Par un arrêt préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne se prononce sur l’interprétation du droit des aides d’État dans le secteur de l’énergie. La décision clarifie la répartition des compétences entre la Commission européenne et les autorités nationales dans le cadre d’un régime d’aide approuvé.
En l’espèce, un producteur d’énergie bénéficiait d’une compensation pour des coûts échoués, conformément à un régime d’aide polonais autorisé par une décision de la Commission européenne. Ce régime avait été examiné au regard de la méthodologie de l’Union pour les aides liées à ces coûts spécifiques. Par la suite, une autorité nationale a contesté les modalités de calcul de l’aide versée à ce producteur, qui appartient à un groupe d’entreprises. Le litige a conduit une juridiction nationale à interroger la Cour de justice sur deux points essentiels.
La juridiction de renvoi cherchait d’abord à savoir si les autorités nationales pouvaient, lors de la mise en œuvre d’un régime d’aide, vérifier à nouveau sa conformité aux principes méthodologiques déjà appliqués par la Commission lors de son examen et de son approbation. Elle s’interrogeait ensuite sur la nécessité de prendre en compte les résultats financiers du groupe auquel appartient le producteur pour déterminer le montant de la compensation annuelle, afin d’éviter une éventuelle surcompensation.
La Cour de justice répond négativement à la première question et affirmativement à la seconde. Elle juge que les autorités et juridictions nationales ne peuvent procéder à une nouvelle vérification de la conformité du régime d’aide aux principes déjà validés par la Commission. Elle précise en revanche que le calcul de l’ajustement annuel de la compensation doit tenir compte de l’appartenance du producteur à un groupe d’entreprises et, par conséquent, du résultat financier de ce dernier.
Il convient donc d’analyser la portée de cette double clarification, qui réaffirme d’une part la compétence exclusive de la Commission dans l’appréciation de la compatibilité des régimes d’aides (I) et impose, d’autre part, une approche économique globale dans le calcul des compensations individuelles (II).
I. L’affirmation de la compétence exclusive de la Commission dans le contrôle des régimes d’aides d’État
La Cour consacre la primauté de la décision de la Commission en interdisant un contrôle national redondant (A), garantissant ainsi la sécurité juridique et l’application uniforme du droit de l’Union (B).
A. L’interdiction d’un contrôle national redondant
La Cour de justice énonce clairement que le droit de l’Union « s’oppose à ce que, lorsque la Commission européenne a examiné un régime d’aides d’État […] et l’a considéré compatible avec le marché intérieur avant sa mise en œuvre, les autorités et les juridictions nationales procèdent à leur tour, lors de la mise en œuvre de l’aide en cause, à la vérification de sa conformité aux principes retenus dans cette méthodologie ». Cette solution repose sur la répartition des compétences organisée par les traités. L’article 108 TFUE confie à la Commission le rôle central et exclusif d’apprécier la compatibilité d’une aide ou d’un régime d’aides avec le marché intérieur.
Une fois que la Commission a rendu une décision positive, celle-ci est contraignante pour les États membres, conformément au principe de coopération loyale énoncé à l’article 4, paragraphe 3, du TUE. Les autorités nationales sont alors chargées de l’exécution de cette décision, mais elles ne sauraient remettre en cause l’appréciation portée par la Commission. Permettre un tel réexamen reviendrait à vider de sa substance la compétence de la Commission et à créer une situation d’insécurité juridique permanente pour les bénéficiaires de l’aide. Le rôle des juridictions nationales se limite à assurer la bonne application de la décision de la Commission, et non à en contester le bien-fondé.
B. La préservation de la sécurité juridique et de l’effet utile du droit de l’Union
En réaffirmant cette orthodoxie juridique, la Cour préserve la cohérence du système de contrôle des aides d’État. La valeur de cette position réside dans la protection de la sécurité juridique pour les opérateurs économiques. Un bénéficiaire d’une aide accordée dans le cadre d’un régime approuvé doit pouvoir se fier à la décision de la Commission sans craindre que sa situation soit remise en cause par une autorité nationale sur la base des mêmes critères. Cette prévisibilité est essentielle au bon fonctionnement du marché intérieur.
La portée de cette jurisprudence est significative. Elle rappelle aux autorités nationales les limites strictes de leur pouvoir d’appréciation dans la mise en œuvre des régimes d’aides. Leur mission n’est pas de substituer leur propre analyse à celle de la Commission, mais de veiller à ce que les aides individuelles soient octroyées conformément aux conditions fixées par la décision d’approbation. La solution adoptée renforce l’effet utile des décisions de la Commission et consolide son rôle de gardienne de la concurrence non faussée au sein de l’Union.
II. La prise en compte de la réalité économique du groupe pour l’ajustement de la compensation
Après avoir délimité les compétences, la Cour précise les modalités de calcul de l’aide en adoptant une lecture finaliste de la notion de surcompensation (A), ce qui consacre une approche économique pragmatique dans l’octroi des aides individuelles (B).
A. L’interprétation finaliste de la notion de surcompensation
Sur le second point, la Cour juge qu’il est nécessaire, « lors de la détermination de l’ajustement annuel de la compensation des coûts échoués », de « tenir compte de cette appartenance et, dès lors, du résultat financier de ce groupe ». L’objectif des aides pour coûts échoués est de compenser un préjudice économique spécifique subi par un producteur en raison de la libéralisation du marché. Cette compensation ne doit cependant jamais excéder le montant nécessaire pour couvrir ce préjudice, au risque de constituer une surcompensation interdite.
En exigeant de prendre en compte les résultats du groupe, la Cour adopte une approche fondée sur la réalité économique de l’entreprise. Elle considère que l’entité pertinente pour évaluer le préjudice n’est pas uniquement la filiale juridiquement bénéficiaire de l’aide, mais le groupe dans son ensemble. Si le groupe réalise des bénéfices susceptibles de compenser les pertes de sa filiale, le besoin d’une aide d’État diminue ou disparaît. Ignorer cette réalité économique reviendrait à permettre un enrichissement sans cause et à fausser la concurrence.
B. La portée d’une approche économique dans le calcul des aides individuelles
Cette solution possède une valeur pratique considérable. Elle fournit aux autorités nationales un critère clair et objectif pour ajuster le montant des aides et prévenir les abus. Les entreprises ne peuvent plus isoler artificiellement des pertes dans une filiale pour maximiser les subventions tout en enregistrant des profits au niveau du groupe. Cette approche de « l’entreprise unique » est cohérente avec d’autres domaines du droit de la concurrence, où la substance économique prévaut sur la forme juridique.
La portée de cette décision est importante pour la mise en œuvre de tous les régimes d’aides d’État. Elle confirme que les autorités nationales, dans leur rôle d’exécution, disposent non seulement du droit mais aussi de l’obligation d’examiner la situation financière globale des bénéficiaires pour s’assurer que l’aide reste proportionnée. Cette clarification complète la première partie de l’arrêt : si les autorités nationales ne peuvent pas réexaminer la compatibilité du régime, elles doivent en revanche faire preuve de rigueur dans le calcul de chaque aide individuelle pour respecter scrupuleusement les finalités et les limites fixées par le droit de l’Union et la décision de la Commission.