La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 15 mai 2019, une décision relative aux modalités de transfert des droits à pension. Ce litige concerne l’interprétation de l’article 11, paragraphe 2, de l’annexe VIII du statut des fonctionnaires de l’Union européenne. Un agent a sollicité le versement au régime de l’Union du capital représentant ses droits à pension acquis antérieurement dans un État membre. L’organisme national a communiqué la valeur des droits à la date de la demande ainsi que le montant total effectivement transféré ultérieurement. L’institution européenne a toutefois appliqué une déduction forfaitaire de 3,1 % pour calculer la part correspondant à la revalorisation du capital.
Contestant cette méthode, l’intéressé a saisi le Tribunal de l’Union européenne d’un recours en annulation contre la décision fixant ses annuités. Le Tribunal a accueilli cette demande au motif que l’institution ne pouvait recourir au taux forfaitaire si les données réelles étaient disponibles. L’institution a alors formé un pourvoi devant la Cour de justice pour obtenir l’annulation de l’arrêt rendu en première instance. Elle soutenait que sa compétence pour opérer la déduction lui permettait d’appliquer ce taux de manière générale à tous les transferts.
Le problème de droit posé consiste à déterminer si l’institution peut appliquer un taux d’intérêt forfaitaire de revalorisation malgré la communication de données précises. La Cour de justice rejette le pourvoi et confirme le raisonnement des premiers juges. Elle affirme que l’institution « est compétente pour opérer, sur ce capital, une déduction correspondant au montant de la revalorisation des droits à pension ». Elle précise cependant que cette faculté ne permet « aucune déduction sur la partie de ce capital qui correspond au montant des droits à pension lui-même ». L’étude de cette décision s’articule autour de la répartition des compétences entre les autorités (I), puis sur la protection des droits du fonctionnaire (II).
I. La répartition des compétences entre instances nationales et européennes
A. L’exclusivité nationale dans la détermination des droits acquis La procédure de transfert de droits à pension repose sur une distinction stricte entre la phase nationale et la phase européenne de calcul. La Cour rappelle que « l’autorité nationale concernée est seule compétente pour calculer » le montant du capital représentant les droits acquis par le demandeur. Ce montant constitue le socle intangible que l’institution de l’Union doit intégrer dans son propre régime de pension sans pouvoir le modifier. L’organisme national détermine souverainement la valeur des droits à la date d’enregistrement de la demande selon ses propres règles de calcul. Le juge souligne ainsi que ce montant « ne saurait être ultérieurement modifié ou contesté par » l’institution européenne lors de la transformation en annuités. Cette règle garantit le respect de la souveraineté des États membres dans la gestion de leurs régimes de sécurité sociale respectifs.
B. La compétence encadrée de l’institution dans le calcul de la revalorisation L’institution européenne dispose d’une compétence propre pour déduire du capital transféré la part correspondant à l’actualisation financière intervenue après la demande. Cette déduction vise à isoler la revalorisation du capital intervenue « entre la date de la demande de transfert et celle du transfert effectif » de celui-ci. La Cour confirme que l’institution peut légalement soustraire cette somme pour déterminer le nombre d’annuités de pension statutaire à prendre en compte. Toutefois, cette compétence reste strictement limitée à l’ajustement financier et ne doit jamais empiéter sur le montant initial des droits acquis. L’arrêt précise que le calcul des annuités doit être effectué « sur la base de la totalité » du montant communiqué par l’autorité nationale. Cette répartition rigoureuse des rôles assure la légalité de l’opération mais commande également de veiller à la préservation des intérêts financiers de l’agent.
II. La protection du patrimoine du fonctionnaire contre l’enrichissement sans cause
A. Le caractère subsidiaire du recours au taux d’intérêt forfaitaire L’application d’un taux de 3,1 % prévu par les dispositions générales d’exécution constitue une modalité de calcul de nature purement subsidiaire. La Cour juge que ce taux ne s’applique que lorsque l’organisme national est « dans l’impossibilité de communiquer le montant des droits à pension » acquis. Cette impossibilité technique justifie seule le recours à une évaluation forfaitaire pour permettre à l’institution de remplir ses obligations statutaires. Dès lors que l’autorité nationale transmet des informations précises et fiables, l’institution est tenue d’utiliser ces données réelles pour son calcul. Elle ne saurait s’écarter des chiffres fournis par l’État membre pour privilégier une méthode forfaitaire simplifiée mais potentiellement inexacte. L’interprétation retenue par le juge protège ainsi la prévisibilité juridique des transferts de capital vers le régime de pension de l’Union.
B. La prévention du risque d’appropriation indue des droits à pension L’exigence de vérité dans le calcul de la revalorisation vise à empêcher tout enrichissement sans cause de l’institution au détriment de ses agents. La Cour relève que l’application automatique d’un taux forfaitaire crée un « risque d’enrichissement sans cause » pour l’institution de l’Union. Cette situation pourrait conduire l’administration à opérer une déduction supérieure à la revalorisation réelle constatée par l’organisme de pension national. L’institution s’approprierait ainsi indûment une partie des droits à pension acquis par le fonctionnaire tout au long de sa carrière antérieure. Le juge consacre ici la primauté du montant réel des droits acquis sur toute considération de commodité administrative ou de standardisation financière. Cette solution assure que le transfert de pension demeure une opération neutre qui préserve intégralement le patrimoine social du fonctionnaire concerné.