Cour de justice de l’Union européenne, le 16 février 2012, n°C-372/10

Par un arrêt préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne a été amenée à clarifier l’interprétation de la directive 69/335/CEE du 17 juillet 1969, relative aux impôts indirects frappant les rassemblements de capitaux. En l’espèce, une opération de restructuration au sein d’un groupe de sociétés a donné lieu à un litige fiscal. Une société a apporté les parts qu’elle détenait dans une filiale à une autre filiale, entraînant une augmentation de capital pour cette dernière. L’administration fiscale de l’État membre concerné a perçu un impôt sur cette opération. La société bénéficiaire de l’apport a contesté cette imposition, soutenant qu’elle était contraire au droit de l’Union, qui visait à supprimer de telles charges. Après le rejet de sa réclamation par l’administration, puis par le tribunal administratif de la voïvodie de Poznań, la société a formé un pourvoi en cassation. La Cour administrative suprême de Pologne, confrontée à des incertitudes sur l’interprétation du droit de l’Union, a saisi la Cour de justice de deux questions préjudicielles. La première question portait sur la portée temporelle de l’obligation d’exonération pour un État ayant adhéré à l’Union le 1er mai 2004, bien après la date de référence du 1er juillet 1984 fixée par la directive. La seconde question visait à déterminer si une exemption destinée à éviter la double imposition s’appliquait uniquement aux avoirs propres de la société dont le capital est augmenté, ou si elle couvrait également les avoirs apportés par une autre société. La Cour a répondu que la date de référence de 1984 s’appliquait à tous les États membres, quelle que soit leur date d’adhésion, et que l’exemption devait être interprétée largement pour prévenir la double imposition, peu importe l’origine des avoirs. L’analyse de la décision révèle l’attachement de la Cour à une application uniforme de la directive (I), tout en assurant la primauté de son objectif de suppression des entraves fiscales aux mouvements de capitaux (II).

I. L’application uniforme de la directive aux nouveaux États membres

La Cour de justice adopte une position stricte quant à l’application temporelle de la directive, assurant ainsi une cohérence juridique au sein de l’Union élargie. Elle affirme une interprétation littérale du texte (A) qui conduit logiquement au rejet de toute approche différenciée pour les États ayant adhéré postérieurement à la date de référence (B).

A. La confirmation d’une interprétation littérale de la date de référence

La Cour rappelle que l’article 7, paragraphe 1, de la directive 69/335, telle que modifiée, impose une « obligation claire et inconditionnelle, pour les États membres, d’exonérer du droit d’apport les opérations qui, au 1er juillet 1984, étaient exonérées ou taxées à un taux égal ou inférieur à 0,50 % ». Le libellé de cette disposition est dépourvu d’ambiguïté et ne prévoit aucune dérogation pour les États ayant rejoint l’Union après cette date. L’adhésion à l’Union emporte l’acceptation de l’acquis communautaire dans son intégralité, y compris les dates de référence contenues dans les actes de droit dérivé, sauf disposition contraire expresse dans l’acte d’adhésion. En l’absence d’une telle disposition pour la République de Pologne, la date du 1er juillet 1984 s’impose à elle comme à tous les autres États membres. Cette solution garantit la sécurité juridique et l’application homogène du droit de l’Union.

B. Le rejet d’une approche historique pour les États adhérents

En conséquence de cette interprétation littérale, la Cour écarte toute considération d’une approche « historique » qui tiendrait compte du fait que la législation polonaise n’était pas soumise au droit de l’Union en 1984. Elle précise que l’état du droit national à cette date de référence est le seul critère pertinent pour déterminer si l’obligation d’exonération s’applique. Ainsi, un État membre ne saurait se prévaloir de sa non-appartenance à l’Union à la date de référence pour se soustraire à une obligation découlant de la directive. La Cour confirme ici sa jurisprudence antérieure, notamment l’arrêt `Optimus-Telecomunicações`, en stabilisant une règle claire pour tous les États membres ayant rejoint l’Union après 1984. Cette approche renforce l’idée d’un marché unique où les règles fiscales harmonisées s’appliquent de manière identique, prévenant ainsi la création de régimes fiscaux divergents fondés sur la date d’adhésion.

II. L’interprétation extensive de l’exonération pour éviter la double imposition

Après avoir clarifié le champ d’application temporel de la directive, la Cour se prononce sur sa portée matérielle en adoptant une interprétation large d’une de ses exemptions. Elle juge que l’exclusion de l’assiette imposable est fondée sur la nature de l’avoir et non son origine (A), consacrant ainsi une lecture téléologique de la disposition au service des objectifs du traité (B).

A. Une exclusion fondée sur l’avoir et non sur son détenteur

La seconde question portait sur l’article 5, paragraphe 3, premier tiret, de la directive, qui exclut de l’assiette du droit d’apport les avoirs propres d’une société affectés à une augmentation de son capital et « qui ont déjà été soumis au droit d’apport ». La Cour constate que le texte pose deux conditions cumulatives : l’affectation des avoirs à une augmentation de capital et leur imposition antérieure. Elle en déduit que la disposition ne vise pas exclusivement les avoirs de la société dont le capital est augmenté. Ajouter une condition supplémentaire, selon laquelle les avoirs devraient provenir de la société bénéficiaire elle-même, serait contraire à l’interprétation littérale du texte. Une telle lecture restrictive n’est pas soutenue par le libellé de la directive, qui ne distingue pas selon que les avoirs proviennent de la société elle-même ou d’une autre entité, comme dans le cas d’un apport en nature par une société mère.

B. La consécration d’une lecture téléologique au service de la libre circulation des capitaux

La Cour justifie cette interprétation large en se référant à la finalité même de la disposition, qui est d’éviter la double imposition afin de promouvoir la libre circulation des capitaux. Une interprétation stricte, qui limiterait l’exonération aux seuls avoirs déjà détenus par la société bénéficiaire, aboutirait à taxer une seconde fois des capitaux ayant déjà supporté l’impôt lors de leur première constitution. Cela créerait une entrave fiscale aux opérations de restructuration de groupes, qui sont pourtant des manifestations normales de la vie économique au sein du marché intérieur. En affirmant que l’exonération « s’applique indépendamment du point de savoir s’il s’agit des avoirs de la société dont le capital social est augmenté ou de ceux qui, provenant d’une autre société, viennent augmenter ce capital », la Cour privilégie l’efficacité de la directive et son objectif de neutralité fiscale. Cette solution assure que les réorganisations de sociétés ne soient pas pénalisées fiscalement, renforçant ainsi l’intégration économique promue par les traités.

📄 Circulaire officielle

Nos données proviennent de la Cour de cassation (Judilibre), du Conseil d'État, de la DILA, de la Cour de justice de l'Union européenne ainsi que de la Cour européenne des droits de l'Homme.
Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

Maître Kohen, avocat à Paris en droit pénal et droit du travail, accompagne ses clients avec rigueur et discrétion dans toutes leurs démarches juridiques, qu'il s'agisse de procédures pénales ou de litiges liés au droit du travail.

En savoir plus sur Kohen Avocats

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Poursuivre la lecture