Cour de justice de l’Union européenne, le 15 mars 2018, n°C-355/16

Par un arrêt rendu le 15 mars 2018, la Cour de justice de l’Union européenne précise l’articulation entre l’Accord sur la libre circulation des personnes et la fiscalité. Un ressortissant français a transféré sa résidence vers la Suisse en 2002, tout en conservant des participations substantielles dans plusieurs sociétés établies en France. L’administration fiscale a appliqué une imposition sur les plus-values latentes, exigeant la constitution de garanties pour obtenir un sursis de paiement. Le tribunal administratif de Montreuil puis la cour administrative d’appel de Versailles ayant rejeté ses demandes, le contribuable a saisi le Conseil d’État. La juridiction de renvoi a décidé de poser des questions préjudicielles sur l’interprétation du droit d’établissement au sens de l’accord bilatéral. Le problème juridique porte sur la compatibilité d’une taxe de sortie nationale avec les garanties offertes aux travailleurs indépendants par ledit accord. La Cour juge que le dispositif fiscal ne s’oppose pas aux stipulations conventionnelles dès lors que le contribuable ne remplit pas les conditions requises. L’étude de cette solution conduit à analyser l’étroit champ d’application personnel de l’accord, puis l’absence de transposition de la liberté d’établissement européenne.

I. La délimitation rigoureuse du champ d’application personnel de l’accord

A. L’inapplicabilité manifeste de la notion d’indépendant

La Cour de justice commence par examiner si la situation relève de la notion d’indépendant définie par les articles douze et treize de l’annexe première. Elle souligne que le droit d’établissement est réservé aux ressortissants désirant s’établir sur le territoire d’une autre partie pour y exercer une activité. En l’espèce, le contribuable entendait conserver son activité économique dans son État d’origine plutôt que de l’exercer sur le territoire de la Confédération suisse. La décision précise que « pour que ladite disposition soit applicable, la personne concernée doit exercer son activité non salariée sur le territoire d’une partie contractante ». Dès lors, l’activité de gestion des participations ne permet pas de se prévaloir des avantages du chapitre relatif aux indépendants au sein de cet accord.

B. L’éviction logique de la qualification de frontalier indépendant

Les juges écartent également la qualification de frontalier indépendant faute de preuve d’un retour quotidien ou hebdomadaire au domicile suisse depuis le lieu professionnel. L’arrêt relève que la personne demeure sur son territoire de résidence d’où elle entend diriger ses activités économiques situées dans son pays de départ. La Cour affirme qu’il « n’effectue pas chaque jour, ou au moins une fois par semaine, un trajet du lieu de son activité économique à celui de sa résidence ». Cette absence de mobilité physique entre les deux États contractants justifie l’impossibilité d’invoquer les dispositions protectrices prévues pour les travailleurs frontaliers. L’examen de cette inapplicabilité personnelle de l’accord invite désormais à considérer l’impossibilité pour le contribuable de se prévaloir d’une équivalence avec le droit de l’Union.

II. L’affirmation de l’autonomie du régime fiscal des États tiers

A. Le rejet d’une assimilation à la liberté d’établissement du marché intérieur

La juridiction européenne rappelle que la Confédération suisse n’appartient pas au marché intérieur de l’Union malgré la signature d’accords bilatéraux spécifiques. Elle en déduit que l’interprétation des libertés de circulation ne peut être transposée automatiquement aux relations avec cet État sans stipulations expresses contraires. L’arrêt souligne que « la Confédération suisse n’ayant pas adhéré au marché intérieur de l’Union, l’interprétation donnée des dispositions du droit de l’Union ne peut être transposée ». Cette position préserve la souveraineté fiscale des États membres vis-à-vis des résidents de pays tiers n’ayant pas accepté l’intégralité des règles communautaires.

B. L’absence d’influence de la jurisprudence postérieure sur l’équilibre conventionnel

Enfin, la Cour refuse d’appliquer sa jurisprudence antérieure relative à la liberté d’établissement aux faits de l’espèce en raison de la différence de portée. Elle considère que les principes dégagés pour le marché intérieur ne sauraient pallier les silences ou les limites textuelles de l’accord sur la circulation. Il est ainsi jugé que « ni le libellé ni la portée de cet article ne peuvent être assimilés à ceux des dispositions pertinentes de l’ALCP ». Cette solution confirme que les contribuables ne peuvent bénéficier d’une protection juridictionnelle étendue au-delà des termes strictement négociés par les parties contractantes.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture