L’arrêt rendu par la Cour de justice de l’Union européenne soulève la question des conséquences de l’impossibilité pour un agriculteur de respecter ses engagements agroenvironnementaux pluriannuels. En l’espèce, un exploitant agricole avait souscrit à un programme d’aide l’engageant à mettre en œuvre des pratiques spécifiques sur des parcelles définies pour une durée de cinq ans. Ces parcelles étaient exploitées en vertu d’accords de location annuels conclus avec divers propriétaires et exploitants. Pour la dernière année de son engagement, l’exploitant n’a pu obtenir le renouvellement de ces accords, une partie des cocontractants ayant décidé de cultiver eux-mêmes leurs terres. Cette situation a entraîné une réduction de la surface exploitée en deçà du seuil requis, conduisant l’autorité nationale compétente à résilier l’engagement et à exiger le remboursement partiel des aides perçues. Saisi d’un recours contre la décision de première instance confirmant l’acte de recouvrement, le Varhoven administrativen sad, la Cour administrative suprême bulgare, a interrogé la Cour de justice sur l’interprétation de la réglementation européenne. La juridiction de renvoi cherchait à savoir si l’impossibilité de renouveler les baux agricoles pouvait être assimilée à une mesure de « remembrement » au sens de l’article 45, paragraphe 4, du règlement n° 1974/2006, justifiant une adaptation ou une fin de l’engagement sans remboursement. Subsidiairement, elle s’interrogeait sur la qualification de cette situation en « cas de force majeure » au sens de l’article 31 du règlement n° 73/2009. La Cour de justice répond que la notion de remembrement vise des opérations structurelles décidées par une autorité publique et non la simple absence de renouvellement de contrats privés. Elle admet toutefois que les faits pourraient relever de la force majeure, à condition de remplir des critères stricts dont l’appréciation est laissée au juge national.
La solution de la Cour clarifie ainsi le champ d’application des clauses d’exonération prévues par le droit de l’Union, en distinguant nettement les opérations d’aménagement foncier relevant d’une intervention publique de celles résultant de la seule initiative privée (I). Ce faisant, elle renvoie l’appréciation de l’imprévisibilité et de l’extériorité des circonstances à l’examen souverain du juge national, qui demeure le garant de l’application concrète de la notion de force majeure (II).
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**I. Une interprétation stricte de la notion de remembrement excluant la défaillance contractuelle**
La Cour de justice adopte une définition rigoureuse des mesures d’aménagement foncier, qui doivent résulter d’une initiative publique et viser une réorganisation structurelle des terres (A). Par conséquent, elle écarte du champ de cette exception l’impossibilité d’honorer un engagement née de la simple non-reconduction de contrats de location privés (B).
**A. La définition autonome et finaliste du remembrement**
La Cour de justice procède à une interprétation autonome des termes « remembrement » et « mesures d’aménagement foncier », en l’absence de définition dans les règlements applicables. Elle établit que ces notions renvoient à des opérations spécifiques qui ne sauraient découler du simple jeu des relations contractuelles. Selon la Cour, il s’agit de « toute opération qui vise à la reconfiguration et au réarrangement de parcelles agricoles afin de constituer des exploitations agricoles plus rationnelles dans l’utilisation des sols et qui est décidée ou approuvée par les autorités publiques compétentes ». Cette définition combine donc un critère matériel, lié à la finalité de l’opération, et un critère organique, tenant à l’implication d’une autorité publique. Le remembrement est ainsi circonscrit à des interventions d’envergure, modifiant la structure même du parcellaire dans un but d’optimisation agricole, et qui sont encadrées ou validées par la puissance publique. Cette approche garantit une application uniforme de la règle dans l’Union, évitant que des situations purement privées ne bénéficient indûment d’un régime dérogatoire destiné à ne pas pénaliser les agriculteurs subissant des réorganisations foncières qui leur sont imposées.
