Cour de justice de l’Union européenne, le 15 juin 2017, n°C-19/16

Par un arrêt en date du 8 septembre 2016, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur les conditions de recevabilité d’un recours en annulation formé par une personne morale dont l’existence juridique est contestée en cours d’instance, ainsi que sur l’étendue du contrôle juridictionnel exercé sur les actes de l’Union européenne mettant en œuvre des mesures restrictives adoptées dans le cadre de la lutte contre le terrorisme international.

En l’espèce, plusieurs personnes physiques et une entité morale de droit privé, inscrites sur la liste des personnes et entités visées par des mesures de gel de fonds en application d’un règlement de l’Union transposant une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies, ont vu cette inscription initiale annulée par un arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 29 septembre 2010. La Commission européenne a toutefois procédé, par des règlements du 7 décembre 2010, à leur réinscription sur ladite liste. Les intéressés ont alors introduit un recours en annulation contre ces nouveaux règlements. En cours d’instance, il est apparu que l’entité morale avait été radiée des registres officiels de son État d’établissement, perdant ainsi sa personnalité juridique en droit national. Le Tribunal, par un arrêt du 28 octobre 2015, a prononcé un non-lieu à statuer concernant le recours de l’entité morale, estimant qu’elle avait perdu sa capacité à ester en justice. Il a par ailleurs rejeté les recours des personnes physiques au fond. Saisie d’un pourvoi par l’ensemble des requérants, la Cour de justice a dû se prononcer sur la question de savoir si une personne morale qui a perdu son existence juridique selon son droit national en cours de procédure conserve la capacité d’ester en justice pour contester une mesure restrictive prise à son encontre. Elle a également dû examiner la portée du contrôle exercé par le juge de l’Union sur la régularité de la procédure de réinscription et sur l’appréciation des motifs la justifiant.

La Cour de justice rejette le pourvoi dans son intégralité. Elle confirme d’une part que la perte de l’existence juridique en droit national emporte la perte de la capacité d’ester en justice devant les juridictions de l’Union, sauf reprise de l’instance par des ayants droit. D’autre part, elle valide le raisonnement du Tribunal ayant conclu que la Commission avait respecté les garanties procédurales requises en procédant à un examen autonome des motifs d’inscription, sans que le juge ait à substituer sa propre appréciation des faits à celle de l’institution.

La solution retenue par la Cour de justice illustre une approche rigoureuse des conditions de recevabilité des recours (I), tout en confirmant une conception délimitée du contrôle juridictionnel en matière de sanctions internationales (II).

I. La confirmation d’une conception stricte de la capacité d’ester en justice de la personne morale

La Cour valide la décision du Tribunal de prononcer un non-lieu à statuer pour l’entité requérante, en fondant son raisonnement sur une application rigoureuse des règles de procédure. Elle rejette ainsi l’idée d’une capacité à agir fonctionnelle, liée à l’objet du litige (A), et consacre la primauté du droit national dans la détermination de l’existence d’une personne morale (B).

A. Le rejet d’une capacité d’ester en justice fonctionnelle

Le pourvoi soutenait qu’une entité inscrite sur une liste de sanctions devait se voir reconnaître une capacité à agir pour contester cette mesure, indépendamment de son statut formel en droit national. La Cour écarte cet argument en se fondant sur une lecture stricte des textes procéduraux. Elle rappelle qu’il appartient aux personnes morales de droit privé de prouver leur existence juridique par la production de documents officiels. En l’espèce, la preuve de la radiation de l’entité des registres du commerce et des œuvres de bienfaisance du Royaume-Uni n’avait pas été contestée quant à son exactitude matérielle. La Cour en conclut qu’il est établi que l’entité requérante n’avait plus d’existence légale au moment où le Tribunal a statué.

La Cour prend soin de distinguer la présente affaire de la jurisprudence antérieure, notamment l’arrêt *PKK et KNK/Conseil*, qui avait reconnu la capacité d’agir à une organisation dont l’existence même était contestée. Elle souligne que dans cette précédente affaire, il s’agissait d’une organisation clandestine dont la dissolution était mise en doute, alors qu’en l’espèce, l’entité était une personne morale de droit privé dont la disparition juridique était documentée par les autorités nationales. La Cour juge que ` »dans ces conditions, il y a lieu de considérer comme établi que [l’entité] n’avait plus d’existence juridique et était donc dépourvue de la capacité d’ester en justice devant le Tribunal à la date à laquelle ce dernier a statué. »` Cette approche formaliste empêche de créer une exception au principe selon lequel la capacité à agir est une condition de recevabilité qui doit être maintenue tout au long de l’instance.

