Cour de justice de l’Union européenne, le 16 février 2017, n°C-503/15

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu une décision importante le 16 février 2017 concernant la définition autonome de la notion de juridiction. Un greffier d’une ville espagnole avait saisi la Cour afin de vérifier la conformité d’une procédure nationale de recouvrement d’honoraires avec le droit de l’Union. Les faits concernent un litige entre un avocat et sa cliente à la suite d’une prestation de services juridiques dans une affaire familiale. Le demandeur a engagé une action en paiement devant le fonctionnaire compétent selon les règles de procédure civile de l’État membre. Ce dernier s’interrogeait sur l’impossibilité de contrôler d’office l’existence de clauses abusives dans le contrat conclu entre le professionnel et le consommateur. Toutefois, la Cour devait d’abord déterminer si cet organe constituait une juridiction au sens de l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Elle déclare finalement son incompétence en raison de la nature administrative des fonctions exercées par l’organisme de renvoi. L’étude de cette solution suppose d’analyser l’absence d’indépendance organique de l’autorité de renvoi (I) avant d’examiner les limites fonctionnelles de la procédure de recouvrement (II).

I. La dénaturation de la fonction juridictionnelle par l’absence d’indépendance organique

A. L’insuffisance manifeste de l’indépendance externe du greffier

Le droit de l’Union exige que l’instance de renvoi exerce ses fonctions en toute autonomie sans être soumise à aucun lien de subordination. La Cour relève que le greffier appartient à un corps dépendant directement du ministère de la Justice de son État membre d’origine. Elle précise que « le greffier reçoit, et est tenu de respecter, les instructions de son supérieur hiérarchique » pour l’exercice de ses missions. Cette dépendance hiérarchique contredit le principe d’autonomie nécessaire pour protéger le décideur contre les interventions ou les pressions extérieures susceptibles de l’influencer. L’aspect externe de l’indépendance fait défaut dès lors que l’organe ne peut statuer sans recevoir d’ordres ou d’instructions de son autorité de tutelle. Le statut de fonctionnaire public du greffier empêche donc sa qualification de juridiction au sens des traités européens malgré son impartialité interne.

B. La qualification administrative d’une mission dépourvue d’autorité de chose jugée

La procédure d’action en paiement d’honoraires se situe en marge du système juridictionnel national car elle ne produit pas d’effets de droit définitifs. La Cour observe que la décision motivée rendue par le greffier « n’est pas susceptible d’être revêtue des attributs d’une décision judiciaire ». Cette absence d’autorité de la chose jugée permet aux parties de saisir ultérieurement une juridiction de droit commun pour le même litige. L’ouverture de l’action devant le greffier ne fait pas obstacle à une procédure déclarative ou à une injonction de payer devant un juge. L’organe de renvoi ne remplit pas le critère de l’application des règles de droit dans un cadre destiné à une décision juridictionnelle. La mission confiée à ce fonctionnaire revêt un caractère purement administratif visant uniquement à délivrer un titre exécutoire rapide pour les professionnels.

II. Les limites de la protection des consommateurs face au rejet du renvoi préjudiciel

A. La préservation de l’accès au juge par les procédures de droit commun

Le caractère facultatif de la saisine du greffier démontre que la compétence de cet organe ne s’impose pas nécessairement aux parties en conflit. Un avocat peut choisir librement entre cette voie spécifique et une procédure juridictionnelle classique pour obtenir le recouvrement de ses créances impayées. La Cour souligne que l’action en paiement d’honoraires présente un caractère purement incident par rapport à la procédure principale déjà conclue par les plaideurs. Le défaut de caractère obligatoire de la juridiction renforce l’idée que le greffier n’agit pas comme un tribunal au sens du droit européen. Cette modalité procédurale ne prive cependant pas le justiciable de son droit à un recours effectif devant un véritable magistrat indépendant. Les garanties fondamentales prévues par la Charte restent assurées par la possibilité constante d’engager un procès devant les instances judiciaires ordinaires.

B. Le transfert de la protection effective vers le juge de l’exécution

L’incompétence de la Cour pour répondre aux questions posées n’entraîne pas l’absence totale de contrôle de la validité des clauses contractuelles litigieuses. La protection des consommateurs contre les pratiques déloyales doit être assurée par l’autorité chargée de mettre en œuvre la décision du greffier. La Cour affirme qu’il appartient au « juge de l’exécution compétent pour ordonner la saisie de la somme due » d’examiner le caractère abusif des clauses. Cette obligation de contrôle d’office s’impose au magistrat national lors de la phase d’exécution forcée pour garantir l’effet utile des directives européennes. Le juge de l’exécution devient le garant ultime du respect des droits du consommateur face à un titre exécutoire d’origine administrative. Cette répartition des rôles permet de maintenir l’équilibre entre la célérité du recouvrement professionnel et la vigilance nécessaire envers les contrats d’adhésion.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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