Par un arrêt rendu sur question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé les conditions de désignation du débiteur d’une dette douanière née de la soustraction de marchandises placées en dépôt temporaire.
En l’espèce, un lot de marchandises non communautaires a été introduit dans le territoire douanier de l’Union et a fait l’objet d’une déclaration sommaire. Après son déchargement par une entreprise de manutention portuaire, le conteneur contenant lesdites marchandises a été placé à quai. Il fut constaté peu après que ce conteneur avait été volé, empêchant ainsi sa présentation aux autorités douanières pour l’assignation d’un régime douanier. L’administration des douanes a par conséquent émis des contraintes en paiement de la dette douanière correspondante à l’encontre de la société ayant souscrit la déclaration sommaire et de l’entreprise de manutention les ayant déchargées. Celles-ci ont formé opposition. La juridiction d’appel, saisie du litige, a décidé de surseoir à statuer afin de soumettre plusieurs questions préjudicielles à la Cour de justice de l’Union européenne.
Il était demandé à la Cour de déterminer si la notion de « personne qui doit exécuter les obligations qu’entraîne le séjour en dépôt temporaire de la marchandise », au sens de l’article 203, paragraphe 3, quatrième tiret, du code des douanes, pouvait viser à la fois la personne ayant déposé la déclaration sommaire et celle qui détient matériellement les marchandises après leur déchargement. Il s’agissait en outre de savoir si ces deux opérateurs pouvaient être considérés comme solidairement tenus au paiement de la dette douanière née de la soustraction desdites marchandises.
La Cour répond que cette disposition doit être interprétée en ce sens qu’elle désigne uniquement la personne qui, après le déchargement de la marchandise, détient celle-ci pour en assurer le déplacement ou le stockage. Elle écarte ainsi toute responsabilité de la personne ayant initialement présenté les marchandises en douane, ainsi que toute possibilité de solidarité entre les différents intervenants.
La solution de la Cour repose sur une distinction claire des obligations incombant aux différents opérateurs, fondée sur la chronologie des opérations (I). Cette interprétation conduit logiquement à l’établissement d’une responsabilité exclusive, écartant toute forme de coobligation au paiement de la dette douanière (II).
I. L’identification du débiteur de la dette douanière par l’application d’un critère chronologique
La Cour de justice opère une analyse séquentielle des obligations relatives au dépôt temporaire. Elle réaffirme la responsabilité initiale de l’opérateur qui accomplit les premières formalités (A), avant de constater le transfert de cette responsabilité au détenteur matériel de la marchandise une fois celle-ci déchargée (B).
A. La responsabilité du déclarant, limitée à la phase antérieure au déchargement
Le placement des marchandises en dépôt temporaire débute par leur présentation en douane et le dépôt d’une déclaration sommaire, conformément aux articles 40 et 43 du code des douanes. L’article 183 du règlement d’application précise que cette déclaration doit être signée par la personne qui l’établit. C’est cette personne qui, initialement, est tenue d’une obligation de représentation des marchandises. L’article 184, paragraphe 1, du règlement d’application dispose en effet qu’elle « est tenue de représenter dans leur intégralité, à toute réquisition des autorités douanières, les marchandises qui ont fait l’objet de la déclaration sommaire et n’ont pas été déchargées du moyen de transport ». La responsabilité est donc, dans un premier temps, attachée à la figure du déclarant, qui est le garant de l’intégrité des marchandises et de leur disponibilité pour le contrôle douanier.
Cependant, cette obligation connaît une modification substantielle une fois l’opération de déchargement effectuée.
B. Le transfert de la responsabilité au détenteur matériel après le déchargement
La Cour fonde son raisonnement sur la césure juridique créée par le déchargement des marchandises. Elle s’appuie sur les termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement d’application, qui prévoit que « [c]haque personne qui, après déchargement, détient successivement les marchandises pour en assurer le déplacement ou le stockage, devient responsable de l’exécution » de l’obligation de représentation. Le critère déterminant pour identifier le débiteur de cette obligation n’est plus la qualité de déclarant, mais la détention matérielle. La Cour estime logiquement que la personne qui a la garde des marchandises est la seule en mesure de les représenter physiquement, le déclarant n’exerçant plus de contrôle sur elles. C’est donc le détenteur qui assume les « obligations qu’entraîne le séjour en dépôt temporaire », visées par l’article 203 du code. Cette interprétation est renforcée par l’article 51 du même code, qui autorise les autorités douanières à exiger une garantie du détenteur des marchandises, et non du déclarant.
En opérant cette distinction nette, la Cour ne se contente pas de désigner un responsable ; elle en consacre également le caractère exclusif, écartant toute idée de responsabilité conjointe.
II. La consécration d’une responsabilité unique et exclusive du détenteur matériel
La solution retenue par la Cour a pour conséquence directe de refuser toute forme de solidarité entre les opérateurs (A), en faisant prévaloir le critère de la détention physique comme seul facteur pertinent pour l’attribution de la responsabilité (B).
A. Le rejet de la responsabilité conjointe ou solidaire
La juridiction de renvoi s’interrogeait sur la possibilité de considérer les deux opérateurs comme « simultanément, et donc solidairement, comme des débiteurs de la dette douanière ». La Cour écarte fermement cette hypothèse. Son interprétation de l’article 184 du règlement d’application repose sur une logique de succession et de transfert, et non de cumul d’obligations. En devenant responsable, le détenteur matériel libère l’opérateur précédent de son obligation de représentation. Il n’y a donc pas coexistence de deux débiteurs pour une même obligation principale. La Cour précise que l’article 213 du code des douanes, qui prévoit la solidarité lorsqu’il y a plusieurs débiteurs pour une même dette, est sans pertinence ici, car, après le déchargement, seule une personne est tenue à l’obligation dont l’inexécution fonde la naissance de la dette. La solution empêche ainsi l’administration douanière de rechercher le paiement auprès d’un opérateur qui n’avait plus le contrôle matériel des marchandises au moment de leur soustraction.
Ce refus de la solidarité repose sur un principe directeur que la Cour met en lumière.
B. La primauté de la détention matérielle comme fondement de l’obligation
En désignant le détenteur comme unique responsable, la Cour fait prévaloir une approche pragmatique et cohérente. La responsabilité est attachée à celui qui exerce le contrôle effectif sur les marchandises et qui est, de ce fait, le mieux placé pour prévenir leur soustraction à la surveillance douanière. Cette solution assure une parfaite adéquation entre le pouvoir de garde et l’obligation de représentation. Attribuer la responsabilité à un acteur qui n’a plus les moyens physiques d’exécuter ses obligations serait contraire à la sécurité juridique. La Cour aligne ainsi le droit sur la réalité factuelle de la chaîne logistique. La personne qui « détient » les marchandises pour en assurer le déplacement ou le stockage est celle qui doit en répondre. Cette clarification a une portée significative, car elle offre aux opérateurs économiques une prévisibilité accrue quant à l’étendue de leurs obligations respectives dans le cadre des opérations portuaires et du dépôt temporaire.