Par un arrêt rendu sur question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne a précisé l’articulation entre le droit d’un accusé d’assister à son procès et les prérogatives des États membres en matière de procédure pénale et de contrôle de l’immigration. En l’espèce, un ressortissant albanais était soupçonné d’avoir utilisé de faux documents d’identité à un poste-frontière en Bulgarie. Une procédure pénale fut engagée à son encontre et, parallèlement, une décision administrative de retour assortie d’une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans lui fut notifiée. Bien qu’il ait initialement exprimé, au cours de l’instruction, son souhait de ne pas comparaître personnellement et d’être représenté par son avocate, l’intéressé fut reconduit à la frontière avant même que la date de son procès ne soit fixée.
La juridiction bulgare saisie de l’affaire, le Sofiyski Rayonen sad, s’est alors retrouvée face à une difficulté majeure. Le droit national imposait la comparution obligatoire de l’accusé pour le type d’infraction reprochée, mais l’exécution de la mesure d’éloignement rendait cette comparution matériellement impossible. Confronté à cette contradiction, le tribunal d’arrondissement de Sofia a décidé de surseoir à statuer pour interroger la Cour de justice sur l’interprétation de la directive (UE) 2016/343 du 9 mars 2016, relative au droit d’assister à son procès. La question de droit posée à la Cour était double : d’une part, de déterminer si le droit de l’Union s’oppose à une législation nationale qui fait de la présence de l’accusé à son procès une obligation et non une simple faculté. D’autre part, il s’agissait de savoir si un procès peut se tenir en l’absence de l’accusé lorsque cette absence est la conséquence directe d’une interdiction d’entrée sur le territoire imposée par ce même État.
La Cour de justice a répondu en deux temps. Elle a d’abord jugé que la directive 2016/343, qui établit des règles minimales, ne s’oppose pas à ce qu’un État membre impose la comparution obligatoire de l’accusé à son procès. Elle a ensuite considéré que cette même directive interdit la tenue d’un procès en l’absence de la personne poursuivie lorsque celle-ci est dans l’impossibilité d’assister à l’audience en raison d’une interdiction d’entrée sur le territoire adoptée par les autorités compétentes de cet État. Cette décision clarifie ainsi l’équilibre entre l’autonomie procédurale des États et la nécessaire garantie des droits fondamentaux de la défense.
La Cour consacre ainsi une distinction entre le caractère obligatoire de la comparution, qui relève de la marge d’appréciation des États (I), et l’effectivité du droit de comparaître, qui doit être absolument garantie lorsque l’obstacle à la présence de l’accusé est le fait de l’État lui-même (II).
I. La confirmation de la faculté étatique d’imposer la comparution personnelle de l’accusé
La Cour de justice reconnaît que l’obligation de comparaître au procès pénal, bien que non explicitement prévue par le droit de l’Union, demeure une prérogative des États membres dans le cadre de leur autonomie procédurale (A), dès lors que la directive en cause ne procède qu’à une harmonisation minimale (B).
A. Une prérogative conforme au principe d’autonomie procédurale nationale
L’article 8, paragraphe 1, de la directive 2016/343 énonce que les États membres « veillent à ce que les suspects et les personnes poursuivies aient le droit d’assister à leur procès ». La Cour relève que si cette disposition consacre un droit pour la personne poursuivie, elle ne contient aucune prohibition quant à la possibilité pour les législations nationales de transformer ce droit en une obligation. Le législateur de l’Union a entendu garantir une faculté, sans pour autant interdire aux États d’adopter des règles plus strictes pour assurer la bonne administration de la justice.
Cette interprétation s’inscrit dans le respect de l’autonomie procédurale des États membres, principe cardinal de l’architecture juridique de l’Union. En l’absence d’une harmonisation exhaustive, les États restent libres d’organiser le déroulement de leurs procédures pénales. La Cour souligne que la question de rendre obligatoire la présence de l’accusé n’est pas régie par la directive. Par conséquent, une telle mesure relève du seul droit national, à condition qu’elle ne porte pas atteinte aux droits fondamentaux garantis par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.