**B. Le rejet de l’assimilation à une impossibilité d’origine privée**
En conséquence de cette définition stricte, la Cour juge que le régime protecteur de l’article 45, paragraphe 4, du règlement n° 1974/2006 n’est « pas applicable lorsque ladite impossibilité résulte de la disparition du droit d’utiliser une partie de la superficie de cette exploitation pendant l’exécution desdits engagements ». La situation de l’exploitant, confronté au refus de ses cocontractants de renouveler les baux annuels, est ainsi analysée comme une simple péripétie contractuelle et non comme une mesure d’aménagement foncier. La Cour souligne que l’impossibilité de poursuivre l’exploitation ne résulte pas directement de mesures décidées par une autorité publique mais de l’exercice par des propriétaires de leur liberté contractuelle. Cette distinction est fondamentale : elle préserve la portée de l’exception en la réservant aux seules circonstances où l’agriculteur est soumis à une modification structurelle de son exploitation indépendante de sa volonté et de celle de ses partenaires privés. En somme, le risque de non-renouvellement d’un bail à court terme est considéré comme inhérent à la gestion de l’exploitation et ne saurait être assimilé à un remembrement.
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L’exclusion du mécanisme spécifique au remembrement conduit la Cour à examiner si l’agriculteur pourrait néanmoins être exonéré de son obligation de remboursement sur le fondement de la théorie générale de la force majeure. Son analyse aboutit à une solution nuancée, qui reconnaît la possibilité d’une telle qualification tout en en confiant la vérification au juge national.
**II. Une application conditionnelle de la force majeure renvoyée à l’appréciation du juge national**
La Cour rappelle que la force majeure peut être reconnue en dehors de la liste non exhaustive des règlements, dès lors que des critères précis sont réunis (A). Elle charge cependant la juridiction de renvoi d’apprécier souverainement si, dans les faits de l’espèce, ces conditions sont effectivement remplies, faisant du juge national le pivot de la mise en œuvre de cette exception (B).
**A. La reconnaissance d’une possible qualification en cas de circonstances exceptionnelles**
La Cour de justice admet que l’impossibilité de respecter un engagement en raison de la non-conclusion d’accords d’utilisation de terres « peut, en principe, constituer un cas de force majeure ». Elle rappelle que la notion de force majeure, telle qu’elle est consacrée par sa jurisprudence constante, repose sur la réunion de trois conditions cumulatives. L’événement doit être dû à des circonstances « étrangères à ce bénéficiaire, anormales et imprévisibles, dont les conséquences n’auraient pas pu être évitées malgré toutes les diligences déployées par ce dernier ». La Cour ne ferme donc pas la porte à l’agriculteur, reconnaissant qu’un refus concerté ou massif de renouvellement de baux pourrait, dans certaines circonstances, dépasser le cadre d’un risque commercial normal. L’analyse ne se limite pas à la nature contractuelle de l’obstacle, mais s’étend à son caractère potentiellement anormal et imprévisible, par exemple s’il était lié à une modification législative ayant brusquement altéré le comportement des propriétaires fonciers.
**B. La charge de la preuve et le rôle déterminant du juge de renvoi**
En dernière analyse, la Cour confie au juge national le soin de trancher. C’est à lui « qu’il appartient […] de vérifier » si les conditions de la force majeure sont satisfaites au regard des faits précis du litige. Cette démarche illustre la répartition des rôles dans le cadre d’un renvoi préjudiciel : la Cour de justice fournit la clé d’interprétation du droit de l’Union, mais le juge national reste celui qui applique cette interprétation à la situation concrète. La juridiction de renvoi devra donc déterminer si le non-renouvellement des accords était imprévisible pour un exploitant diligent, sachant que les baux étaient d’une durée d’un an seulement. Elle devra également vérifier si des circonstances extérieures, comme la modification réglementaire invoquée par l’exploitant, ont réellement et anormalement influencé la décision des propriétaires, et si l’agriculteur a pris toutes les mesures possibles pour éviter les conséquences de cette situation. Le sort de l’exploitant dépendra donc entièrement de cette appréciation souveraine des faits par son juge national.