Cour de justice de l’Union européenne, le 15 octobre 2015, n°C-251/14

En l’espèce, une autorité nationale a infligé une sanction à une société au motif que le carburant diesel qu’elle commercialisait n’était pas conforme à une norme nationale. Cette non-conformité résidait dans le non-respect d’une exigence relative au point éclair du carburant. La société a contesté cette sanction devant les juridictions nationales, soutenant que la réglementation nationale imposait des contraintes plus strictes que celles prévues par le droit de l’Union européenne, et ce, en violation des procédures d’information établies. Saisie du litige, la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de poser plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne.

Il était demandé à la Cour de déterminer si un État membre peut imposer des exigences qualitatives supplémentaires pour les carburants, non prévues par la directive 98/70/CE, sans méconnaître le cadre d’harmonisation communautaire. La question se posait également de savoir si le fait de rendre obligatoire une norme technique nationale, sans que celle-ci ait été préalablement notifiée à la Commission et sans qu’elle soit disponible dans la langue officielle de l’État, est compatible avec la directive 98/34/CE. La Cour a répondu que le droit de l’Union ne s’oppose pas à l’instauration d’une exigence qualitative supplémentaire si celle-ci ne poursuit pas des objectifs de protection de la santé ou de l’environnement. Elle a également jugé que ni l’obligation d’une norme nationale ni l’absence de sa traduction ne violent en soi les obligations procédurales prévues par le droit de l’Union.

La solution retenue par la Cour de justice consacre ainsi une autonomie réglementaire résiduelle des États membres dans le domaine des spécifications techniques des carburants (I), tout en offrant une lecture restrictive des obligations formelles qui encadrent l’adoption de ces normes (II).

I. La conciliation des exigences nationales de sécurité avec le cadre harmonisé de la qualité des carburants

L’arrêt précise la portée de l’harmonisation menée par la directive 98/70/CE en reconnaissant une marge de manœuvre aux États membres pour des motifs non couverts par ce texte (A), affirmant ainsi leur compétence dans la définition de certaines normes techniques (B).

A. La reconnaissance d’une marge de manœuvre nationale en dehors des spécifications environnementales et sanitaires

La Cour de justice interprète les articles 4, paragraphe 1, et 5 de la directive 98/70/CE de manière à délimiter strictement le champ de l’harmonisation opérée. Elle juge que cette directive ne fait pas obstacle à ce qu’un droit national prévoie des exigences qualitatives supplémentaires pour les carburants diesel, « dès lors qu’il ne s’agit pas d’une spécification technique des carburants diesel ayant trait à la protection de la santé et de l’environnement ». Ce faisant, la Cour opère une distinction fondamentale entre les spécifications harmonisées au niveau de l’Union, qui visent des objectifs environnementaux et sanitaires, et les autres spécifications techniques qui peuvent être édictées par les États membres pour poursuivre d’autres finalités.

L’exigence relative au point éclair, en cause dans l’affaire au principal, relève vraisemblablement de considérations de sécurité publique liées à l’inflammabilité du produit. En considérant que de telles spécifications ne sont pas régies par la directive, la Cour préserve la compétence des États pour réglementer des aspects techniques non harmonisés. L’harmonisation opérée par le droit de l’Union, bien que visant à assurer la libre circulation des marchandises, n’est donc pas totale et laisse subsister des domaines où la réglementation nationale conserve sa pertinence.

B. La portée de l’autonomie étatique dans la définition des normes techniques

En validant l’exigence nationale, la Cour confirme que le principe de subsidiarité trouve à s’appliquer dans des domaines techniques précis. L’autonomie des États membres n’est pas entièrement effacée par l’harmonisation ; elle est simplement circonscrite aux objectifs non poursuivis par la législation de l’Union. Cette solution offre un équilibre entre la nécessité d’un marché intérieur unifié pour les carburants et le maintien des prérogatives étatiques en matière de protection des citoyens contre des risques spécifiques, tels que les risques d’incendie.

Cette décision a une portée significative pour les opérateurs économiques. Elle les contraint à une double vigilance : ils doivent non seulement respecter les spécifications harmonisées au niveau européen, mais également se conformer aux éventuelles exigences techniques additionnelles imposées par chaque État membre sur son territoire, pour autant que ces dernières poursuivent des objectifs légitimes non couverts par le droit de l’Union. La complexité réglementaire s’en trouve accrue, mais cette complexité est présentée comme la contrepartie nécessaire à une protection plus complète des intérêts publics.

Après avoir clarifié l’étendue de la compétence matérielle des États, la Cour se penche sur les conditions formelles de l’édiction de telles normes.

II. L’interprétation restrictive des obligations procédurales liées aux normes techniques

L’arrêt se prononce ensuite sur la compatibilité de la pratique nationale avec la directive 98/34/CE, relative à la procédure d’information dans le domaine des normes. La Cour admet qu’une norme puisse être rendue obligatoire sans notification (A) et qu’elle ne soit pas nécessairement traduite (B).

A. L’admission du caractère obligatoire d’une norme nationale sans notification préalable

La Cour de justice considère que le simple fait de rendre une norme nationale obligatoire ne contrevient pas à l’article 1er, points 6 et 11, de la directive 98/34/CE. Cette interprétation est notable car la transformation d’une norme volontaire en une exigence légale obligatoire s’apparente à l’édiction d’une « règle technique » normalement soumise à l’obligation de notification préalable à la Commission européenne. Cette procédure vise précisément à prévenir la création de nouvelles entraves techniques aux échanges intracommunautaires.

En jugeant que la directive « ne s’oppose pas à ce qu’un État membre rende obligatoire une norme nationale telle que la norme hongroise msz en 590:2009 », la Cour semble adopter une lecture très stricte de la définition d’une règle technique soumise à notification. Elle suggère qu’une distinction peut être faite entre l’élaboration d’une nouvelle règle et le fait de conférer une force contraignante à une norme préexistante, notamment une norme européenne transposée (EN). Cette analyse pourrait affaiblir le mécanisme préventif de la directive 98/34 en autorisant les États à contourner l’obligation de notification par ce biais, au risque de voir apparaître des barrières techniques non examinées par la Commission.

B. L’absence d’exigence de traduction de la norme applicable

Enfin, la Cour interprète l’article 1er, point 6, de la directive 98/34 en ce sens qu’il « n’exige pas qu’une norme au sens de cette disposition soit rendue disponible dans la langue officielle de l’État membre concerné ». Cette solution est empreinte de pragmatisme. Les normes techniques, souvent issues d’organismes de normalisation internationaux ou européens, sont rédigées dans des langues de travail spécifiques et leur traduction systématique représenterait un coût et un délai considérables.

Cependant, cette position soulève des questions au regard du principe de sécurité juridique et du droit d’accès à la loi. Les opérateurs économiques, en particulier les petites et moyennes entreprises, pourraient rencontrer des difficultés à prendre connaissance de leurs obligations si les normes qui leur sont opposables ne sont pas accessibles dans une langue qu’ils maîtrisent. La Cour fait ici primer l’efficacité du processus de normalisation sur l’accessibilité linguistique de la règle technique, plaçant la charge de la compréhension de la norme sur les professionnels du secteur concerné, réputés disposer des compétences techniques et linguistiques nécessaires.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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