Par une décision préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne est venue préciser l’articulation entre le principe fondamental *ne bis in idem* et les effets d’une loi d’amnistie révoquée par une intervention législative ultérieure. En l’espèce, une personne avait fait l’objet de poursuites pénales, lesquelles furent interrompues par une décision de justice devenue définitive, en application d’une loi d’amnistie. Par la suite, une nouvelle loi abrogea cette amnistie et annula la décision juridictionnelle ayant mis fin aux poursuites. Sur le fondement de cette révocation, les poursuites pénales reprirent et un mandat d’arrêt européen fut émis à l’encontre de la personne concernée. Saisie par la juridiction nationale chargée de l’exécution de ce mandat, la Cour de justice a été interrogée sur la compatibilité d’une telle situation avec le droit de l’Union. Il lui était ainsi demandé si le principe *ne bis in idem*, consacré à l’article 50 de la Charte des droits fondamentaux, s’opposait à l’émission d’un mandat d’arrêt européen lorsque les poursuites initiales avaient été clôturées par une décision définitive fondée sur une amnistie, avant que cette dernière ne soit révoquée. La Cour était également invitée à déterminer si le droit à l’information dans le cadre des procédures pénales, tel que garanti par la directive 2012/13/UE, s’étendait à la procédure législative de révocation de l’amnistie ainsi qu’à la procédure de contrôle de constitutionnalité de cette révocation. La Cour répond par la négative à ces deux questions. Elle juge que l’article 50 de la Charte « ne s’oppose pas à l’émission d’un mandat d’arrêt européen » dans de telles circonstances, à la condition que la décision de classement initiale ait été « adoptée avant toute appréciation de la responsabilité pénale de la personne concernée ». Elle précise en outre que la directive 2012/13/UE « n’est pas applicable à une procédure de nature législative relative à la révocation d’une amnistie non plus qu’à une procédure juridictionnelle ayant pour objet le contrôle de la conformité de cette révocation à la Constitution nationale ».
Il convient d’analyser la portée de cette décision, d’une part, en ce qu’elle conditionne l’application du principe *ne bis in idem* à une appréciation substantielle de la culpabilité (I) et, d’autre part, en ce qu’elle opère une délimitation stricte du champ d’application des garanties procédurales européennes (II).
I. L’application du principe *ne bis in idem* conditionnée à une appréciation substantielle de la culpabilité
La solution retenue par la Cour de justice repose sur une interprétation finaliste de l’article 50 de la Charte, subordonnant sa mise en œuvre à l’existence d’un examen au fond de l’affaire (A), ce qui consacre une prééminence de la justice matérielle sur la seule autorité formelle de la chose jugée (B).
A. L’exigence d’un examen de la responsabilité pénale
La Cour énonce clairement que le principe *ne bis in idem* ne trouve à s’appliquer que si la première décision de clôture a impliqué un examen, même succinct, de la responsabilité pénale de l’individu. En l’espèce, la décision initiale n’était fondée que sur l’existence d’une loi d’amnistie, obstacle procédural qui a empêché toute forme de jugement sur le fond des faits reprochés. La Cour considère donc qu’une telle décision, bien que définitive, n’a pas pour effet d’éteindre l’action publique de manière substantielle. Elle juge ainsi que l’obstacle à de nouvelles poursuites n’est constitué que par une décision qui, après examen des faits, se prononce sur la culpabilité de la personne poursuivie.
En retenant une telle approche, la Cour s’aligne sur une conception matérielle du principe *ne bis in idem*. Ce n’est pas la seule existence d’une décision juridictionnelle définitive qui importe, mais la nature du raisonnement qui la sous-tend. La protection offerte par l’article 50 de la Charte vise à empêcher qu’une personne soit jugée deux fois pour les mêmes faits, ce qui présuppose qu’un premier jugement, au sens matériel du terme, ait eu lieu. Une clôture de procédure motivée par une amnistie ne constitue pas un jugement sur le fond, mais un simple constat de l’extinction de l’action publique pour des motifs d’opportunité politique, indépendants de l’établissement de la vérité judiciaire. La reprise des poursuites après la révocation de cette amnistie ne vient donc pas heurter l’autorité d’une décision ayant déjà tranché la question de la culpabilité.
