Cour de justice de l’Union européenne, le 16 février 2012, n°C-134/11

L’arrêt soumis au commentaire est une décision préjudicielle rendue par la Cour de justice de l’Union européenne, portant sur l’interprétation de l’article 7 de la directive 90/314/CEE du 13 juin 1990 relative aux voyages à forfait. En l’espèce, un consommateur avait réservé un voyage auprès d’un organisateur, lequel avait souscrit une assurance garantissant le remboursement des sommes versées en cas d’insolvabilité. Avant le départ, l’organisateur a informé le voyageur de sa nécessaire déclaration d’insolvabilité. Il est apparu par la suite que l’organisateur n’avait, dès le départ, jamais eu l’intention de réaliser le voyage et avait agi dans une intention frauduleuse. Le consommateur a alors demandé au garant le remboursement du prix du voyage, ce que ce dernier a refusé, estimant que la garantie ne couvrait pas les situations où l’annulation résulte du comportement frauduleux de l’organisateur. La juridiction nationale saisie du litige a donc posé une question préjudicielle à la Cour de justice.

La question de droit soumise à la Cour était de déterminer si la garantie contre l’insolvabilité de l’organisateur de voyages, imposée par l’article 7 de la directive 90/314, s’étend au cas où cette insolvabilité est la conséquence directe des manœuvres frauduleuses de ce dernier. En d’autres termes, la cause frauduleuse de l’insolvabilité peut-elle faire échec au droit au remboursement du consommateur ? À cette question, la Cour de justice répond par l’affirmative, en jugeant que la protection offerte par la directive doit s’appliquer indépendamment des raisons ayant conduit à l’insolvabilité. La Cour énonce en effet que l’article 7 de la directive « doit être interprété en ce sens que relève de son champ d’application une situation dans laquelle l’insolvabilité de l’organisateur du voyage est due au comportement frauduleux de celui-ci ». Cette solution consacre une conception extensive de la protection du consommateur (I), fondée sur une interprétation finaliste du texte dont la portée est significative (II).

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**I. L’extension de la garantie d’insolvabilité à l’hypothèse de fraude**

La Cour de justice fonde sa décision sur une analyse combinée du texte de la directive et des objectifs qu’il poursuit, affirmant ainsi le caractère absolu de la protection due au voyageur. Elle retient une interprétation stricte du champ d’application de la garantie (A) qui est justifiée par la finalité même du dispositif de protection des consommateurs (B).

**A. Une interprétation littérale de l’article 7 de la directive**

Pour répondre à la question préjudicielle, les juges européens procèdent en premier lieu à un examen du libellé de la disposition en cause. Ils constatent avec une grande clarté que « le libellé de l’article 7 de la directive 90/314 n’assortit ladite garantie d’aucune condition spécifique relative aux causes de l’insolvabilité de l’organisateur du voyage ». Cette approche exégétique permet d’écarter toute distinction fondée sur l’origine, qu’elle soit fortuite, négligente ou frauduleuse, de la défaillance de l’opérateur. La lettre du texte ne prévoyant aucune exception, le juge ne saurait en ajouter une, au risque de restreindre la protection là où le législateur a souhaité qu’elle soit générale.

La Cour rappelle à cet égard sa jurisprudence antérieure, notamment l’arrêt `Rechberger e.a.` du 15 juin 1999, dans lequel elle avait déjà précisé que la garantie était « destinée à prémunir le consommateur contre les conséquences de la faillite, quelles qu’en soient les causes ». En s’inscrivant dans cette continuité, la décision commentée confirme que la seule condition d’application de la garantie est la survenance de l’insolvabilité de l’organisateur. Le comportement de ce dernier, qu’il soit qualifié d’imprudent ou, comme en l’espèce, de délictueux, est indifférent à la mise en œuvre du droit au remboursement du consommateur.

