Cour de justice de l’Union européenne, le 15 mars 2005, n°C-209/03

Par un arrêt du 15 mars 2005, la Cour de justice des Communautés européennes a précisé les conditions d’accès des citoyens de l’Union aux aides à l’entretien pour les étudiants, en se fondant sur le principe de non-discrimination et la citoyenneté européenne.

En l’espèce, un ressortissant français, arrivé au Royaume-Uni en 1998 pour accompagner sa mère qui y suivait un traitement médical, a achevé ses études secondaires sur le territoire britannique tout en résidant chez sa grand-mère. Ayant commencé en 2001 des études universitaires à Londres, il a sollicité une aide financière sous la forme d’un prêt subventionné pour couvrir ses frais d’entretien. Cette demande lui fut refusée par les autorités nationales au motif qu’il n’était pas « établi » au Royaume-Uni, une condition requise par la législation nationale pour l’octroi d’une telle aide. En effet, cette législation prévoyait qu’un étudiant ne pouvait acquérir ce statut. Saisi du litige, la High Court of Justice (England & Wales), Queen’s Bench Division (Administrative Court), a adressé à la Cour de justice une demande de décision préjudicielle. Les autorités britanniques soutenaient que les aides à l’entretien des étudiants ne relevaient pas du champ d’application du traité, se fondant sur une jurisprudence antérieure. Le demandeur faisait valoir, au contraire, que le refus qui lui était opposé constituait une discrimination prohibée par l’article 12 du traité CE.

Il était ainsi demandé à la Cour si une aide à l’entretien des étudiants relève du champ d’application du traité et, dans l’affirmative, si un État membre peut la conditionner à une exigence d’établissement qui exclut de fait les ressortissants d’autres États membres.

La Cour répond par l’affirmative à la première interrogation et considère que la condition d’établissement constitue une discrimination indirecte non justifiée. Elle juge qu’une aide à l’entretien, octroyée à un étudiant séjournant légalement dans un État membre, entre dans le champ d’application du traité et que le principe de non-discrimination s’oppose à une réglementation nationale qui la subordonne à un statut d’établi impossible à obtenir pour un ressortissant d’un autre État membre, dès lors que celui-ci a démontré un lien réel avec la société de l’État d’accueil.

L’arrêt marque une évolution significative en rattachant l’aide à l’entretien des étudiants au statut de citoyen de l’Union (I), tout en définissant les contours de l’égalité de traitement en la matière par la reconnaissance d’une exigence d’intégration (II).

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I. L’extension du champ d’application du traité à l’aide à l’entretien des étudiants

La Cour opère un revirement par rapport à sa jurisprudence antérieure en fondant sa solution sur le statut de citoyen de l’Union (A), ce qui a pour effet d’inclure les aides à l’entretien dans le champ du principe de non-discrimination (B).

A. La citoyenneté de l’Union, fondement du droit à l’égalité de traitement

La Cour de justice prend acte de l’évolution du droit communautaire depuis ses arrêts de 1988 qui excluaient en principe les aides aux étudiants du champ d’application du traité. L’introduction de la citoyenneté de l’Union par le traité de Maastricht a modifié la portée du droit communautaire. La Cour réaffirme que « le statut de citoyen de l’Union a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des États membres ». Ce statut permet à ceux qui se trouvent dans la même situation d’obtenir le même traitement juridique, indépendamment de leur nationalité. Le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, conféré par l’article 18 CE, constitue une manifestation essentielle de cette citoyenneté.

Un citoyen de l’Union qui, comme le requérant, séjourne légalement sur le territoire d’un autre État membre peut donc se prévaloir de l’interdiction de toute discrimination en raison de la nationalité, posée à l’article 12 CE. La Cour précise qu’un ressortissant d’un État membre qui habite dans un autre État membre où il a poursuivi et terminé ses études secondaires bénéficie d’un droit de séjour sur le fondement de l’article 18 CE et de la directive 90/364. Le fait que ce séjour soit motivé par des études ne prive pas le citoyen des droits que lui confère le traité. Ainsi, la situation du demandeur, en tant que citoyen de l’Union résidant légalement au Royaume-Uni, relève bien du domaine d’application du traité.

