Par un arrêt du 15 novembre 2016, la Cour de justice de l’Union européenne, réunie en grande chambre, a précisé les conditions dans lesquelles une limite d’âge au recrutement dans un corps de police peut être jugée compatible avec le droit de l’Union. En l’espèce, un candidat s’est vu refuser la participation à un concours de recrutement d’agents de la police de la Communauté autonome du Pays basque au motif qu’il avait dépassé l’âge maximal fixé à trente-cinq ans par la réglementation applicable. L’intéressé a contesté cette décision devant le Tribunal Superior de Justicia de la Comunidad Autónoma del País Vasco, soutenant qu’une telle exigence constituait une discrimination fondée sur l’âge, contraire à la directive 2000/78/CE. La juridiction de renvoi, constatant que les fonctions de la police autonome basque différaient de celles de la police locale examinées dans une affaire antérieure, a interrogé la Cour sur la compatibilité d’une telle limite d’âge avec le droit de l’Union. Il s’agissait de déterminer si l’interdiction de la discrimination en fonction de l’âge s’opposait à une réglementation nationale fixant un âge maximal de recrutement à trente-cinq ans pour l’accès à des fonctions de police exigeant des capacités physiques particulières. La Cour de justice a répondu par la négative, estimant qu’une telle différence de traitement peut être justifiée lorsqu’elle constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l’objectif de garantir le caractère opérationnel du service soit légitime et que la mesure soit proportionnée.
L’arrêt valide ainsi une justification de la différence de traitement fondée sur une analyse concrète des fonctions exercées (I), tout en encadrant cette validation par un contrôle de proportionnalité rigoureux et prospectif (II).
I. La justification de la discrimination par l’exigence professionnelle inhérente aux fonctions de police
La Cour reconnaît que la nature spécifique des missions de police peut justifier la fixation d’une limite d’âge au recrutement, en considérant que les capacités physiques constituent une exigence professionnelle essentielle (A) et que la préservation du caractère opérationnel du service est un objectif légitime (B).
A. La reconnaissance des capacités physiques comme exigence professionnelle essentielle
La Cour de justice admet qu’une caractéristique liée à l’âge, telle que la condition physique, puisse fonder une différence de traitement sans constituer une discrimination. Elle s’appuie sur l’article 4, paragraphe 1, de la directive 2000/78. La décision établit un lien direct entre les missions de maintien de l’ordre et la nécessité de posséder des aptitudes physiques spécifiques. Pour le juge de l’Union, « le fait de posséder des capacités physiques particulières pour pouvoir remplir les trois missions essentielles de la police de la Communauté autonome du Pays basque […] peut être considéré comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante ». Cette approche permet de considérer que l’âge n’est pas le critère direct, mais plutôt un indicateur de la présence d’une capacité physique jugée indispensable à l’exercice de la profession. Le raisonnement valide ainsi l’idée que certaines fonctions, par leur nature même, ne peuvent être exercées efficacement sans des prérequis physiques que l’avancement en âge tend à diminuer. La Cour ancre son analyse dans la réalité des tâches à accomplir, notamment celles qui impliquent le recours à la force physique pour la protection des personnes et des biens.
B. La légitimité de l’objectif de maintien du caractère opérationnel du service
Au-delà de l’exigence professionnelle, la Cour vérifie que l’objectif poursuivi par la réglementation nationale est légitime. En l’espèce, la mesure visait à garantir le bon fonctionnement et la capacité d’intervention du corps de police. Cet impératif est explicitement reconnu par la Cour comme un objectif valable. Elle rappelle en ce sens que « le souci d’assurer le caractère opérationnel et le bon fonctionnement des services de police constitue un objectif légitime, au sens de l’article 4, paragraphe 1, de cette directive ». La légitimité de cet objectif est renforcée par le considérant 18 de la directive, qui autorise les États membres à ne pas recruter des personnes qui ne posséderaient pas les capacités requises pour remplir l’ensemble de leurs fonctions. La décision de fixer un âge maximal au recrutement n’est donc pas une fin en soi, mais un moyen au service d’un but plus large qui est celui de l’efficacité de la sécurité publique. Cette reconnaissance ouvre la voie à une analyse de la proportionnalité de la mesure, qui doit être adaptée et nécessaire pour atteindre cet objectif précis.
La validation du principe d’une telle dérogation étant acquise, son application effective dépend d’une appréciation circonstanciée de sa proportionnalité, distinguant cette affaire de la jurisprudence antérieure.
II. Une appréciation renouvelée de la proportionnalité de la limite d’âge
La Cour de justice se livre à une analyse approfondie de la proportionnalité de la mesure, en la distinguant d’affaires précédentes sur la base des fonctions exercées (A) et en adoptant une approche dynamique qui prend en compte la gestion des effectifs sur le long terme (B).
A. Une distinction opérée au regard de la nature des missions exercées
La Cour prend soin de différencier la présente affaire de sa jurisprudence antérieure, notamment l’arrêt *Vital Pérez* du 13 novembre 2014, qui avait invalidé une limite d’âge de trente ans pour le recrutement dans la police locale. Cette distinction repose sur une comparaison factuelle des missions. La Cour note que, contrairement à la police locale dont les tâches sont souvent administratives ou de régulation de la circulation, la police autonome basque exerce des fonctions de maintien de l’ordre public sur l’ensemble du territoire. Elle souligne que la police de la Communauté autonome du Pays basque « a pour mission essentielle de protéger les personnes et les biens, de garantir le libre exercice de leurs droits et libertés et de veiller à la sécurité des citoyens ». Les agents nouvellement recrutés sont affectés à des fonctions opérationnelles qui « peuvent impliquer le recours à la force physique ainsi que l’accomplissement de missions dans des conditions d’intervention difficiles, voire extrêmes ». Cette analyse fonctionnelle permet à la Cour de conclure que des exigences différentes en matière de capacités physiques, et donc de limite d’âge, peuvent être justifiées pour des corps de police aux missions distinctes.
B. L’intégration d’une perspective dynamique dans le contrôle de proportionnalité
L’apport principal de l’arrêt réside dans son approche prospective de la proportionnalité. La Cour ne se limite pas à évaluer l’aptitude d’un candidat au moment du recrutement, mais intègre une vision à long terme de la gestion du corps de police. Elle prend en considération les arguments relatifs au vieillissement des effectifs et à la nécessité de garantir un nombre suffisant d’agents capables d’assurer les tâches les plus exigeantes pendant une période raisonnable. Un recrutement à un âge avancé « ne permettrait pas que les agents ainsi recrutés soient affectés pendant une durée suffisamment longue auxdites tâches ». De plus, la Cour estime que des épreuves physiques exigeantes au concours ne seraient pas une mesure alternative suffisante. En effet, l’objectif est d’assurer la capacité opérationnelle de manière « dynamique, en prenant en considération les années de service qui seront accomplies par l’agent après qu’il aura été recruté ». Cette analyse, qui vise à assurer un équilibre raisonnable au sein de la pyramide des âges, confère une portée significative à la décision en fournissant aux États membres un cadre pour justifier des limites d’âge dans les services exigeant des capacités physiques maintenues sur la durée.