La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 16 février 2012, un arrêt relatif aux méthodes de calcul des droits antidumping et au respect des garanties procédurales. Dans cette affaire, des sociétés exportatrices établies dans un État tiers contestaient la légalité d’un règlement imposant des droits définitifs sur les importations de certains tubes en acier. Le litige portait principalement sur l’ajustement du prix à l’exportation opéré par les institutions lors de la comparaison avec la valeur normale des produits concernés.
Les requérantes avaient initialement saisi le Tribunal qui, par une décision du 10 mars 2009, avait partiellement annulé le règlement litigieux en raison d’erreurs d’appréciation. Les institutions de l’Union ont alors formé un pourvoi devant la Cour de justice pour obtenir l’annulation de cette décision de première instance. Elles soutenaient que le Tribunal avait erronément appliqué la notion d’entité économique unique et imposé une charge de la preuve excessive concernant les ajustements de prix. Les sociétés productrices ont également présenté un pourvoi incident visant à obtenir l’annulation intégrale de l’acte initialement contesté devant les juges de l’Union.
La question de droit posée consistait à déterminer si le concept d’entité économique unique pouvait s’appliquer au calcul du prix à l’exportation pour refuser un ajustement au titre des commissions. Les juges devaient également préciser l’étendue de la charge de la preuve incombant aux autorités et les conséquences d’une communication tardive des motifs sur les droits de la défense. La Cour rejette les pourvois et confirme que la réalité économique des liens entre un producteur et son distributeur doit primer sur leur autonomie juridique.
I. L’assimilation de l’opérateur lié par le prisme de l’entité économique unique
A. L’application par analogie du concept d’unité économique au calcul du prix à l’exportation
La Cour confirme la validité du raisonnement consistant à transposer la théorie de l’entité économique unique, initialement développée pour la valeur normale, au prix de vente à l’exportation. Elle souligne que « le partage des activités de production et de vente à l’intérieur d’un groupe formé par des sociétés juridiquement distinctes ne saurait rien enlever au fait qu’il s’agit d’une entité économique unique ». Cette approche permet de refléter la réalité des structures commerciales intégrées où la société de vente agit comme un simple département interne du producteur.
L’existence d’un contrôle économique effectif justifie que les relations entre les entités ne soient pas traitées comme des rapports entre un commettant et un agent commissionnaire indépendant. Dès lors, si un producteur distribue ses produits par une filiale qu’il contrôle, aucune raison juridique ne s’oppose à la reconnaissance d’une unité économique globale. Cette solution garantit une comparaison équitable entre les prix pratiqués sur le marché intérieur et ceux destinés à l’exportation vers le territoire de l’Union européenne.
B. L’encadrement probatoire des ajustements opérés par les institutions de l’Union
Le juge européen précise la répartition de la charge de la preuve lorsque les autorités entendent procéder à des ajustements techniques pour corriger la marge de dumping. Il affirme qu’il « incombe aux institutions de se fonder […] sur des preuves ou, à tout le moins, sur des indices, permettant d’établir l’existence du facteur au titre duquel l’ajustement est opéré ». Cette exigence limite le pouvoir discrétionnaire de l’administration en l’obligeant à démontrer que les fonctions de l’opérateur lié sont réellement assimilables à celles d’un agent.
Les institutions ne peuvent donc pas se contenter de présomptions générales basées sur la seule présence d’une structure intermédiaire pour déduire des commissions fictives du prix exporté. Le Tribunal avait justement relevé que les éléments avancés n’étaient pas suffisamment convaincants pour établir l’incidence de ces facteurs sur la comparabilité des prix. La Cour valide ce contrôle de la qualification juridique des faits sans pour autant empiéter sur le large pouvoir d’appréciation économique dont disposent les autorités.
II. La garantie du contradictoire et les limites du contrôle juridictionnel
A. La sanction de la communication tardive des motifs de la décision
Le respect des droits de la défense constitue une formalité substantielle dont la méconnaissance peut entraîner l’annulation de l’acte final à l’issue de la procédure d’enquête. Les entreprises intéressées doivent être mises en mesure de faire connaître utilement leur point de vue sur la réalité et la pertinence des faits et circonstances allégués. En l’espèce, les motifs justifiant l’ajustement du prix n’avaient été communiqués que la veille de l’adoption du règlement définitif par les autorités compétentes.
Une telle communication tardive empêche les exportateurs de contester efficacement les données retenues contre eux et de soumettre des arguments correctifs avant la clôture de l’instruction. Le juge souligne que le respect de ces droits de la défense revêt une importance capitale dans les procédures complexes relatives à la politique commerciale commune. L’irrégularité procédurale est ici manifeste puisque les requérantes n’ont pu exercer leur droit d’être entendues de manière effective sur les éléments tangibles de l’ajustement.
B. Le maintien de la solution au regard de l’incidence sur la défense
L’annulation pour vice de procédure n’est toutefois possible que si la partie lésée démontre qu’elle aurait pu mieux assurer sa défense en l’absence de cette irrégularité. La Cour observe qu’une communication antérieure « aurait permis de faire valoir auprès des institutions […] les mêmes arguments que ceux qui ont fondé la décision d’annulation » par le juge. Il n’est pas nécessaire de prouver que la décision finale aurait été différente mais seulement que cette hypothèse n’est pas totalement exclue.
Cette jurisprudence renforce la protection des administrés face à la complexité des calculs économiques en exigeant une transparence totale tout au long de la phase administrative. La solution retenue confirme également que le juge de première instance reste souverain dans l’appréciation des faits, sauf cas exceptionnel de dénaturation des preuves. En rejetant l’ensemble des pourvois, la Cour maintient un équilibre entre l’efficacité de la défense commerciale et la protection des droits fondamentaux des opérateurs économiques.