Par un arrêt du 15 juin 2006, la Cour de justice des Communautés européennes, réunie en première chambre, a précisé l’étendue des droits conférés aux assurés sociaux se déplaçant dans un autre État membre pour y recevoir des soins. En l’espèce, un affilié au régime de sécurité sociale d’un État membre, atteint d’une pathologie grave, a obtenu de son institution de santé l’autorisation de recevoir un traitement hospitalier sur le territoire d’un autre État membre. Si le coût du traitement médical a bien été pris en charge, l’institution compétente a refusé le remboursement des frais de déplacement, de séjour et de repas engagés par l’intéressé et la personne l’ayant accompagné.
Saisi du litige en première instance, le juge national a rejeté la demande de l’affilié. Ce dernier a alors interjeté appel devant une juridiction supérieure, laquelle a décidé de surseoir à statuer pour interroger la Cour de justice à titre préjudiciel. Le juge de renvoi s’interrogeait principalement sur l’interprétation du règlement n° 1408/71, notamment son article 22, afin de déterminer si le droit aux prestations qu’il organise inclut le remboursement des frais accessoires liés au déplacement pour soins. Il soulevait également la question de la compatibilité avec le droit communautaire d’une législation nationale qui octroie des prestations complémentaires pour les soins d’urgence à l’étranger mais pas pour les soins programmés autorisés.
La question de droit posée à la Cour était donc de savoir si les dispositions du règlement n° 1408/71, relatives aux soins reçus dans un autre État membre sur autorisation, obligent l’institution compétente à rembourser les frais de voyage et de séjour de l’assuré et de son accompagnant.
La Cour de justice répond par la négative. Elle juge que le règlement ne confère pas un tel droit, à l’exception des frais de séjour et de repas de l’affilié au sein même de l’établissement hospitalier. Elle précise que la notion de « prestations en nature » se limite aux soins de santé et aux dépenses qui leur sont indissociablement liées, tandis que les « prestations en espèces » visent à compenser une perte de revenu et non à rembourser des frais engagés. La Cour écarte par ailleurs l’existence d’une atteinte au principe de coopération loyale dans le cas d’une réglementation nationale différenciant les prestations complémentaires selon la nature des soins transfrontaliers. Toutefois, elle réserve expressément l’application de l’article 49 du traité CE relatif à la libre prestation de services.
Cette décision conduit à examiner l’interprétation stricte des prestations couvertes par le règlement (I), avant d’analyser la portée de la solution et l’ouverture laissée vers le droit primaire (II).
I. Une interprétation stricte des prestations couvertes par le règlement n° 1408/71
La Cour de justice adopte une lecture littérale des dispositions du règlement n° 1408/71 pour définir le périmètre des obligations de l’institution compétente. Elle opère une distinction nette entre les prestations de soins proprement dites et les frais accessoires qui en découlent, en excluant ces derniers de la notion de prestations en nature (A) et en refusant de les intégrer dans le concept de prestations en espèces (B).
A. L’exclusion des frais accessoires de la notion de prestations en nature
La Cour rappelle que l’article 22, paragraphe 1, sous c), i), du règlement vise à garantir à l’affilié autorisé un accès aux soins dans l’État membre de séjour dans des conditions aussi favorables que celles des assurés locaux. L’obligation de prise en charge qui en découle pour l’institution compétente est cependant circonscrite. Elle porte, selon la Cour, « exclusivement sur les dépenses liées aux soins de santé obtenus par l’affilié dans l’État membre de séjour ».
S’agissant de soins hospitaliers, cette prise en charge couvre « les coûts des prestations médicales proprement dites ainsi que les dépenses, indissociablement liées, afférentes au séjour et aux repas dans l’établissement hospitalier ». Cette précision est déterminante. Elle trace une frontière claire entre les coûts intrinsèques à l’hospitalisation, qui relèvent des prestations en nature, et les autres dépenses qui, bien que nécessaires pour accéder aux soins, n’en font pas partie. Ainsi, les frais de transport pour se rendre dans l’autre État membre ou les frais d’hébergement et de repas de l’accompagnant sont considérés comme extrinsèques à la prestation de soin elle-même et ne peuvent être qualifiés de prestations en nature au sens du règlement. Cette interprétation, fondée sur le caractère indissociable de la dépense avec l’acte de soin, assure une application uniforme du texte mais restreint considérablement l’aide apportée à l’assuré.