B. La primauté du droit national pour la détermination de l’existence juridique

En validant l’approche du Tribunal, la Cour de justice confirme que la détermination de l’existence d’une personne morale de droit privé relève de la compétence du droit national de son État d’incorporation. Bien que les mesures restrictives soient des instruments du droit de l’Union, la capacité des sujets de droit à les contester reste ancrée dans les règles nationales qui régissent leur création et leur dissolution. La Cour ne crée pas une notion autonome de « personne morale » aux fins du contentieux de l’annulation. Elle précise que la seule alternative à l’extinction de l’instance aurait été la reprise de celle-ci par les ayants droit de l’entité dissoute, tels que ses fondateurs ou anciens dirigeants. Or, il n’a jamais été soutenu en l’espèce que le recours était poursuivi à ce titre.

Cette solution, si elle est orthodoxe sur le plan procédural, souligne une potentielle aporie du système de protection juridictionnelle. Une entité peut se voir privée de la possibilité de faire constater l’illégalité d’une mesure restrictive et de laver sa réputation si elle est dissoute en cours de procédure, par exemple en conséquence même des mesures de gel de fonds qui l’affectent. La Cour ne s’engage pas sur ce terrain et s’en tient à une application stricte des règles de procédure, laissant ainsi sans réponse la question de l’adéquation de ces règles face aux effets potentiellement destructeurs des sanctions.

II. Un contrôle restreint de la légalité de la décision de réinscription

Concernant les requérants personnes physiques, la Cour de justice confirme que le contrôle opéré par le Tribunal était suffisant au regard des exigences du droit à une protection juridictionnelle effective. Elle valide l’appréciation du Tribunal sur la régularité de la procédure de réexamen (A) et refuse d’exercer un contrôle de pleine juridiction sur le bien-fondé des motifs retenus par la Commission (B).

A. L’appréciation de la régularité de la procédure de réexamen

La Cour examine si le Tribunal a correctement vérifié que la Commission avait respecté les garanties procédurales découlant de la jurisprudence, notamment de l’arrêt *Kadi II*. Ces garanties imposent à l’institution de l’Union de ne pas se contenter de transposer automatiquement les décisions du Comité des sanctions des Nations unies. Elle doit procéder à son propre examen des éléments du dossier, communiquer les motifs à la personne concernée, recueillir ses observations et procéder à un ` »réexamen minutieux, autonome et critique »` de la situation.

En l’espèce, la Cour constate que le Tribunal a bien vérifié que la Commission avait communiqué les exposés des motifs aux requérants, que ceux-ci avaient pu présenter leurs observations, et que la Commission avait ensuite engagé des échanges avec le Comité des sanctions. Le Tribunal en a déduit que la procédure suivie était régulière. La Cour de justice estime que cette appréciation n’est pas entachée d’erreur de droit. Elle juge que le seul fait qu’un État membre, à l’origine de l’inscription, ait changé d’avis n’était pas de nature à vicier en soi la procédure menée par la Commission, dès lors que cette dernière avait respecté les étapes formelles de l’examen contradictoire.

B. Le refus de substituer son appréciation à celle de la Commission

Le cœur de l’argumentation des requérants au fond reposait sur le fait que le Royaume-Uni, État membre ayant proposé leur inscription initiale, considérait désormais qu’ils ne remplissaient plus les critères pour y figurer. Ils en déduisaient que la décision de réinscription de la Commission était mal fondée. La Cour de justice, à la suite du Tribunal, écarte cet argument en se gardant d’opérer une nouvelle appréciation des faits. Elle se limite à vérifier que le raisonnement du Tribunal n’était pas contradictoire ou illogique.

La Cour souligne que le rôle du juge de l’Union n’est pas de substituer son appréciation des preuves et des faits à celle de la Commission, mais de s’assurer que l’appréciation de cette dernière n’est pas entachée d’une erreur manifeste et qu’elle repose sur une base factuelle suffisamment solide. En jugeant que la Commission avait mené un examen approfondi, même si cet examen n’a pas abouti à la même conclusion que celle de l’État membre concerné, le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit. Cette position confirme la portée limitée du contrôle juridictionnel dans ce domaine sensible, où le juge se concentre sur le respect des garanties procédurales plutôt que sur le fond des allégations, laissant une marge d’appréciation significative aux institutions politiques de l’Union.

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Hassan KOHEN
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