Par un arrêt dont la portée clarifie les conditions d’exonération des droits antidumping, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à interpréter le règlement d’exécution (UE) 2015/82. En l’espèce, un importateur de marchandises en provenance de Chine a sollicité le bénéfice d’une exonération de droits antidumping sur des importations d’acide citrique. Pour ce faire, il a présenté aux autorités douanières une facture commerciale censée justifier de son droit à cette exonération. Cependant, la déclaration requise sur cette facture mentionnait la décision 2008/899/CE, qui avait été abrogée, et non la décision d’exécution (UE) 2015/87, seule en vigueur au moment des faits. Les autorités douanières ont par conséquent liquidé les droits antidumping. L’opérateur économique a alors engagé une procédure de remboursement de ces droits, au cours de laquelle il a tenté de produire une facture corrigée. Saisie d’un renvoi préjudiciel par une juridiction nationale, la Cour de justice devait déterminer si une erreur de référence dans la déclaration apposée sur la facture commerciale faisait obstacle à l’exonération du droit antidumping. Il lui était également demandé si une facture rectifiée pouvait être valablement présentée dans le cadre d’une procédure de remboursement ultérieure. La Cour répond par la négative à ces deux questions, considérant que l’exonération est subordonnée à la présentation, au moment du dédouanement, d’une facture rigoureusement conforme aux exigences du règlement, et qu’une régularisation a posteriori est exclue.
La solution retenue consacre ainsi une application stricte des conditions formelles d’exonération des droits antidumping (I), fermant par là même toute possibilité de correction ultérieure pour l’opérateur négligent (II).
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I. La sanction d’une exigence formelle rigoureuse
La Cour de justice établit que le respect scrupuleux des mentions devant figurer sur la facture commerciale est une condition substantielle de l’exonération. Elle juge ainsi que l’erreur de référence contenue dans la facture initiale est un vice dirimant (A), une position justifiée par la nature même du mécanisme des engagements en matière de droit antidumping (B).
A. L’invalidité de la facture commerciale en raison d’une référence erronée
La Cour interprète le règlement d’exécution 2015/82 de manière littérale en affirmant que l’exonération n’est pas applicable « lorsque la facture nécessaire à l’obtention d’une telle exonération mentionne, dans la déclaration visée […], non pas la décision d’exécution (UE) 2015/87 […], mais la décision 2008/899/CE ». L’erreur n’est donc pas considérée comme une simple irrégularité matérielle susceptible d’être ignorée. En effet, la déclaration apposée sur la facture constitue la preuve que les marchandises importées sont bien couvertes par un engagement de prix offert par un producteur et accepté par la Commission européenne. Cet engagement permet précisément d’écarter l’application du droit antidumping. La référence à la décision d’exécution pertinente est donc l’élément qui rattache juridiquement l’importation spécifique au régime dérogatoire. Une référence à une décision abrogée et remplacée rompt ce lien et rend la déclaration inopérante, privant la facture de sa fonction probatoire.
B. La justification du formalisme au regard des objectifs du droit antidumping
Cette exigence de précision n’est pas un formalisme excessif. Elle s’explique par la logique du système des droits antidumping et des engagements de prix. Ce mécanisme vise à protéger l’industrie de l’Union contre des pratiques commerciales déloyales, tout en permettant aux exportateurs coopératifs de s’exonérer des droits en s’engageant à respecter un prix minimal de vente. Le contrôle de ce dispositif par les autorités douanières doit être simple, rapide et efficace. Il repose entièrement sur les documents présentés au moment du dédouanement. Admettre une facture contenant une référence erronée créerait une incertitude juridique et imposerait aux autorités des vérifications complexes, contraires à l’économie du système. La charge de la preuve et l’obligation de diligence pèsent donc entièrement sur l’opérateur économique qui, en contrepartie du bénéfice commercial de l’exonération, doit s’assurer de la parfaite conformité de ses documents.
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II. L’impossibilité d’une régularisation a posteriori
Conséquence logique de cette analyse, la Cour de justice exclut que l’opérateur puisse remédier à sa défaillance initiale. Elle opère une distinction nette entre la procédure de dédouanement et celle de remboursement (A), réaffirmant ainsi les principes de sécurité juridique et d’application uniforme du droit douanier (B).
A. La distinction entre la procédure de dédouanement et la procédure de remboursement
La Cour juge qu’« une facture conforme […] ne peut pas être présentée, aux fins de l’obtention de l’exonération […], dans le cadre de la procédure instituée à l’article 236 du […] code des douanes communautaire ». La procédure de remboursement prévue par cet article permet la restitution de droits qui n’étaient pas légalement dus au moment de leur perception. Or, en l’espèce, au vu des documents présentés lors du dédouanement, les droits étaient bien dus, puisque la condition de présentation d’une facture conforme faisait défaut. La procédure de remboursement ne peut donc servir de voie de recours pour satisfaire a posteriori à une condition qui aurait dû être remplie au moment de la naissance de la dette douanière. Permettre une telle régularisation reviendrait à créer une nouvelle procédure d’exonération non prévue par les textes et à priver de son effet utile l’exigence de présentation d’une facture conforme lors de l’importation.
B. La portée de la solution : la primauté de la sécurité juridique et de l’uniformité d’application
Cette décision a une portée significative pour tous les opérateurs économiques important des marchandises soumises à des mesures de défense commerciale. Elle rappelle avec force que les conditions d’exonération prévues par la législation douanière sont d’interprétation stricte. En refusant toute possibilité de régularisation, la Cour garantit une application uniforme du droit antidumping sur tout le territoire de l’Union et prévient le risque que des différences de pratiques administratives entre les États membres ne créent des distorsions de traitement. La solution assure la prévisibilité et la sécurité juridique pour les administrations douanières, qui doivent pouvoir se fonder sur les seuls éléments dont elles disposent au moment de la déclaration en douane. Elle constitue un avertissement clair aux importateurs sur la nécessité d’une vigilance accrue dans l’établissement des documents commerciaux, dont la conformité est la clé d’accès aux régimes préférentiels.