Cour de justice de l’Union européenne, le 15 septembre 2005, n°C-495/03

Par un arrêt en date du 15 septembre 2005, la Cour de justice des Communautés européennes est venue apporter des clarifications significatives quant à l’office du juge national en matière douanière, et plus particulièrement sur l’interprétation de la nomenclature combinée.

Une société avait procédé à l’importation de véhicules automobiles destinés à la manutention de semi-remorques sur des sites industriels. Lors de la déclaration en douane, ces véhicules furent classés par l’opérateur économique sous la position 8709 de la nomenclature combinée. Les autorités douanières nationales ont cependant remis en cause ce classement, considérant que lesdits véhicules relevaient en réalité de la sous-position 8701 20 10, ce qui a conduit à l’émission d’un avis de paiement supplémentaire à l’encontre de la société. Saisie du litige, une juridiction d’appel a confirmé la position de l’administration, écartant notamment un renseignement tarifaire contraignant (RTC) produit par la société. Ce RTC, délivré par les autorités douanières d’un autre État membre à un tiers pour une marchandise similaire, classait celle-ci sous la position 8709. La juridiction d’appel a estimé que ce document n’était pas de nature à modifier son appréciation et qu’un renvoi préjudiciel n’était pas nécessaire. La société a alors formé un pourvoi en cassation devant la juridiction suprême de cet État membre.

La juridiction de renvoi a ainsi saisi la Cour de justice de deux questions préjudicielles. La première visait à déterminer si une juridiction nationale, et plus spécifiquement une juridiction statuant en dernier ressort, est tenue de saisir la Cour lorsqu’elle envisage de s’écarter d’un RTC délivré par les autorités d’un autre État membre à un tiers pour une marchandise similaire. La seconde question portait sur le fond, demandant si des véhicules présentant les caractéristiques de ceux en cause devaient être classés sous la position 8709 de la nomenclature combinée.

En réponse, la Cour de justice a jugé, d’une part, que l’existence d’un RTC divergent n’entraîne pas une obligation automatique de renvoi préjudiciel pour une juridiction de dernier ressort, bien que celle-ci doive alors être « particulièrement attentive » à l’absence de doute raisonnable. D’autre part, elle a conclu que les véhicules en question, au vu de leurs caractéristiques objectives, ne pouvaient être classés sous la position 8709, celle-ci devant faire l’objet d’une interprétation stricte.

Cet arrêt conduit à analyser la portée d’un renseignement tarifaire contraignant vis-à-vis du juge national (I), avant d’examiner l’application d’une méthode d’interprétation rigoureuse de la nomenclature douanière (II).

I. La portée limitée d’un renseignement tarifaire contraignant sur l’office du juge national

La Cour clarifie l’articulation entre l’existence d’un RTC et l’obligation de renvoi préjudiciel. Elle rappelle d’abord le caractère strictement personnel de ce type de décision administrative (A), pour ensuite préciser les contours de l’obligation de saisine du juge suprême national (B).

A. Le caractère strictement personnel du renseignement tarifaire contraignant

Le renseignement tarifaire contraignant est un instrument essentiel de sécurité juridique pour les opérateurs économiques dans le cadre de leurs opérations d’import-export. Toutefois, la Cour prend soin de rappeler les limites inhérentes à sa portée juridique. Conformément à l’article 12 du code des douanes communautaire, « un renseignement tarifaire contraignant ne crée de droits qu’au profit de son titulaire et à l’égard des seules marchandises qui y sont décrites ». La Cour en déduit logiquement que la société requérante au principal ne pouvait se prévaloir d’un droit personnel découlant du RTC délivré par les autorités finlandaises à un tiers, même pour une marchandise jugée similaire.

Cette solution réaffirme le principe de l’effet relatif des décisions administratives individuelles. Le RTC lie l’ensemble des administrations douanières de la Communauté, mais uniquement à l’égard de son titulaire et pour les marchandises qu’il vise précisément. Un tiers ne peut donc l’invoquer comme une source de droit direct à son profit dans le cadre d’un litige distinct. Le RTC constitue une garantie pour celui qui l’a obtenu, mais il ne saurait être assimilé à une norme réglementaire de classement ayant une portée générale. Cette précision est fondamentale car elle empêche qu’une décision administrative, même émise dans un cadre harmonisé, puisse paralyser l’action en justice ou l’appréciation autonome d’un juge saisi d’un autre cas.

