La Cour de justice de l’Union européenne a rendu le 20 mai 2021 une décision capitale relative à l’interprétation du régime douanier des engrais. Le litige oppose une société importatrice aux autorités douanières nationales concernant le calcul des droits antidumping sur des produits originaires d’un pays tiers. Les services de contrôle ont procédé au redressement d’une déclaration d’importation portant sur des engrais solides à base de nitrate d’ammonium et d’azote. La procédure administrative initiale a donné lieu à un rejet de la réclamation, entraînant la saisine de la Commission des litiges fiscaux en Lituanie. Cette instance a décidé de surseoir à statuer pour interroger la juridiction européenne sur la validité d’une présomption liant la teneur en azote au nitrate d’ammonium. La question posée vise à déterminer si un taux d’azote supérieur à 28 % implique systématiquement une teneur en nitrate d’ammonium excédant 80 %. La Cour précise que cette équivalence technique constitue une présomption valide mais réfragable, dont la preuve contraire incombe à l’importateur selon les règles procédurales nationales.
I. L’établissement d’une présomption de composition chimique fondée sur l’azote
A. La validité scientifique d’une déduction de teneur automatisée
La juridiction souligne que la définition des produits taxables repose sur des caractéristiques physiques précises dont le lien logique assure la cohérence du tarif douanier. Le juge rappelle que « le rapport entre la teneur en nitrate d’ammonium et la teneur en azote, qui dépend de la masse atomique des éléments, est de 2,86 ». Cette donnée mathématique permet d’affirmer que « si le produit concerné contient plus de 28 % en poids d’azote, il contient automatiquement plus de 80 % de nitrate d’ammonium ».
L’institution européenne valide ainsi une méthode de calcul simplifiée évitant des analyses de laboratoire systématiques et coûteuses lors de chaque opération de dédouanement. Cette approche garantit une prévisibilité indispensable pour les opérateurs économiques tout en facilitant la mission de surveillance des autorités douanières aux frontières de l’Union. La prémisse scientifique utilisée lie indissociablement l’origine de l’azote à la présence majoritaire du composé chimique dont l’importation fait l’objet d’une mesure de protection.
B. L’application extensive aux engrais composés par ouvraison
L’arrêt étend cette logique aux nouveaux types de produits fertilisants ayant subi une transformation chimique ou un mélange avec d’autres éléments majeurs comme le potassium. La Cour observe que « cette ouvraison n’a eu aucune influence sur les caractéristiques chimiques essentielles du nitrate d’ammonium contenu dans ces produits » spécifiques. Il en résulte que le classement tarifaire doit s’opérer indépendamment de la complexité finale de l’engrais dès lors que le composant protégé reste dominant.
L’objectif de cette interprétation est d’empêcher le contournement des droits antidumping par la simple adjonction de matières accessoires ne modifiant pas la nature du produit. La Cour maintient l’unité de la définition du produit concerné afin de préserver l’efficacité des mesures de défense commerciale instituées par les règlements successifs. Cette continuité assure que les engrais composés restent soumis à la même rigueur de contrôle que les engrais simples lorsque leur base azotée est équivalente.
II. L’encadrement juridique d’une présomption au service de l’efficacité douanière
A. La nature réfragable du constat technique face aux réalités matérielles
Le juge européen tempère l’automatisme du calcul en rappelant que la réalité effective de la marchandise prime sur les déductions purement théoriques des règlements. Il affirme explicitement que « la présomption établie aux considérants 20 à 23 du règlement présente un caractère réfragable » au bénéfice de l’opérateur économique diligent. Cette précision fondamentale évite que des mesures antidumping ne soient appliquées à des produits ne correspondant pas aux définitions légales strictes du tarif douanier.
La protection des droits de la défense impose que l’importateur puisse démontrer l’inexactitude de la présomption par des preuves matérielles tangibles lors de l’importation. La Cour souligne que le critère décisif reste la teneur effective en nitrate d’ammonium et non la seule valeur mathématique présumée par les services administratifs. Cette nuance protège les entreprises contre une application mécanique de la loi qui méconnaîtrait la composition réelle des produits chimiques complexes mis en libre pratique.
B. Le rôle des juridictions nationales dans l’administration de la preuve
La décision renvoie aux ordres juridiques internes le soin de définir les modalités pratiques permettant de renverser la présomption établie par la réglementation européenne. La Cour rappelle qu’il « appartient à l’ordre juridique interne de chaque État membre de régler les modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits ». Ce renvoi respecte l’autonomie procédurale tout en exigeant le respect des principes d’équivalence et d’effectivité nécessaires à l’application uniforme du droit.
Il incombe donc aux juges nationaux d’apprécier la pertinence des analyses de laboratoire ou des certificats de qualité produits par l’entreprise pour contester le redressement. L’analyse finale doit permettre de déterminer si les preuves fournies sont de nature à écarter le calcul automatique fondé sur la masse atomique. Cette répartition des rôles assure un équilibre entre la célérité des opérations douanières et le droit à un examen individualisé de la situation de chaque importateur.