La Cour de justice de l’Union européenne, réunie en grande chambre, a rendu le 15 novembre 2022 un arrêt essentiel concernant la coopération judiciaire civile. Cette décision précise si un acte de divorce établi par un officier de l’état civil constitue une décision au sens du règlement Bruxelles deux bis. En l’espèce, deux époux de nationalités allemande et italienne ont dissous leur union devant un officier de l’état civil en Italie par consentement mutuel. L’un des conjoints a sollicité la transcription de ce divorce sur les registres de l’état civil en Allemagne sans procédure de reconnaissance préalable. Le service compétent a subordonné cette inscription à une décision de l’autorité judiciaire nationale, provoquant ainsi un litige relatif à l’application du droit européen.
L’Amtsgericht de première instance a décidé le 1er juillet 2019 que l’inscription du divorce extrajudiciaire exigeait une reconnaissance préalable par l’autorité judiciaire du Land. Saisi d’un recours, le Kammergericht Berlin a infirmé cette position en interdisant au service de l’état civil de subordonner l’inscription à une telle procédure de vérification. L’autorité de surveillance a alors saisi le Bundesgerichtshof d’un pourvoi en vue d’obtenir le rétablissement de l’ordonnance rendue par le juge de première instance. La question de droit posée est de savoir si un acte de divorce privé, confirmé par un officier public, entre dans la définition européenne de la décision. La Cour de justice affirme qu’un tel acte constitue une décision dès lors que l’autorité exerce un contrôle effectif sur le fond et les conditions du divorce.
**I. L’assimilation fonctionnelle de l’acte extrajudiciaire à la notion de décision**
**A. Une interprétation autonome et large des termes du règlement**
La Cour rappelle que les termes d’une disposition ne comportant aucun renvoi au droit des États membres doivent trouver une interprétation autonome et uniforme. Le terme de décision doit donc être recherché en tenant compte non seulement des termes de la disposition, mais également du contexte et des objectifs poursuivis. Selon le juge européen, « la notion de décision en matière de divorce vise toute décision de divorce, quelle que soit sa dénomination, qui est rendue par une autorité ». Cette définition textuelle permet d’inclure des organes qui ne sont pas nécessairement des juridictions au sens classique du terme organique dans le champ d’application.
L’objectif de faciliter la reconnaissance des décisions rendues dans les États membres justifie cette approche extensive pour garantir la libre circulation des actes de l’état civil. Le règlement « est susceptible de couvrir les décisions de divorce intervenues au terme d’une procédure tant judiciaire qu’extrajudiciaire » pourvu que le droit national leur confère compétence. Cette interprétation garantit que l’évolution des législations nationales vers la déjudiciarisation ne fragilise pas l’espace judiciaire européen fondé sur la confiance mutuelle entre les administrations étatiques. La nature de l’autorité importe moins que la mission de service public qu’elle remplit effectivement dans le cadre de la dissolution du lien matrimonial.
**B. Le critère déterminant de l’examen au fond par l’autorité**
La qualification de décision dépend impérativement du degré de contrôle exercé par l’autorité publique sur l’accord conclu librement par les époux lors de la procédure. Le juge européen précise que l’autorité doit garder le contrôle du prononcé du divorce, ce qui implique un examen de la validité du consentement des deux conjoints. L’exigence fondamentale réside dans le fait que l’autorité ne se contente pas de prendre acte d’une transaction mais « statue de sa propre autorité sur des points litigieux ». Cette distinction permet de séparer les simples divorces privés, exclus du règlement, des actes authentiques qui bénéficient d’un régime de reconnaissance automatique plus protecteur.
Dans le cas italien, l’officier de l’état civil doit s’assurer du caractère valable, libre et éclairé du consentement après un intervalle de réflexion de trente jours. Il procède à un examen du contenu de l’accord au regard des dispositions légales, vérifiant l’absence d’enfants mineurs ou de transmissions de patrimoines immobiliers complexes. L’officier de l’état civil « n’est pas habilité à prononcer le divorce si une ou plusieurs des conditions prévues à cette disposition ne sont pas remplies ». Ce pouvoir de refus démontre l’existence d’un contrôle de légalité substantiel qui confère à l’acte sa dimension d’acte d’autorité publique et non purement contractuel.
**II. L’extension maîtrisée de la confiance mutuelle aux divorces par consentement**
**A. La préservation de l’effet utile du principe de reconnaissance automatique**
Le principe de confiance mutuelle constitue la pierre angulaire de la création d’un véritable espace judiciaire européen sans frontières intérieures pour les citoyens de l’Union. La Cour souligne que la reconnaissance doit être automatique sans qu’il soit nécessaire de recourir à aucune procédure complexe devant les autorités judiciaires de l’État requis. En qualifiant l’accord devant l’officier civil de décision, le juge européen évite la multiplication des obstacles administratifs lors de la mise à jour des registres nationaux. Cette solution assure une protection efficace des droits acquis dans un État membre, empêchant ainsi la formation de situations juridiques boiteuses au sein de l’espace commun.
L’interprétation retenue permet de limiter les motifs de non-reconnaissance aux seuls cas prévus exhaustivement par le règlement, notamment l’atteinte manifeste à l’ordre public de l’État requis. La reconnaissance ne peut être refusée au motif que la loi de l’État requis ne permet pas le divorce sur la base de faits identiques. Le juge privilégie ainsi une approche pragmatique qui accompagne le mouvement de simplification des procédures familiales observé dans de nombreux systèmes juridiques contemporains de l’Union. Cette fluidité administrative renforce la sécurité juridique des époux qui ont choisi de recourir à une voie extrajudiciaire plus rapide mais tout aussi solennelle.
**B. La portée clarificatrice de la décision au regard de l’évolution législative**
L’arrêt s’inscrit dans une perspective de continuité temporelle entre le règlement initial et la refonte opérée par le nouveau texte dénommé Bruxelles deux ter. Le législateur de l’Union a visé non pas à introduire des règles nouvelles, mais uniquement à « clarifier » la portée de la règle déjà inscrite auparavant. Le critère relatif à l’examen sur le fond permet désormais de distinguer clairement la notion de décision de celles d’acte authentique et d’accord entre parties. Cette précision jurisprudentielle confirme que l’évolution législative de deux mille dix-neuf n’était qu’une codification d’un principe déjà latent dans le régime juridique antérieur.
Cette décision clôt le débat doctrinal sur la nécessité d’une intervention judiciaire systématique pour caractériser une décision européenne en matière de divorce par consentement mutuel. Elle valide les procédures administratives rigoureuses comme substituts légitimes aux jugements classiques dès lors qu’un officier public garantit le respect de l’ordre public et des volontés. L’arrêt renforce ainsi l’unité du droit de l’Union en imposant une lecture fonctionnelle des compétences nationales au service de la libre circulation des personnes. La solution retenue par la grande chambre offre une assise théorique solide pour l’application des futurs règlements relatifs à la coopération judiciaire en matière civile.