La Cour de justice de l’Union européenne, dans sa décision du 6 octobre 2025, précise la valeur juridique des recommandations de la Commission européenne. Le litige porte sur la légalité d’obligations tarifaires imposées par un régulateur pour les prestations de terminaison d’appels sur les réseaux fixes et mobiles. Une juridiction nationale a saisi la Cour de Luxembourg afin de déterminer si elle pouvait écarter le modèle de calcul des coûts préconisé par l’Union. Elle s’interroge également sur l’étendue de son contrôle de proportionnalité face aux objectifs de régulation définis par le cadre réglementaire commun des télécommunications. La Cour répond qu’une juridiction nationale ne peut ignorer ces recommandations techniques sans démontrer l’existence de motifs impérieux liés à des spécificités locales. L’étude de l’autorité des recommandations tarifaires européennes permet ensuite d’envisager les modalités du contrôle de proportionnalité exercé par le juge sur l’action du régulateur.
I. L’autorité encadrée du modèle de calcul des coûts européen
A. Le principe de l’alignement sur la recommandation communautaire
La Cour affirme qu’une juridiction nationale « ne peut s’écarter de la recommandation 2009/396/ce » préconisant le modèle de calcul dit « Bulric strict ». Cette solution renforce l’harmonisation des marchés de communications électroniques en imposant une méthode tarifaire commune à l’ensemble des États membres de l’Union. L’application systématique de ce modèle garantit la prévisibilité réglementaire nécessaire aux investissements des opérateurs sur les réseaux de téléphonie fixe et mobile. Le juge doit donc faire de cette orientation technique le fondement de son analyse juridique lors de l’examen de la légalité des tarifs.
B. L’exception limitée aux spécificités des marchés nationaux
Le juge conserve toutefois la faculté de s’écarter de ce cadre si des « caractéristiques spécifiques du marché de l’État membre » le justifient. Cette dérogation exige une analyse concrète démontrant que le modèle européen ne répond pas aux réalités économiques locales rencontrées par l’autorité de régulation. La marge d’appréciation du juge national reste donc résiduelle et strictement conditionnée par la démonstration d’une situation exceptionnelle propre au territoire concerné. La définition de ce cadre contraignant pour le juge oriente nécessairement l’examen des limites de son pouvoir de contrôle sur la mesure contestée.
II. L’exercice rigoureux du contrôle juridictionnel de proportionnalité
A. L’appréciation de la finalité protectrice des utilisateurs finals
Le droit de l’Union permet au juge d’apprécier la proportionnalité de l’obligation au regard de l’objectif de promotion des « intérêts des utilisateurs finals ». Cette évaluation doit tenir compte des effets de la mesure sur le marché de détail, quand bien même ce dernier échappe à toute réglementation. Le contrôle juridictionnel assure ainsi un équilibre entre les contraintes imposées aux prestataires et les bénéfices attendus pour l’ensemble des consommateurs européens. Cette mission de vérification de l’adéquation de la mesure aux objectifs sociaux et économiques demeure essentielle pour garantir l’équité de la régulation.
B. L’interdiction d’une exigence de preuve quant à l’efficacité réelle
Toutefois, une juridiction nationale ne peut « exiger de cette autorité qu’elle démontre » que l’obligation tarifaire réalise effectivement les objectifs de régulation fixés. Cette restriction protège le pouvoir d’appréciation technique de l’autorité réglementaire en évitant de lui imposer une preuve d’efficacité future souvent impossible à rapporter. Le contrôle de légalité se limite à la cohérence de la décision sans exiger la garantie certaine d’un résultat économique positif sur le marché. La Cour préserve ainsi l’efficacité de l’intervention publique tout en maintenant un cadre de surveillance juridictionnelle adapté aux incertitudes des prévisions économiques.