B. La primauté de la justice matérielle sur la chose jugée formelle
En validant la reprise des poursuites, la Cour fait prévaloir la nécessité de ne pas laisser des infractions pénales impunies sur la simple autorité formelle attachée à une décision de classement. L’amnistie est un acte de la puissance publique qui, par sa nature, fait échec au cours ordinaire de la justice sans pour autant nier la matérialité des faits. La décision commentée admet implicitement que la révocation d’une telle mesure par le législateur national puisse restaurer le droit de la société à poursuivre les auteurs d’infractions. La solution aurait été différente si la décision initiale avait été un acquittement, même pour insuffisance de preuves, car un tel jugement comporte une appréciation, même négative, de la culpabilité.
Cette interprétation confère une portée relative à l’autorité de la chose jugée en matière pénale dans l’espace judiciaire européen. L’intangibilité d’une décision ne devient absolue que lorsqu’elle est le fruit d’une appréciation des mérites de l’accusation. Par conséquent, une décision de classement pour des motifs purement procéduraux ou liés à une mesure de clémence collective, comme une amnistie, ne saurait conférer à son bénéficiaire une immunité perpétuelle si le fondement même de cette décision vient à disparaître par un acte législatif postérieur. La Cour préserve ainsi l’effectivité de la répression pénale, en considérant que l’obstacle procédural levé, l’action publique peut légitimement reprendre son cours là où elle avait été interrompue.
Outre cette clarification substantielle, la Cour se prononce sur le volet procédural de l’affaire, en définissant de manière restrictive le champ d’application de la directive sur le droit à l’information.
II. La délimitation stricte du champ d’application des garanties procédurales européennes
La Cour de justice adopte une lecture littérale du droit dérivé pour exclure du champ de la directive 2012/13/UE les procédures de nature législative et constitutionnelle (A), réaffirmant ainsi le principe de l’autonomie procédurale des États membres dans ces domaines spécifiques (B).
A. L’exclusion des procédures législatives et de contrôle de constitutionnalité
La seconde partie de la décision de la Cour porte sur la portée du droit à l’information tel que prévu par la directive 2012/13/UE. La Cour juge que ce texte, qui vise à garantir les droits des suspects et des personnes poursuivies, ne s’applique pas aux procédures qui ne sont pas de nature pénale. Elle énonce que ni « une procédure de nature législative relative à la révocation d’une amnistie » ni « une procédure juridictionnelle ayant pour objet le contrôle de la conformité de cette révocation à la Constitution nationale » ne relèvent du champ d’application de ladite directive. Le raisonnement est ici fondé sur la finalité même du texte, qui est de régir les droits de la défense au sein d’une procédure pénale contradictoire.
Une procédure parlementaire, qui aboutit à l’adoption d’une loi, obéit à des règles de droit public et à un processus politique qui ne sauraient être assimilés à une instance pénale. De même, le contrôle de constitutionnalité d’une loi, bien que juridictionnel, est un contentieux objectif qui vise à s’assurer de la conformité d’une norme à la Constitution, et non à statuer sur la culpabilité d’une personne. La Cour refuse donc d’étendre les garanties spécifiques au procès pénal à des contextes où la personne concernée n’a pas la qualité de « suspect » ou de « personne poursuivie » au sens de la directive.
B. La réaffirmation de l’autonomie procédurale nationale
En se prononçant de la sorte, la Cour de justice respecte l’autonomie institutionnelle et procédurale des États membres. L’organisation du pouvoir législatif et les modalités du contrôle de constitutionnalité relèvent de la compétence souveraine de chaque État, pour autant que les principes fondamentaux de l’Union, tels que l’État de droit, soient respectés. La directive 2012/13/UE a pour objet d’harmoniser les garanties minimales dans le cadre des procédures pénales, mais elle n’a pas vocation à régir l’ensemble des processus normatifs et juridictionnels d’un État membre.
Cette solution pragmatique évite une ingérence du droit de l’Union dans le fonctionnement des institutions nationales qui ne sont pas directement liées à la mise en œuvre de la politique pénale européenne. Elle confirme que les droits de la défense, tels qu’encadrés par le droit dérivé, sont fonctionnels et circonscrits à la procédure pénale proprement dite. La Cour s’abstient ainsi d’imposer des obligations d’information issues de la directive à des acteurs, tels que le législateur ou le juge constitutionnel, dont le rôle se situe en dehors du cadre de l’établissement d’une responsabilité pénale individuelle. La décision préserve ainsi un équilibre entre l’harmonisation des droits fondamentaux et le respect des compétences nationales.