Un arrêt récent de la Cour de justice de l’Union européenne, rendu dans le cadre d’une procédure en manquement, offre une illustration précise des obligations incombant aux États membres en matière de qualité de l’air. En l’espèce, la Commission européenne a initié une procédure contre un État membre après avoir constaté un dépassement systématique et continu de la valeur limite annuelle fixée pour le dioxyde d’azote (NO2) dans une de ses plus grandes agglomérations. Ces dépassements, observés chaque année de 2010 à 2020, ont conduit l’institution à adresser une lettre de mise en demeure en janvier 2019, suivie d’un avis motivé en février 2020. L’État membre, tout en reconnaissant certains dépassements localisés, a soutenu que la situation s’améliorait et que des mesures étaient en cours d’élaboration, contestant ainsi le caractère systématique du manquement. Saisie du recours par la Commission, la Cour était amenée à déterminer si le dépassement persistant des valeurs limites de pollution, même dans un nombre restreint de stations de mesure, suffisait à caractériser un manquement aux obligations de la directive 2008/50/CE. Il lui appartenait également de juger si l’absence d’un plan de qualité de l’air formalisé, plus de dix ans après le début des dépassements, constituait une violation distincte de l’obligation de prendre des mesures pour que la période de dépassement soit la plus courte possible. La Cour a conclu à un double manquement de l’État membre, d’une part pour avoir violé son obligation de résultat de respecter les valeurs limites de qualité de l’air, et d’autre part pour ne pas avoir adopté en temps utile les plans nécessaires pour corriger la situation. Cet arrêt réaffirme avec force le caractère strict des obligations environnementales et l’exigence d’une action étatique prompte et structurée face à une pollution avérée.
I. La consécration d’une obligation de résultat stricte en matière de respect des valeurs limites de pollution
La Cour rappelle que le non-respect des seuils de pollution constitue en soi un manquement (A), rendant inopérants les arguments de l’État membre relatifs à une amélioration partielle de la situation ou à la localisation des dépassements (B).
A. Le caractère objectif et persistant du manquement par le simple dépassement des seuils
La décision commentée s’inscrit dans une jurisprudence bien établie qui confère aux valeurs limites de qualité de l’air un caractère contraignant et absolu. La Cour juge que la procédure en manquement repose sur une « constatation objective du non-respect par un État membre des obligations que lui imposent le traité FUE ou un acte de droit dérivé ». Ainsi, le simple fait de mesurer des niveaux de concentration de polluants supérieurs aux seuils fixés par la législation européenne suffit à établir la violation. La Cour souligne que « le fait de dépasser les valeurs limites fixées par la directive 2008/50 pour les polluants dans l’air ambiant suffit en lui-même pour pouvoir constater un manquement ». L’obligation de respecter ces valeurs s’analyse donc comme une obligation de résultat, dont la seule non-atteinte suffit à engager la responsabilité de l’État. En l’espèce, les données fournies par l’État lui-même démontraient un dépassement ininterrompu de la valeur limite annuelle pour le NO2 entre 2010 et 2020, ce qui suffisait à qualifier le manquement de systématique et persistant, sans que la Commission ait à fournir d’autres preuves.
B. L’indifférence des tendances d’amélioration et de la localisation des dépassements
Face à l’accusation, l’État membre a tenté de minimiser la portée du manquement en avançant plusieurs arguments. Il a notamment fait valoir qu’une tendance à la baisse des concentrations avait été observée et que les dépassements ne concernaient plus qu’un nombre très limité de stations de mesure au sein de l’agglomération. La Cour rejette fermement cette ligne de défense en s’appuyant sur sa jurisprudence antérieure. Elle rappelle qu’un « manquement peut […] demeurer systématique et persistant en dépit d’une éventuelle tendance partielle à la baisse […] qui n’aboutit toutefois pas à ce que l’État membre concerné se conforme aux valeurs limites ». De plus, et c’est un point essentiel, elle précise que pour constater le dépassement d’une valeur limite annuelle, « il suffit qu’un niveau de pollution supérieur à cette valeur soit mesuré à un point de prélèvement isolé ». Cette interprétation rigoureuse empêche un État de se prévaloir d’une situation globalement satisfaisante sur un territoire pour justifier des « points noirs » de pollution, réaffirmant que la protection de la santé humaine doit être assurée sur l’ensemble de la zone concernée.
II. L’exigence d’une réponse étatique formalisée et efficace face à la pollution
Au-delà de la constatation de la pollution, la Cour sanctionne l’État membre pour son inaction procédurale (A), jugeant que les quelques mesures sectorielles avancées ne sauraient remplacer un plan d’action structuré et assorti d’un calendrier précis (B).
A. Le manquement tiré de l’absence d’un plan de qualité de l’air conforme et adopté en temps utile
La directive 2008/50/CE ne se contente pas de fixer des seuils à ne pas dépasser ; elle organise également la réponse que les États doivent apporter lorsque ces seuils sont franchis. L’article 23 de ce texte impose l’établissement de plans relatifs à la qualité de l’air afin de ramener les concentrations de polluants sous les valeurs limites. La Cour constate que l’État membre a manqué à cette seconde obligation, distincte de la première. Dix ans après le début des dépassements, et au moment de l’expiration du délai fixé par l’avis motivé, il n’avait toujours pas adopté de plan formel pour l’agglomération concernée. L’argument selon lequel un contrat pour l’élaboration d’un tel plan était en cours d’exécution est balayé, la Cour notant qu’un tel plan, à supposer même qu’il soit conforme, aurait été « établi plus de dix ans après la date à laquelle la valeur limite annuelle fixée pour le NO2 […] aurait dû être respectée ». Le temps écoulé démontre à lui seul que l’État n’a pas agi avec la célérité requise pour que la période de dépassement soit « la plus courte possible ».
B. La sanction de l’inefficacité des mesures isolées et de l’absence de calendrier précis
En défense, l’État membre a énuméré une série de mesures et de projets visant à réduire la pollution, notamment dans le secteur des transports. Toutefois, la Cour considère que ces actions ne répondent pas aux exigences formelles et substantielles d’un plan de qualité de l’air. Elle relève que ces mesures « ne sauraient être considérées comme étant conformes aux exigences formelles prévues à l’annexe xv, section a, de la directive 2008/50 », car elles ne sont pas intégrées dans un document unique comportant un « calendrier de mise en œuvre ainsi qu’une estimation de l’amélioration de la qualité de l’air escomptée et du délai prévu pour la réalisation des objectifs ». L’absence de quantification des effets attendus et la projection de leur réalisation à des échéances lointaines, entre 2024 et 2026, achèvent de convaincre la Cour que l’État n’a manifestement « pas adopté en temps utile de mesures appropriées ». Cette approche pragmatique souligne que l’obligation de l’article 23 n’est pas une simple obligation de moyens, mais impose l’adoption d’un ensemble de mesures coordonnées, crédibles et évaluables, capables de garantir un retour au respect du droit dans les plus brefs délais.