Par un arrêt, la Cour de justice de l’Union européenne, statuant en matière de pourvoi, s’est prononcée sur les conditions de recevabilité du recours en annulation formé par un actionnaire indirect à l’encontre d’une décision de résolution bancaire.
En l’espèce, une société mère, actionnaire unique d’une société holding européenne, elle-même détentrice de la quasi-totalité des actions d’un établissement de crédit, a vu sa situation financière affectée par la résolution de ce dernier. À la suite de tensions géopolitiques ayant entraîné une détérioration de la liquidité de l’établissement de crédit, l’autorité de surveillance compétente a constaté sa défaillance avérée ou prévisible. En conséquence, le Conseil de résolution unique a adopté un dispositif de résolution prévoyant la cession des actions de l’établissement concerné. Cette mesure a été approuvée par une décision de la Commission européenne. La société mère ultime a alors introduit un recours devant le Tribunal de l’Union européenne tendant à l’annulation de la décision du Conseil de résolution unique, des rapports de valorisation sous-jacents, ainsi que de la décision d’approbation de la Commission. Le Tribunal a rejeté le recours comme irrecevable au motif que la requérante n’était pas directement affectée par les actes attaqués au sens de l’article 263, quatrième alinéa, du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. La société mère a alors formé un pourvoi devant la Cour de justice, contestant l’interprétation de la condition d’affectation directe retenue par le Tribunal.
La question de droit posée à la Cour était donc de savoir si un actionnaire ultime, qui ne détient pas directement le capital d’une filiale faisant l’objet d’une mesure de résolution, peut être considéré comme directement affecté par la décision approuvant cette mesure.
À cette question, la Cour de justice répond par la négative. Elle juge que la décision de résolution ne produit des effets que sur la situation juridique de l’actionnaire direct de l’entité résolue. Pour l’actionnaire indirect, les conséquences sont purement économiques et ne sauraient suffire à caractériser une affectation directe. La Cour opère également une substitution de motifs, en précisant que la décision du Conseil de résolution unique constitue un acte préparatoire non susceptible de recours, seule la décision finale d’approbation de la Commission produisant des effets juridiques contraignants.
L’arrêt confirme une conception restrictive de la recevabilité des recours en annulation dans le cadre du mécanisme de résolution unique, en distinguant rigoureusement l’actionnaire direct de l’actionnaire indirect (I). Cette solution, si elle est orthodoxe sur le plan de la personnalité morale, interroge quant à la réalité économique des groupes de sociétés et à l’effectivité du droit au recours pour l’investisseur ultime (II).
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I. La confirmation d’une appréciation stricte de la recevabilité du recours en annulation
La Cour de justice, pour rejeter le pourvoi, s’appuie sur une lecture rigoureuse des conditions de recevabilité. Elle clarifie d’une part la nature des actes susceptibles de recours dans la procédure de résolution (A) et réaffirme d’autre part une définition de l’affectation directe fondée exclusivement sur la modification de la situation juridique du requérant (B).
A. La distinction entre acte préparatoire et acte décisoire dans le processus de résolution
La Cour profite de ce litige pour préciser l’articulation des actes émanant du Conseil de résolution unique (CRU) et de la Commission. Elle juge que la décision du CRU « ne produisait pas d’effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts d’une personne morale ou physique, de sorte qu’elle ne constituait pas un acte susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation ». Ce faisant, elle qualifie cet acte de simple mesure préparatoire. La Cour opère ainsi une substitution de motifs par rapport à l’ordonnance du Tribunal, qui avait laissé ouverte la question de la nature de la décision du CRU pour se concentrer sur la seule condition de l’affectation directe.
Cette clarification est essentielle. Elle établit que dans la chaîne décisionnelle de la résolution bancaire, seul l’acte final de la Commission, qui approuve le dispositif, constitue une décision produisant des effets de droit et, par conséquent, attaquable. Les rapports de valorisation, en tant qu’éléments intégrants de la décision de résolution, suivent le même sort et ne peuvent faire l’objet d’un recours distinct, comme le prévoit d’ailleurs l’article 20, paragraphe 15, du règlement n° 806/2014. Cette approche vise à rationaliser le contentieux en le concentrant sur l’acte qui rend la mesure de résolution exécutoire, évitant ainsi la contestation d’actes intermédiaires.