**B. La primauté de l’objectif de protection du consommateur**

Au-delà de l’analyse textuelle, la Cour de justice justifie sa solution par l’objectif même de la directive. Celle-ci vise, ainsi que le rappelle la décision, à « garantir un niveau de protection élevé des consommateurs ». L’article 7, en particulier, a pour finalité de protéger le voyageur contre le risque économique découlant de l’insolvabilité de son cocontractant professionnel. Permettre au garant de se prévaloir du caractère frauduleux de l’insolvabilité pour refuser sa prise en charge reviendrait à vider cette protection d’une partie substantielle de son efficacité. Le consommateur se retrouverait alors démuni face à une situation qu’il ne pouvait ni prévoir ni maîtriser.

L’obligation pesant sur l’organisateur, et par ricochet sur le garant, est une obligation de résultat : assurer le remboursement des fonds et le rapatriement du voyageur. Le mécanisme de garantie est précisément conçu pour couvrir le risque ultime de défaillance, indépendamment des circonstances qui y ont mené. Exclure la fraude du champ de la garantie créerait une incertitude juridique préjudiciable au consommateur, qui devrait alors tenter de prouver la nature non frauduleuse de l’insolvabilité pour obtenir remboursement, ce qui serait contraire à l’esprit de la directive.

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**II. La consolidation d’une protection objective du consommateur-voyageur**

En affirmant que la cause frauduleuse de l’insolvabilité est sans incidence sur le droit au remboursement, la Cour de justice renforce le caractère objectif de la garantie (A), ce qui clarifie le droit positif et la répartition des risques entre les acteurs (B).

**A. L’affirmation du caractère inconditionnel de la protection**

La valeur de cet arrêt réside dans sa grande cohérence juridique et son pragmatisme. La solution retenue est conforme à la logique du droit de la consommation, qui vise à rééquilibrer un rapport contractuel structurellement inégal. Le consommateur, partie faible, ne doit pas supporter les conséquences de la défaillance, même délictueuse, du professionnel. La fraude de l’organisateur est un risque inhérent à l’activité économique que le garant, en sa qualité d’assureur professionnel, a pour mission de couvrir. Le contraire reviendrait à faire peser sur le consommateur un risque d’entreprise.

La décision est donc critiquable d’aucun point de vue, car elle refuse d’introduire une distinction qui serait non seulement contraire au texte, mais aussi profondément inéquitable. Elle établit que la seule investigation pertinente pour le garant est celle de l’existence de l’insolvabilité et du préjudice du consommateur, non celle des turpitudes de l’organisateur. Toute autre solution aurait ouvert une brèche dans le dispositif de protection, incitant les garants à soulever systématiquement la suspicion de fraude pour échapper à leurs obligations.

**B. La portée de la solution : une clarification du droit positif**

Cet arrêt ne constitue pas un revirement de jurisprudence, mais plutôt une clarification importante de la portée de l’article 7 de la directive. Il s’inscrit dans le prolongement de la jurisprudence `Dillenkofer` et `Rechberger`, en l’appliquant à une situation extrême, celle de la fraude avérée dès l’origine. La portée de la décision est donc considérable : elle clôt le débat sur la possible exclusion de la garantie en cas de faute lourde ou intentionnelle de l’organisateur. La protection du consommateur contre le risque d’insolvabilité est quasi absolue.

Cette solution a pour effet de renforcer la responsabilité des garants. Ceux-ci ne peuvent plus se retrancher derrière la cause de la défaillance pour moduler leur engagement. Ils sont contraints d’intégrer le risque de fraude dans le calcul de leurs primes et, éventuellement, de se montrer plus sélectifs dans le choix des organisateurs qu’ils acceptent de garantir. Indirectement, cette jurisprudence pourrait ainsi contribuer à assainir le marché des voyages à forfait en incitant les garants à exercer un contrôle plus rigoureux sur la fiabilité et la solvabilité de leurs assurés. Pour le consommateur, la sécurité juridique est maximale : dès lors que l’insolvabilité est avérée, son droit au remboursement est acquis.

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Hassan KOHEN
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