B. Une interprétation fondée sur le caractère minimal de l’harmonisation
La solution de la Cour est renforcée par la nature même de l’instrument juridique en cause. La directive 2016/343, ainsi que le rappelle l’article 1er, a pour objet d’établir des « règles minimales communes ». Son but n’est pas de créer un code de procédure pénale européen unifié, mais de renforcer la confiance mutuelle entre les systèmes judiciaires en garantissant un socle commun de droits. En jugeant que le texte « ne s’oppose pas à une réglementation nationale prévoyant l’obligation pour les suspects et les personnes poursuivies dans le cadre d’une procédure pénale d’assister à leur procès », la Cour reste fidèle à cette logique.
Elle admet ainsi qu’un État membre puisse considérer la présence physique de l’accusé comme une condition essentielle au caractère équitable et contradictoire du procès. Cette obligation peut être perçue comme une garantie supplémentaire, tant pour la défense que pour la manifestation de la vérité. En ne s’opposant pas à une telle exigence, la Cour préserve la diversité des traditions juridiques nationales tout en assurant le respect du standard minimum européen qu’est le droit d’être présent.
II. La sanction de l’empêchement matériel à comparaître créé par l’autorité étatique
Après avoir reconnu la marge d’appréciation des États, la Cour de justice pose une limite ferme : un État ne peut se prévaloir de l’absence de l’accusé pour le juger par contumace si cette absence est la conséquence d’un obstacle qu’il a lui-même créé (A). Il en découle une obligation positive pour l’État de garantir l’effectivité du droit de comparaître (B).
A. L’exigence d’une renonciation volontaire et non équivoque au droit de comparaître
Le raisonnement de la Cour s’articule autour de la notion de renonciation au droit d’être présent. L’article 8, paragraphe 2, de la directive autorise un procès en l’absence de la personne poursuivie à des conditions strictes, notamment que l’intéressé ait été informé de la tenue du procès et des conséquences de son absence. La Cour interprète ces conditions à la lumière de leur finalité, qui est de s’assurer que l’absence de l’accusé résulte d’un choix libre et éclairé. Elle affirme que ces dispositions visent les situations où « la personne concernée doit être réputée avoir renoncé volontairement et de manière non équivoque à être présente à son procès ».
Or, une telle renonciation est inconcevable lorsque l’accusé est physiquement empêché de se rendre à l’audience par une mesure administrative de l’État qui le poursuit. L’existence d’une interdiction d’entrée sur le territoire prive de toute substance la possibilité pour la personne poursuivie d’exercer son droit de comparaître. Informer l’accusé de son procès tout en lui interdisant l’accès au territoire où il doit avoir lieu est une contradiction que le droit à un procès équitable ne saurait tolérer. La Cour conclut qu’une telle situation « priverait cette personne de toute possibilité réelle d’exercer effectivement son droit d’assister à son procès ».
B. L’obligation de garantir l’effectivité du droit d’assister au procès
La portée de l’arrêt réside dans l’obligation positive qu’il impose à l’État membre. S’il entend mener une procédure pénale, il doit en garantir les conditions d’exercice effectif. La Cour ne se contente pas de constater l’incompatibilité, elle suggère la voie à suivre. Elle note que la directive 2008/115, relative au retour des ressortissants de pays tiers, permet expressément aux États membres de « lever ou de suspendre » une interdiction d’entrée pour des motifs particuliers. La nécessité de garantir le droit à un procès équitable constitue manifestement un tel motif.
En conséquence, un État qui poursuit pénalement une personne qu’il a éloignée de son territoire ne peut rester passif. Il lui incombe de prendre les mesures nécessaires, telles que la suspension temporaire de l’interdiction d’entrée, pour permettre à l’accusé de se présenter à son procès s’il le souhaite. En déclarant que l’article 8, paragraphe 2, de la directive « s’oppose à une réglementation d’un État membre permettant la tenue d’un procès en l’absence du suspect ou de la personne poursuivie » dans de telles circonstances, la Cour fait prévaloir l’intégrité du droit à un procès équitable sur les considérations de gestion des flux migratoires, affirmant ainsi la primauté des droits fondamentaux de la défense.