B. L’inclusion des aides à l’entretien dans le principe de non-discrimination

Fort de ce constat, la Cour juge que la situation d’un citoyen de l’Union qui séjourne légalement dans un autre État membre « entre dans le champ d’application du traité au sens de l’article 12, premier alinéa, CE en vue de l’obtention d’une aide accordée aux étudiants, que ce soit sous la forme d’un prêt subventionné ou d’une bourse, et visant à couvrir ses frais d’entretien ». La Cour écarte l’argument selon lequel l’article 3 de la directive 93/96, qui précise que la directive ne fonde pas un droit au paiement de bourses d’entretien, ferait obstacle à cette conclusion. Elle estime que cette disposition n’empêche pas un ressortissant séjournant légalement dans un autre État membre sur le fondement de l’article 18 CE d’invoquer le principe d’égalité de traitement.

La Cour confirme cette interprétation en se référant à la directive 2004/38, adoptée postérieurement aux faits mais éclairant l’évolution du droit. Cette directive, en prévoyant des limitations possibles à l’octroi d’aides d’entretien pour les étudiants n’ayant pas acquis un droit de séjour permanent, reconnaît implicitement que ces aides relèvent désormais du domaine d’application du traité. Par conséquent, toute aide à l’entretien accordée par un État membre à ses nationaux doit, en principe, être accessible aux autres citoyens de l’Union dans les mêmes conditions.

Une fois l’aide aux étudiants intégrée au champ du traité, il incombait à la Cour d’examiner la compatibilité de la réglementation nationale avec le principe d’égalité de traitement.

II. L’encadrement des conditions d’octroi de l’aide au prisme de l’intégration

La Cour constate que la législation britannique instaure une discrimination indirecte (A), mais admet qu’un État membre puisse légitimement exiger la preuve d’un certain degré d’intégration dans sa société (B).

A. La caractérisation d’une discrimination indirecte fondée sur la nationalité

Le principe d’égalité de traitement prohibe non seulement les discriminations directes, fondées sur la nationalité, mais aussi les formes dissimulées de discrimination. Une mesure qui, bien qu’applicable sans distinction de nationalité, désavantage en fait principalement les ressortissants d’autres États membres est considérée comme indirectement discriminatoire. En l’espèce, la réglementation britannique subordonnait l’octroi du prêt étudiant à deux conditions : une condition de résidence de trois ans et la nécessité d’être « établi » au Royaume-Uni.

La Cour observe que « de telles exigences risquent de désavantager principalement les ressortissants d’autres États membres ». La condition d’être établi, en particulier, est au cœur de la discrimination, car la législation nationale excluait expressément qu’un étudiant puisse obtenir ce statut. Cette condition, bien que formulée de manière neutre, crée une distinction infranchissable. La Cour conclut qu’un tel traitement ne peut être justifié que s’il se fonde sur des considérations objectives et s’il est proportionné à l’objectif légitimement poursuivi.

B. La légitimation d’un critère d’intégration comme justification objective

Le gouvernement du Royaume-Uni soutenait qu’il était légitime de n’accorder une aide qu’aux étudiants présentant un lien réel avec le marché du travail de l’État membre d’accueil. La Cour rejette cet argument, estimant que les connaissances acquises lors d’études supérieures ne destinent pas un étudiant à un marché du travail géographique donné. En revanche, la Cour admet qu’il est « légitime pour un État membre de n’octroyer une telle aide qu’aux étudiants ayant démontré un certain degré d’intégration dans la société de cet État ». Cette exigence permet de s’assurer que l’octroi d’aides ne devienne pas une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale national.

Selon la Cour, ce degré d’intégration peut être établi par la constatation d’un séjour d’une certaine durée dans l’État membre d’accueil. La condition d’une résidence de trois ans imposée par le droit britannique pouvait ainsi être considérée comme apte à garantir cette intégration. Cependant, la condition supplémentaire et dirimante d’être « établi » est jugée disproportionnée. En effet, elle empêche un étudiant qui, comme en l’espèce, a séjourné légalement, effectué une partie importante de sa scolarité et a ainsi établi un « lien réel avec la société » de l’État d’accueil, de poursuivre ses études dans les mêmes conditions qu’un ressortissant national. Le traitement discriminatoire n’est donc pas justifié.

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