Cour de justice de l’Union européenne, le 15 mars 2017, n°C-528/15

Par un arrêt du 15 mars 2017, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les conditions dans lesquelles un État membre peut placer en rétention un demandeur de protection internationale en vue de son transfert vers un autre État membre. En l’espèce, des ressortissants d’un pays tiers, après avoir déposé une demande d’asile en Hongrie, ont été appréhendés par les autorités policières en République tchèque. Ces dernières, constatant que les intéressés avaient quitté le camp de réfugiés hongrois dans l’intention de se rendre dans un autre État et qu’ils ne disposaient ni d’un titre de séjour ni d’un hébergement, ont décidé de les placer en rétention pour une durée de trente jours afin de garantir leur remise à la Hongrie. Cette décision de placement en rétention fut prise sur le fondement de la législation nationale, lue à la lumière de l’article 28, paragraphe 2, du règlement (UE) n° 604/2013, dit Dublin III. Saisie d’un recours, une juridiction régionale tchèque a annulé cette décision, au motif que le droit national ne définissait pas les critères objectifs permettant d’apprécier l’existence d’un risque de fuite, comme l’exige l’article 2, sous n), du même règlement. La police des étrangers a alors formé un pourvoi devant la Cour administrative suprême, laquelle a décidé de surseoir à statuer et d’interroger la Cour de justice sur la question de savoir si l’absence, dans la loi nationale, de critères objectifs définissant le risque de fuite empêche le placement en rétention d’un demandeur. La Cour de justice répond par l’affirmative, en jugeant que les États membres sont tenus de fixer ces critères dans une disposition contraignante de portée générale, dont l’absence rend inapplicable la faculté de placement en rétention. Cette solution réaffirme la primauté des garanties fondamentales dans l’application du droit de l’Union (I), tout en clarifiant la portée des obligations incombant aux États membres dans la mise en œuvre du système de Dublin (II).

I. La réaffirmation de la primauté des garanties fondamentales

La Cour de justice fonde sa décision sur une interprétation stricte de la notion de « loi » au sens du règlement Dublin III, laquelle est directement liée à la protection du droit fondamental à la liberté. Elle s’attache à la finalité de la norme pour exiger une base légale précise et prévisible (A), consacrant ainsi le droit à la liberté comme un principe directeur de la procédure de transfert (B).

A. L’exigence d’une base légale précise et prévisible

La Cour constate que l’article 28, paragraphe 2, du règlement Dublin III permet le placement en rétention d’un demandeur lorsqu’il existe « un risque non négligeable de fuite », et que l’article 2, sous n), du même règlement définit ce risque comme étant fondé sur des « critères objectifs définis par la loi ». Face aux divergences des versions linguistiques du terme « loi », la Cour écarte une interprétation purement textuelle pour privilégier une analyse téléologique et systémique. Elle rappelle que le règlement Dublin III vise non seulement à améliorer l’efficacité du système, mais aussi à renforcer « la protection octroyée aux demandeurs ». Or, le placement en rétention constitue une ingérence grave dans le droit à la liberté garanti par l’article 6 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Conformément à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, toute limitation à l’exercice d’un droit fondamental doit être prévue par la loi. La Cour, se référant à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, souligne que cette exigence concerne non seulement l’existence d’une base légale, mais aussi la « qualité de la loi », qui doit être « suffisamment accessible, précise et prévisible dans son application afin d’éviter tout danger d’arbitraire ». En conséquence, une simple pratique administrative, même constante et sanctionnée par une jurisprudence, ne saurait satisfaire à cette exigence. La Cour juge que seule « une disposition de portée générale saurait répondre aux exigences de clarté, de prévisibilité, d’accessibilité et, en particulier, de protection contre l’arbitraire ».

