Par un arrêt en date du 8 mars 2024, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les conditions de recevabilité du recours en annulation formé par un actionnaire à l’encontre d’une décision de la Banque centrale européenne plaçant un établissement de crédit sous administration temporaire. Cette décision illustre la tension entre les prérogatives des autorités de surveillance prudentielle et la protection des droits des opérateurs économiques individuels.
En l’espèce, une banque avait fait l’objet d’une décision de mise sous administration temporaire par la Banque centrale européenne, mesure qui fut ensuite prorogée. Un actionnaire de cet établissement a alors saisi le Tribunal de l’Union européenne d’un recours visant à l’annulation de ces décisions. Le Tribunal ayant rejeté ce recours par un arrêt du 12 octobre 2022, l’actionnaire a formé un pourvoi devant la Cour de justice.
La question de droit posée à la Cour était donc de savoir si un actionnaire d’un établissement de crédit est directement et individuellement concerné par une décision de la Banque centrale européenne de placer cet établissement sous administration temporaire, lui conférant ainsi un droit d’agir en annulation. La Cour devait également déterminer si, en cas de réponse positive, elle pouvait statuer sur certains moyens de fond avant de renvoyer l’affaire au Tribunal.
À cette question, la Cour de justice répond par l’affirmative concernant la recevabilité. Elle annule l’arrêt du Tribunal et déclare que « le recours […] est recevable ». Cependant, avant de renvoyer l’affaire, elle examine et rejette l’un des moyens soulevés en première instance, confirmant ainsi l’assise juridique de l’action de l’autorité de surveillance. Il conviendra ainsi d’examiner la consécration du droit d’agir de l’actionnaire (I), avant d’analyser la portée de la décision de la Cour qui, tout en réglant la question de la recevabilité, se prononce également sur le fond (II).
I. La consécration de l’intérêt à agir de l’actionnaire
La Cour de justice, en annulant la décision du Tribunal, réaffirme une conception extensive des conditions de recevabilité des recours en annulation contre les actes des institutions de l’Union. Elle confirme que les actionnaires peuvent être directement et individuellement affectés par une mesure de surveillance visant la société dont ils détiennent des parts (A), offrant ainsi une solution protectrice de leurs droits fondamentaux (B).
A. L’affectation directe et individuelle de l’actionnaire
En jugeant le recours recevable, la Cour de justice reconnaît que la décision de placer une banque sous administration temporaire n’est pas une mesure de portée générale. Bien qu’adressée à l’établissement de crédit, elle produit des effets juridiques contraignants qui modifient de manière caractérisée la situation de ses actionnaires. La suspension des pouvoirs des organes sociaux, notamment ceux de l’assemblée générale, prive en effet les actionnaires de leurs prérogatives essentielles, comme le droit de vote ou le droit de contrôler la gestion de la société.
Cette privation constitue une atteinte suffisamment directe et individuelle pour leur ouvrir le droit au recours prévu à l’article 263 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. La Cour considère que leur position est affectée en raison de qualités qui leur sont particulières et qui les distinguent de toute autre personne. Cette analyse permet de ne pas laisser les actionnaires sans voie de recours face à une décision qui impacte substantiellement la valeur de leur investissement et leurs droits sociaux.
B. Une interprétation favorable à l’accès au juge
La solution retenue par la Cour de justice revêt une importance particulière au regard du droit à une protection juridictionnelle effective. Un refus d’admettre la recevabilité du recours de l’actionnaire aurait créé un vide juridique. L’établissement de crédit lui-même, dirigé par les administrateurs temporaires nommés par la Banque centrale européenne, n’aurait eu aucun intérêt, ni aucune volonté, à contester la décision dont procède sa nouvelle direction.
Dès lors, seuls les actionnaires étaient en position de soumettre au contrôle du juge de l’Union la légalité d’une mesure aussi intrusive. En leur reconnaissant un intérêt à agir, la Cour assure que les décisions prises dans le cadre du mécanisme de surveillance unique ne puissent échapper à un contrôle juridictionnel, renforçant ainsi la primauté du droit au sein de l’Union. Cette position garantit un équilibre entre l’efficacité de la surveillance bancaire et le respect des droits des justiciables.
Après avoir solidement établi la recevabilité du recours, la Cour ne s’est pas limitée à un simple renvoi. Elle a également tranché un point de droit substantiel, ce qui témoigne de la volonté de la juridiction d’encadrer l’action de la Banque centrale européenne et d’accélérer le traitement du litige.
II. La portée encadrée de la cassation avec renvoi
L’arrêt ne se contente pas d’annuler la décision du Tribunal pour irrecevabilité ; il statue également sur un moyen de fond, ce qui est significatif. En rejetant d’emblée le moyen tiré d’une erreur sur la base juridique (A), la Cour valide la compétence de la Banque centrale européenne, tout en laissant au Tribunal le soin d’examiner les autres aspects du litige (B).
A. La validation de la base juridique de la décision contestée
La Cour de justice a jugé utile de se prononcer sur « le quatrième moyen du recours en première instance, en ce qu’il est tiré d’une erreur de droit dans la détermination de la base juridique retenue ». En le rejetant, elle confirme que la Banque centrale européenne a correctement fondé son pouvoir d’intervention sur les dispositions pertinentes du droit de l’Union. Cette démarche, qualifiée de bonne administration de la justice, permet de ne pas laisser le Tribunal réexaminer un point de droit pur que la Cour est en mesure de trancher définitivement.
Cette prise de position a pour effet de consolider le cadre juridique dans lequel s’exercent les missions de surveillance prudentielle. Elle indique que les arguments contestant les fondements même de la compétence de l’autorité de surveillance ont peu de chance de prospérer. La Cour conforte ainsi la légitimité des instruments créés pour assurer la stabilité du secteur bancaire européen.
B. Le renvoi au Tribunal pour l’examen au fond
La décision de renvoyer l’affaire au Tribunal pour qu’il statue sur les autres moyens et arguments démontre que la reconnaissance de la recevabilité n’emporte pas une victoire sur le fond pour le requérant. Le litige est loin d’être terminé. Le Tribunal devra désormais examiner en détail les arguments restants, qui porteront vraisemblablement sur d’éventuelles erreurs d’appréciation des faits, des violations du principe de proportionnalité ou des détournements de pouvoir.
La portée de cet arrêt est donc double. D’une part, il constitue une avancée majeure pour les droits des actionnaires dans le contexte de la régulation bancaire. D’autre part, en validant la base juridique de l’intervention de la Banque centrale européenne et en renvoyant pour le reste, il préserve l’équilibre des compétences entre les juridictions de l’Union. L’affaire continuera donc d’alimenter le contentieux de la surveillance bancaire, mais sur un terrain désormais clairement balisé par la Cour de justice.