Cour de justice de l’Union européenne, le 15 juin 2017, n°C-444/16

Par un arrêt du 15 juin 2017, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à se prononcer sur l’interprétation de la directive comptable 78/660/CEE, plus particulièrement sur la compatibilité de certaines méthodes de comptabilisation du prix de cession d’options sur actions avec les principes de prudence et d’image fidèle. En l’espèce, deux sociétés avaient émis, au profit de leur gérant respectif, des options sur actions à titre onéreux. Elles avaient perçu un prix pour ces options mais avaient choisi de ne pas l’inscrire immédiatement comme un produit dans leur compte de résultat. Ce prix avait été comptabilisé dans un compte de régularisation du passif, le produit n’étant destiné à être reconnu qu’au moment de la levée de l’option ou à l’expiration de sa période de validité.

L’administration fiscale belge a contesté cette approche comptable. Elle a estimé que le prix des options constituait un revenu définitivement acquis pour la société dès sa perception et devait donc être comptabilisé en produit de l’exercice au cours duquel l’option a été cédée. En conséquence, elle a procédé à des rectifications d’impôt. Les sociétés ont contesté ces impositions devant les juridictions nationales. Saisi en appel, le tribunal de Mons a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour de justice une question préjudicielle. Il s’agissait de déterminer si les règles de la directive 78/660, notamment les principes d’image fidèle, de prudence et de rattachement des charges et produits à l’exercice, s’opposent à ce qu’une société comptabilise le prix d’une option sur action non pas lors de sa cession, mais ultérieurement, à la levée ou à l’échéance de ladite option.

À cette question, la Cour répond que les principes d’image fidèle et de prudence « ne s’opposent pas à une méthode de comptabilisation selon laquelle une société émettrice d’un droit d’option sur actions comptabilise en produit le prix de la cession de cette option au cours de l’exercice comptable pendant lequel ladite option est levée ou au terme de la durée de validité de celle-ci ». La solution retenue par la Cour repose sur une interprétation pragmatique des principes comptables fondamentaux, privilégiant la réalité économique de l’opération (I), tout en clarifiant la portée de ces derniers dans un cadre où la législation de l’Union ne fournit pas de règle spécifique (II).

I. La consécration d’une approche comptable guidée par le principe de prudence

La Cour de justice valide la méthode de comptabilisation différée en se fondant sur une analyse économique de l’opération d’émission d’option. Elle justifie ce report au nom du risque inhérent à l’engagement de l’émetteur (A), ce qui démontre la flexibilité du principe d’image fidèle face à une incertitude (B).

A. La justification du report de la comptabilisation du produit au regard du risque assumé

Le raisonnement central de la Cour repose sur la qualification du prix de l’option. Ce prix n’est pas considéré comme la contrepartie d’une simple vente, mais comme la rémunération d’un risque que la société émettrice assume pendant toute la durée de vie de l’option. En effet, en accordant un droit d’acheter des actions à un prix fixé d’avance, la société s’expose à une perte d’opportunité ou à une moins-value si la valeur des titres sous-jacents augmente de manière significative. C’est ce que la Cour souligne lorsqu’elle retient que « ce prix constitue la rémunération du risque assumé par la société émettrice durant toute la durée de l’option ».

Dès lors, il apparaît logique, au regard du principe de prudence, de ne pas considérer ce produit comme définitivement acquis tant que le risque pour lequel il a été perçu n’est pas éteint. La prudence commande de ne comptabiliser un bénéfice que lorsqu’il est réalisé. Or, la réalisation économique complète du produit de l’option intervient seulement lorsque la société est libérée de son engagement, soit parce que le bénéficiaire a exercé son droit, soit parce que l’option est arrivée à échéance sans avoir été levée. Ce n’est qu’à ce moment que l’on peut « déterminer de manière définitive si ce risque, auquel il est étroitement lié, s’est ou non réalisé ». Lier la comptabilisation du produit au dénouement du risque est donc une manifestation directe du principe de prudence.

Cette approche, fondée sur la prudence, est également jugée conforme à l’exigence supérieure d’une image fidèle des comptes.

B. La flexibilité du principe de l’image fidèle face à l’incertitude économique

Le principe de l’image fidèle, érigé en objectif primordial par la directive, exige que les comptes reflètent fidèlement le patrimoine, la situation financière et les résultats de la société. La Cour considère que la comptabilisation différée du prix de l’option peut précisément mieux servir cet objectif qu’une comptabilisation immédiate. Inscrire le produit dès la cession de l’option pourrait en effet présenter une image faussement positive de la situation de l’entreprise. Cela reviendrait à constater un bénéfice certain pour l’exercice en cours, tout en omettant de refléter adéquatement l’incertitude et le risque qui continueront de peser sur les exercices futurs.

