dans le temps imparti, la Commission européenne a introduit un recours en manquement à son encontre. La question de droit soumise à la Cour était donc de déterminer si l’absence d’adoption des dispositions législatives, réglementaires et administratives de transposition d’une directive dans le délai prescrit constitue un manquement d’un État membre aux obligations qui lui incombent en vertu du droit de l’Union. La Cour de justice répond par l’affirmative, en déclarant que l’État membre mis en cause a effectivement manqué à ses obligations. Cette solution, classique dans sa formulation, réaffirme avec force le caractère obligatoire de la transposition des directives (I), tout en rappelant la fonction de la procédure en manquement comme mécanisme essentiel à la préservation de l’ordre juridique de l’Union (II).
I. La consécration d’un manquement objectif à l’obligation de transposition
L’arrêt constate le manquement de l’État membre de manière quasi automatique, en se fondant sur le caractère impératif de l’obligation de transposition (A) et en soulignant l’inefficacité des justifications d’ordre interne pour échapper à une telle constatation (B).
A. Le caractère inconditionnel de l’obligation de transposition
La décision de la Cour repose sur une application rigoureuse des principes fondamentaux du droit de l’Union. En vertu de l’article 288 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, une directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. Cette obligation de résultat implique nécessairement que chaque État membre adopte, dans son ordre juridique interne, les mesures nécessaires pour assurer la pleine efficacité de la directive concernée. Le respect du délai fixé pour cette transposition constitue une condition essentielle de cette obligation.
Le manquement est ici caractérisé par la seule constatation matérielle que, à l’expiration du délai imparti, les mesures nationales requises n’avaient pas été prises. La Cour se borne à énoncer que « en n’ayant pas adopté, dans le délai prescrit, les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires pour se conformer à la directive […], [l’État membre] a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de cette directive ». La faute de l’État membre est donc établie objectivement, sans qu’il soit besoin de rechercher une intention ou une négligence particulière de sa part. L’expiration du délai suffit à elle seule à consommer le manquement.
B. L’indifférence des difficultés internes dans la caractérisation du manquement
La jurisprudence constante de la Cour de justice établit qu’un État membre ne saurait exciper de situations ou de difficultés de son ordre juridique interne, qu’elles soient d’ordre administratif, politique ou technique, pour justifier un retard dans la transposition d’une directive. Le raisonnement de la Cour est implicite mais sans équivoque : les obligations découlant du droit de l’Union priment sur les contraintes nationales. La continuité et l’uniformité de l’application du droit de l’Union l’exigent.
Ainsi, que le retard soit dû à la lenteur du processus parlementaire, à des complexités administratives ou à des désaccords politiques internes est sans pertinence pour la constatation juridique du manquement. L’État membre est considéré comme une entité unique et cohérente sur la scène de l’Union, et il lui appartient de s’organiser pour honorer en temps voulu les engagements qu’il a souscrits. Cette approche rigoriste est indispensable pour garantir que tous les États membres se trouvent sur un pied d’égalité et que les droits que les directives confèrent aux particuliers ne deviennent pas théoriques ou aléatoires.
II. La portée d’un arrêt réaffirmant les fondements de l’ordre juridique de l’Union
Au-delà de la solution d’espèce, cet arrêt illustre le rôle fondamental du recours en manquement dans l’architecture institutionnelle de l’Union (A) et rappelle les conséquences potentielles auxquelles l’État membre défaillant s’expose en cas d’inaction persistante (B).
A. Le recours en manquement, gardien de la légalité
Cette décision, bien que non surprenante sur le fond, possède une valeur pédagogique et systémique importante. Elle rappelle que le respect des obligations par les États membres n’est pas optionnel. Le recours en manquement, initié par la Commission en sa qualité de « gardienne des Traités », constitue le principal instrument juridictionnel destiné à assurer l’effectivité du droit de l’Union. En sanctionnant le défaut de transposition, la Cour ne fait pas seulement que trancher un litige, elle envoie un signal à l’ensemble des États membres.
La portée de cet arrêt n’est donc pas de créer une nouvelle règle de droit, mais de confirmer avec constance la primauté et l’effet direct des obligations issues des traités. Il s’agit d’une décision d’application qui renforce la sécurité juridique au sein du marché intérieur. La directive en cause, relative à l’harmonisation des comptes de sociétés, vise précisément à garantir la transparence et la comparabilité de l’information financière, condition essentielle au bon fonctionnement des marchés. Le manquement d’un seul État peut ainsi créer une distorsion et nuire à l’ensemble du système.
B. Les suites potentielles de l’arrêt en manquement
L’arrêt rendu par la Cour de justice est de nature déclaratoire. Il se limite à constater officiellement l’existence du manquement. Conformément à l’article 260, paragraphe 1, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, l’État membre concerné est tenu de prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt de la Cour dans les plus brefs délais. La première conséquence de la décision est donc une obligation de mise en conformité.
Toutefois, la portée de la décision s’étend au-delà de cette simple déclaration. Si l’État membre persiste dans son manquement et ne se conforme pas à l’arrêt, la Commission peut saisir à nouveau la Cour, en application du paragraphe 2 de l’article 260. Cette seconde procédure peut aboutir à la condamnation de l’État à des sanctions financières, sous la forme d’une somme forfaitaire et/ou d’une astreinte journalière. L’arrêt commenté constitue ainsi une première étape, un avertissement solennel dont la méconnaissance expose l’État membre à des conséquences pécuniaires potentiellement lourdes, assurant ainsi l’efficacité coercitive du droit de l’Union.