B. Le rejet d’une acception extensive de la notion de prestations en espèces
Face à l’impossibilité de rattacher les frais litigieux aux prestations en nature, la Cour examine s’ils pourraient relever des « prestations en espèces » mentionnées à l’article 22, paragraphe 1, sous c), ii), du règlement. La réponse est tout aussi négative. La Cour s’attache à donner une définition autonome de cette notion en droit de l’Union, indépendamment des acceptions nationales.
Elle juge que cette catégorie de prestations « couvre essentiellement les prestations destinées à compenser une perte de revenus liée à une incapacité de travail ». Pour étayer son raisonnement, elle se réfère à d’autres dispositions du règlement, tel l’article 23 qui lie le calcul de ces prestations aux gains de l’assuré, ainsi qu’aux règlements d’application qui subordonnent leur versement à la production d’un avis d’arrêt de travail. Les prestations en espèces ont donc une finalité de revenu de remplacement. Elles ne sauraient être confondues avec un mécanisme de remboursement de dépenses déjà effectuées, comme le sont les frais de déplacement et de séjour. En ce sens, la Cour refuse d’élargir la portée de ce concept pour y inclure des frais accessoires, maintenant une séparation fonctionnelle stricte entre les différentes catégories de prestations sociales coordonnées par le règlement.
Après avoir ainsi délimité le champ d’application matériel du règlement, la Cour examine les conséquences de cette interprétation sur la législation nationale en cause et, surtout, sur les autres sources du droit de l’Union.
II. La portée de la solution et l’ouverture vers le droit primaire
Si la Cour valide une application restrictive du règlement de coordination (A), elle prend soin de souligner que ce texte ne constitue pas l’unique fondement juridique mobilisable, laissant la voie ouverte à une application directe du traité et de ses libertés fondamentales (B).
A. La validation d’une différence de traitement au niveau national
La juridiction de renvoi interrogeait la Cour sur la compatibilité avec le droit communautaire d’une réglementation nationale qui octroyait le remboursement des frais accessoires en cas de soins d’urgence à l’étranger, mais le refusait en cas de soins programmés autorisés. La Cour écarte rapidement toute violation du principe de coopération loyale de l’article 10 du traité CE ou de l’effet direct du règlement.
Son raisonnement est une conséquence logique de sa première réponse. Puisque les prestations complémentaires en cause, à savoir le remboursement des frais de déplacement et de séjour, « ne sont pas couvertes par cet article 22 », une réglementation nationale qui module leur octroi ne saurait porter atteinte aux droits garantis par cette disposition. En d’autres termes, le règlement ne créant aucune obligation à la charge des États membres sur ce point, ces derniers restent libres d’organiser, ou non, de telles prestations complémentaires. Le fait qu’un État membre choisisse de les accorder dans une situation et non dans une autre relève de sa compétence et ne contrevient pas à ses obligations découlant du règlement de coordination. Cette solution réaffirme la nature du règlement n° 1408/71, qui est un instrument de coordination des systèmes nationaux et non d’harmonisation.
B. L’affirmation subsidiaire de la primauté de la libre prestation de services
L’apport majeur de l’arrêt réside sans doute dans la réserve finale formulée par la Cour. Après avoir conclu à l’absence de droit au remboursement sur le fondement du règlement, elle précise que son interprétation doit s’entendre « sans préjudice de la solution qui découlerait de l’applicabilité éventuelle de l’article 49 CE ». Cette mention est cruciale car elle déplace le débat du terrain de la coordination de la sécurité sociale vers celui des libertés fondamentales.
La Cour indique que cet article « s’oppose en effet à une réglementation nationale qui exclurait la prise en charge des frais accessoires encourus par un patient autorisé à se rendre dans un autre État membre pour y recevoir un traitement hospitalier, alors qu’elle prévoirait la prise en charge de ces frais lorsque le traitement est prodigué dans un établissement relevant du système national ». Par cette incidente, elle suggère qu’une entrave à la libre prestation de services pourrait être caractérisée si un État membre pénalise financièrement ses ressortissants qui choisissent de recevoir des soins dans un autre État membre, en leur refusant le remboursement de frais qui seraient couverts au niveau national. La portée de l’arrêt est ainsi double : il confirme une lecture stricte des droits dérivés du règlement de coordination tout en réaffirmant avec force que les règles du droit primaire, et notamment la liberté de recevoir des services, peuvent fonder des droits pour les patients que le droit dérivé ne prévoit pas.