B. La réaffirmation de l’affectation directe comme modification de la situation juridique
Le cœur du raisonnement de la Cour repose sur son interprétation de la condition d’affectation directe. Pour qu’un requérant soit directement affecté, « la mesure contestée doit produire directement des effets sur la situation juridique du particulier ». Or, la Cour constate que la requérante, en tant qu’actionnaire de la société holding autrichienne, n’est pas l’actionnaire direct de l’établissement de crédit slovène. Par conséquent, elle ne détient aucun droit propre sur cette filiale. La Cour relève que la requérante « n’avait aucun droit de disposer des actifs de cet établissement de crédit ni de percevoir des dividendes et de participer à sa gestion, dans la mesure où ces droits appartenaient à l’actionnaire unique dudit établissement de crédit ».
La décision d’approbation de la Commission, en validant le transfert des actions de la filiale slovène, affecte donc les droits de propriété de l’actionnaire direct, la société holding autrichienne, mais pas ceux de la requérante. Pour cette dernière, l’impact est d’ordre patrimonial, se manifestant par une dépréciation de la valeur de sa participation dans la société holding. La Cour est constante dans son analyse : de tels effets économiques, aussi importants soient-ils, ne constituent pas une modification de la situation juridique de la requérante. Cette position maintient une frontière nette entre l’atteinte à un droit et le préjudice économique qui peut en découler.
Cette interprétation rigide de l’affectation directe conduit à une solution juridiquement fondée mais dont les implications pratiques pour les investisseurs au sein de structures complexes méritent une analyse approfondie.
II. La portée d’une solution limitant le droit au recours de l’actionnaire ultime
En refusant la qualité pour agir à l’actionnaire ultime, la Cour de justice fait prévaloir une lecture formaliste de la structure sociétaire sur la réalité du contrôle économique (A), ce qui a pour conséquence de consacrer un obstacle procédural significatif pour les investisseurs dans le secteur bancaire (B).
A. La prévalence de l’autonomie de la personnalité morale sur la réalité économique du groupe
La Cour refuse de prendre en considération l’argument de la requérante tiré de sa qualité de « propriétaire ultime » et de l’existence d’un « groupe bancaire » qu’elle contrôlait intégralement. En s’en tenant à l’écran des personnalités morales distinctes de la société mère, de la société holding et de la filiale, elle applique de manière orthodoxe le principe de l’autonomie de la personnalité morale. Juridiquement, chaque société a un patrimoine et des droits propres. L’influence que la société mère peut exercer sur sa sous-filiale est un fait économique, non un droit juridiquement protégé susceptible d’être directement affecté par la décision de résolution.
Cette analyse, bien qu’irréprochable au regard des principes du droit des sociétés, ignore la réalité économique et décisionnelle des groupes intégrés. Dans de telles structures, la société mère ultime est souvent la véritable détentrice du pouvoir de direction et la principale intéressée aux résultats économiques de l’ensemble. En l’espèce, la perte de la filiale slovène se répercute in fine sur le patrimoine de la requérante. La Cour juge cependant que cette répercussion n’est qu’indirecte, filtrée par la personnalité morale de la société holding intermédiaire. En ce sens, l’arrêt privilégie une sécurité juridique formelle au détriment d’une approche plus pragmatique qui reconnaîtrait l’unité économique du groupe.
B. La consécration d’un obstacle procédural à l’effectivité du recours
La conséquence directe de cet arrêt est de limiter considérablement les voies de recours pour les investisseurs qui structurent leurs participations à travers des sociétés holdings. L’actionnaire ultime, qui est pourtant celui qui subit la perte économique finale, se voit privé de la possibilité de contester directement la légalité d’une mesure de résolution qui anéantit la valeur d’une partie de son investissement. La Cour rappelle que les intérêts financiers de la requérante « se confondent avec ceux de l’actionnaire direct […] de sorte qu’ils ne sont affectés que de façon indirecte ».
Cette solution place l’investisseur indirect dans une situation délicate. Pour contester la décision, il dépendrait du bon vouloir de l’actionnaire direct, la société holding intermédiaire, pour former un recours. Si cette dernière, pour une raison ou une autre, s’abstient d’agir, l’actionnaire ultime ne dispose d’aucun moyen de faire valoir ses droits. Cette situation soulève une question quant à l’effectivité de la protection juridictionnelle garantie par les traités européens. En érigeant une barrière procédurale fondée sur la structure formelle du groupe, la jurisprudence de la Cour pourrait être perçue comme créant une immunité de fait pour les décisions de résolution face aux contestations des investisseurs les plus importants mais structurellement les plus éloignés.