Cour de justice de l’Union européenne, le 15 septembre 2016, n°C-516/14

Par un arrêt rendu sur renvoi préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne s’est prononcée sur les exigences formelles des factures pour l’exercice du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée.

En l’espèce, une société exploitant des hôtels a eu recours, entre 2008 et 2010, aux prestations d’une société d’avocats. Les factures émises pour ces prestations contenaient des mentions générales telles que « services juridiques fournis entre le 1er décembre 2007 et aujourd’hui » ou encore « honoraires pour services juridiques fournis jusqu’à aujourd’hui ». La société a exercé son droit à déduction de la TVA correspondante. À la suite d’un contrôle, les autorités fiscales nationales ont remis en cause cette déduction, jugeant les descriptions des services sur les factures insuffisantes. Malgré la présentation par la société de documents complémentaires détaillant les prestations, l’administration a maintenu sa position, estimant que ces annexes ne pouvaient pallier l’irrégularité des factures initiales. Après le rejet de son recours gracieux, la société a saisi une juridiction arbitrale portugaise.

Cette juridiction a sursis à statuer et a posé une question préjudicielle à la Cour de justice. Il s’agissait de déterminer si des factures contenant des mentions aussi générales que « services juridiques fournis jusqu’à aujourd’hui » sont conformes aux exigences de la directive 2006/112/CE relative au système commun de TVA. Il était également demandé si l’administration fiscale peut refuser le droit à déduction sur le seul fondement d’une telle non-conformité formelle, alors qu’elle dispose par ailleurs des informations lui permettant de vérifier la réalité des opérations.

La Cour de justice a répondu que de telles factures ne sont pas, a priori, conformes aux exigences de l’article 226 de la directive, qui impose de mentionner l’étendue, la nature et la date des services rendus. Cependant, elle a jugé que l’article 178 de la même directive s’oppose à ce que le droit à déduction soit refusé pour ce seul motif formel, dès lors que l’administration fiscale dispose de toutes les informations nécessaires pour s’assurer que les conditions de fond de ce droit sont satisfaites. Ainsi, la Cour, tout en validant l’irrégularité formelle des factures (I), réaffirme avec force la primauté des conditions de fond sur les exigences formelles pour l’exercice du droit à déduction (II).

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I. La confirmation de l’irrégularité formelle des factures imprécises

La Cour de justice commence par analyser la conformité des factures au regard des exigences de l’article 226 de la directive TVA. Elle conclut à une double non-conformité, d’une part en raison de l’insuffisance de la description des prestations (A) et, d’autre part, en raison du défaut de mention de la période d’exécution des services (B).

A. L’insuffisance de la description de la nature et de l’étendue des prestations

L’article 226, point 6, de la directive 2006/112 exige que la facture mentionne « l’étendue et la nature des services rendus ». La Cour rappelle que l’objectif de cette disposition est de permettre aux administrations fiscales de contrôler le paiement de la taxe et l’existence du droit à déduction. C’est à l’aune de cette finalité que la description des services doit être appréciée.

En l’espèce, la mention « services juridiques » est jugée trop générale. La Cour relève à ce titre que cette notion « couvre un vaste ensemble de prestations, et notamment des prestations qui ne relèvent pas nécessairement de l’activité économique ». Une telle imprécision ne permet pas aux autorités de vérifier si les services facturés ouvrent bien droit à déduction pour l’assujetti. De plus, une description aussi laconique ne renseigne aucunement sur l’étendue des services, c’est-à-dire le volume ou la consistance du travail fourni. La Cour estime donc qu’une telle mention ne satisfait pas, a priori, aux conditions posées par la directive, laissant toutefois à la juridiction nationale le soin de le vérifier au cas par cas.

B. Le défaut de mention de la période d’exécution des services

La Cour examine ensuite la conformité des factures au regard de l’article 226, point 7, de la directive, qui impose de mentionner « la date à laquelle est effectuée, ou achevée, la […] prestation de services ». Cette information est cruciale car elle permet de déterminer le fait générateur de la taxe et, par conséquent, le régime fiscal applicable à l’opération.

Dans le cas de prestations continues ou donnant lieu à des paiements successifs, l’article 64 de la directive précise que le service est considéré comme effectué à l’expiration des périodes auxquelles les paiements se rapportent. Il est donc impératif que ces périodes soient clairement identifiées sur la facture. Or, si les factures mentionnant « services juridiques fournis depuis [une certaine date] jusqu’à aujourd’hui » semblent définir une période de décompte, la Cour juge qu’une facture ne comportant que la mention « services juridiques fournis jusqu’à aujourd’hui » est lacunaire. En l’absence de date de début, elle ne permet pas de déterminer la période concernée. Une telle facture est donc jugée non conforme à l’article 226, point 7, de la directive.

Cependant, si la Cour sanctionne le non-respect des exigences formelles, elle en limite considérablement la portée en rappelant la finalité du système de la TVA.

II. La primauté des conditions de fond sur les exigences formelles

Après avoir constaté l’irrégularité formelle des factures, la Cour se penche sur les conséquences de cette irrégularité sur l’exercice du droit à déduction. Elle réaffirme le principe de neutralité de la TVA comme un rempart au formalisme excessif (A), tout en rappelant la répartition de la charge de la preuve et le pouvoir de sanction des États membres (B).

A. Le principe de neutralité de la TVA comme rempart au formalisme excessif

La Cour rappelle avec constance que le droit à déduction est un principe fondamental du système commun de la TVA. Il vise à « soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques ». Ce droit ne peut, en principe, être limité. Son exercice est soumis à des conditions de fond, prévues à l’article 168, et à des conditions de forme, comme la détention d’une facture conforme à l’article 226.

Toutefois, la jurisprudence a établi une hiérarchie entre ces conditions. La Cour juge ainsi que « le principe fondamental de neutralité de la TVA exige que la déduction de celle-ci en amont soit accordée si les conditions matérielles sont satisfaites, même si certaines conditions formelles ont été omises par les assujettis ». Par conséquent, l’administration fiscale ne saurait refuser le droit à déduction pour le seul motif qu’une facture est irrégulière, si elle « dispose de toutes les données pour vérifier que les conditions de fond relatives à ce droit sont satisfaites ». Pour ce faire, elle ne doit pas se limiter à l’examen de la seule facture, mais prendre en compte les informations complémentaires fournies par l’assujetti.

B. La charge de la preuve et le pouvoir de sanction des États membres

L’assouplissement des exigences formelles n’exonère pas l’assujetti de ses obligations. La Cour souligne en effet qu’il « incombe à l’assujetti qui demande la déduction de la TVA d’établir qu’il répond aux conditions prévues pour en bénéficier ». C’est donc à lui de fournir à l’administration fiscale les preuves nécessaires à la vérification de la réalité, de la nature et de l’étendue des prestations de services reçues.

Par ailleurs, la primauté des conditions de fond n’interdit pas aux États membres de sanctionner le non-respect des règles de facturation. En vertu de l’article 273 de la directive, ils peuvent adopter des mesures pour assurer l’exacte perception de la taxe et éviter la fraude. Ainsi, le droit de l’Union ne s’oppose pas à ce qu’une amende ou une sanction pécuniaire soit infligée pour sanctionner une irrégularité formelle, à condition qu’elle soit proportionnée à la gravité de l’infraction et ne remette pas en cause la neutralité de la TVA. La sanction ne peut donc pas consister en un refus pur et simple du droit à déduction lorsque la réalité de l’opération est établie.

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Hassan KOHEN
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