B. L’obligation de renvoi préjudiciel tempérée par l’appréciation souveraine du juge

La question principale portait sur l’influence de ce RTC sur l’obligation de renvoi préjudiciel, notamment pour une juridiction de dernier ressort. La Cour distingue la situation des juridictions selon qu’elles statuent ou non en dernier ressort. Pour les premières, l’article 234 CE leur confère une simple faculté, et non une obligation, de saisir la Cour. La présence d’un RTC divergent ne modifie pas cette liberté d’appréciation.

Pour les juridictions suprêmes, la Cour rappelle sa jurisprudence constante issue de l’arrêt Cilfit de 1982. L’obligation de saisine n’est écartée que si la question de droit communautaire n’est pas pertinente, si elle a déjà été tranchée par la Cour (théorie de l’acte éclairé), ou si l’application correcte du droit s’impose avec une telle évidence qu’elle ne laisse place à aucun doute raisonnable (théorie de l’acte clair). La Cour juge que l’existence d’un RTC divergent « ne saurait, à elle seule, avoir pour conséquence automatique » d’obliger au renvoi. Cependant, elle introduit une nuance importante : cette circonstance « doit amener ladite juridiction à être particulièrement attentive dans son appréciation relative à une éventuelle absence de doute raisonnable ». Le juge national suprême doit donc redoubler de vigilance et s’assurer que son interprétation s’impose avec une évidence qui transcende la divergence administrative constatée.

Après avoir clarifié ces aspects procéduraux, la Cour examine la question de fond relative au classement tarifaire des véhicules.

II. L’interprétation stricte de la nomenclature douanière fondée sur les caractéristiques objectives

La seconde partie de l’arrêt est consacrée à la méthode de classement des marchandises, confirmant la primauté d’une approche textuelle et objective. La Cour rappelle les principes directeurs de cette interprétation (A), pour ensuite les appliquer au cas d’espèce et justifier l’exclusion des véhicules de la position tarifaire revendiquée (B).

A. La primauté du libellé de la position tarifaire et des propriétés de la marchandise

La Cour réaffirme avec constance que « le critère décisif pour la classification tarifaire des marchandises doit être recherché, d’une manière générale, dans leurs caractéristiques et propriétés objectives, telles que définies par le libellé de la position de la nc et des notes de section ou de chapitre ». Cette règle, qui garantit la sécurité juridique et la facilité des contrôles, place le texte de la nomenclature au cœur du raisonnement juridique. Les notes explicatives, qu’elles proviennent de la nomenclature combinée ou du système harmonisé, ne sont que des aides à l’interprétation ; elles ont une valeur importante mais ne possèdent pas de force obligatoire et ne peuvent modifier la portée des positions tarifaires.

En l’espèce, la position 8709 distingue deux catégories de véhicules : les « chariots automobiles […] pour le transport des marchandises sur de courtes distances » et les « chariots-tracteurs des types utilisés dans les gares ». La Cour s’attache à une lecture précise de ce libellé pour déterminer si les véhicules en cause peuvent correspondre à l’une ou l’autre de ces définitions. Cette méthode s’oppose à une approche extensive qui se fonderait sur une analogie fonctionnelle large ou sur la seule destination commerciale du produit, si celle-ci n’est pas inhérente à ses caractéristiques objectives.

B. L’exclusion du véhicule en cause par une analyse fonctionnelle et comparative

Appliquant ces principes, la Cour examine successivement les deux branches de l’alternative posée par la position 8709. Premièrement, elle constate que les véhicules litigieux ne sont pas conçus pour assurer eux-mêmes le transport de marchandises, mais seulement pour tracter des semi-remorques. Ils ne peuvent donc être qualifiés de « chariots automobiles pour le transport de marchandises ».

Deuxièmement, la Cour analyse la notion de « chariots-tracteurs des types utilisés dans les gares ». Elle estime que ce critère renvoie à des caractéristiques objectives qui rendent un véhicule apte à un usage sur les quais d’une gare, ce qui implique notamment une puissance et une taille limitées. Or, les véhicules en cause, équipés d’un puissant moteur diesel, d’une cabine fermée et conçus pour tracter des charges de 32 000 kg, « ne sont manifestement ni semblables à des véhicules effectivement utilisés à des fins de traction dans les gares, […] ni aptes, par leur nature, à une telle utilisation ». L’analyse des caractéristiques objectives conduit donc à un constat d’incompatibilité manifeste avec le libellé de la position. La Cour conclut que de tels engins doivent être classés comme des tracteurs routiers relevant de la position 8701.

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