La Cour suggère ainsi qu’une comptabilisation immédiate pourrait nuire à l’image fidèle en dissociant le produit de sa cause économique, à savoir la couverture d’un risque futur. En différant la reconnaissance du produit, la société assure une meilleure corrélation entre ce dernier et l’exposition au risque correspondante. La méthode de comptabilisation différée permet donc de donner une information plus juste sur la performance de l’entreprise au fil du temps, en ne reconnaissant le gain qu’une fois celui-ci économiquement mérité et détaché de toute incertitude majeure. La Cour admet donc qu’une méthode comptable qui s’attache à la substance économique d’une opération est plus apte à fournir une image fidèle, même si elle déroge à une lecture purement instantanée de l’acquisition d’un produit.

Au-delà de la validation de cette méthode spécifique, la décision de la Cour précise la portée des principes directeurs de la directive et la marge d’appréciation laissée aux acteurs économiques.

II. La portée de la solution : entre souplesse interprétative et clarification des principes comptables

L’arrêt ne se contente pas de trancher le cas d’espèce, il offre des éclaircissements sur l’articulation des normes comptables de l’Union. Il réaffirme la marge d’appréciation des États et des entreprises en l’absence de règle précise (A) et opère une distinction technique essentielle entre le traitement d’un produit et la constitution d’une provision (B).

A. L’affirmation de la marge d’appréciation en l’absence de règle spécifique

La Cour rappelle à juste titre que la directive 78/660 ne vise qu’à établir des conditions minimales et qu’elle ne contient « aucune indication spécifique relative à la méthode selon laquelle le prix de ces options doit être comptabilisé ». Face à ce silence des textes, la Cour en déduit qu’« il existe donc nécessairement différentes méthodes compatibles avec la directive 78/660 pour autant qu’elles respectent les principes généraux établis par cette directive ». L’arrêt ne consacre donc pas la méthode du report comme étant la seule valable, mais il la reconnaît comme l’une des options possibles et conformes au droit de l’Union.

Cette approche confirme que la directive a pour but de fixer un cadre de principes généraux plutôt qu’un ensemble de règles techniques rigides et exhaustives. En l’absence d’harmonisation complète sur un traitement comptable particulier, les opérateurs économiques, guidés par les normes nationales et professionnelles, conservent une certaine liberté pour choisir la méthode qui leur semble la plus appropriée pour refléter la réalité de leurs opérations. La Cour se garde bien d’imposer une solution unique, préférant valider une pratique dès lors qu’elle est justifiée au regard des objectifs fondamentaux de prudence et d’image fidèle. Cette décision renforce ainsi le rôle des principes comptables comme guide interprétatif plutôt que comme carcan normatif.

Au-delà de cette reconnaissance d’une liberté méthodologique, la Cour opère une distinction technique essentielle pour la bonne compréhension des concepts comptables.

B. La distinction entre le produit de l’option et la constitution d’une provision

Dans sa question, la juridiction de renvoi faisait référence à l’article 20 de la directive, relatif aux provisions pour risques et charges. La Cour écarte pertinemment l’application de cet article en jugeant qu’il « n’est pas pertinent pour répondre à cette question ». Elle clarifie ainsi une confusion possible entre deux mécanismes comptables distincts. Le prix de l’option, tel qu’analysé dans l’arrêt, est un produit dont la date de reconnaissance est incertaine, et non une dette ou une perte future à provisionner.

Une provision, en effet, a pour objet de couvrir « des pertes ou dettes qui sont nettement circonscrites quant à leur nature et qui, à la date de clôture du bilan, sont ou probables ou certaines, mais indéterminées quant à leur montant ou quant à la date de leur survenance ». Le prix de l’option, quant à lui, est un flux entrant de ressources, un gain potentiel pour l’entreprise. Le reporter au passif dans un compte de régularisation n’équivaut pas à constater une dette, mais à différer la reconnaissance d’un produit jusqu’à ce qu’il soit considéré comme gagné. En écartant l’article 20, la Cour rappelle qu’il ne faut pas confondre le traitement d’un revenu perçu d’avance et la couverture d’un risque par la constatation d’une charge probable. Cette distinction est fondamentale car elle assure la rigueur des concepts et la cohérence de la structure du bilan et du compte de résultat.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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