B. La consécration du droit à la liberté comme principe directeur

En subordonnant la rétention à l’existence de critères légaux clairs, la Cour réaffirme que la liberté est la règle et la détention l’exception. Le placement en rétention, même dans le cadre administratif d’un transfert entre États membres, est une mesure de privation de liberté qui doit être entourée de garanties strictes. La Cour rappelle que l’article 28 du règlement Dublin III limite déjà de manière importante le pouvoir des États membres, en interdisant la rétention au seul motif du dépôt d’une demande de protection internationale et en l’encadrant par les principes de nécessité et de proportionnalité.

L’exigence de critères objectifs définis par la loi vient renforcer cet encadrement en limitant le pouvoir d’appréciation des autorités nationales. Ces dernières ne peuvent se fonder sur une évaluation subjective ou discrétionnaire de la situation. Les motifs justifiant une crainte de fuite doivent être préétablis dans un texte contraignant et accessible, permettant ainsi au demandeur de connaître les raisons potentielles de sa rétention et d’en contester la légalité en pleine connaissance de cause. La Cour précise que des critères fixés dans une telle disposition « se prêtent le mieux au contrôle externe du pouvoir d’appréciation desdites autorités, afin de protéger les demandeurs contre des privations de liberté arbitraires ». La solution retenue s’inscrit donc dans une logique de protection juridictionnelle effective des droits fondamentaux.

II. La clarification des obligations des États membres

Au-delà du renforcement des droits des demandeurs, l’arrêt précise la portée des obligations qui pèsent sur les États membres dans le cadre du régime d’asile européen commun. Il leur impose une obligation positive de légiférer (A) et assortit cette obligation d’une sanction dissuasive et immédiate en cas de manquement (B).

A. L’obligation positive de transposer les critères objectifs

La Cour établit sans équivoque que, nonobstant le principe de l’applicabilité directe des règlements, certaines de leurs dispositions peuvent nécessiter des mesures nationales d’application. C’est le cas de l’article 2, sous n), du règlement Dublin III, qui renvoie expressément au droit national pour la définition des critères objectifs du risque de fuite. La Cour estime qu’il « s’ensuit que des critères tels que ceux visés à l’article 2, sous n), du règlement Dublin III nécessitent une mise en œuvre dans le droit national de chaque État membre ». Cette interprétation met fin à toute ambiguïté et impose aux États membres une obligation d’action.

Cette obligation ne peut être remplie par le simple maintien d’une pratique administrative ou la consolidation d’une jurisprudence. Les États doivent adopter une « disposition contraignante de portée générale », c’est-à-dire un acte législatif ou réglementaire, pour définir les circonstances factuelles pouvant caractériser un risque de fuite. L’arrêt constitue ainsi un rappel à l’ordre pour les États membres qui n’auraient pas adapté leur législation, en soulignant que la correcte application du système de Dublin dépend de la diligence avec laquelle ils transposent les garanties qu’il prévoit dans leur ordre juridique interne.

B. La sanction de l’inapplicabilité du placement en rétention

La portée de la décision est d’autant plus grande que la Cour y attache une conséquence radicale. Elle ne se limite pas à constater l’illégalité de la rétention en l’espèce, mais elle prive de tout effet la disposition permettant cette mesure en l’absence de législation nationale adéquate. La Cour juge que « l’absence d’une telle disposition entraîne l’inapplicabilité de l’article 28, paragraphe 2, de ce règlement ». Cette sanction est à la fois directe et absolue : un État membre qui n’a pas défini les critères objectifs de risque de fuite dans un acte contraignant de portée générale perd purement et simplement la faculté de placer un demandeur en rétention pour garantir son transfert.

Cette solution confère à l’arrêt une portée considérable. Elle ne se contente pas d’inciter les États membres à légiférer, elle les y contraint sous peine de paralyser une partie du mécanisme de transfert. En conditionnant l’usage d’un outil coercitif à la mise en place préalable de garanties légales claires, la Cour assure la prééminence du droit fondamental à la liberté sur les considérations d’efficacité administrative. Elle rappelle ainsi que la gestion des flux migratoires, bien que relevant de la compétence des États, doit impérativement s’exercer dans le respect scrupuleux des droits et des garanties prévus par le droit de l’Union.

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Hassan KOHEN
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