Cour de justice de l’Union européenne, le 16 janvier 2014, n°C-423/12

L’arrêt soumis à commentaire, rendu par la Cour de justice de l’Union européenne, porte sur l’interprétation des conditions d’octroi d’un droit de séjour à un descendant direct d’un citoyen de l’Union. Plus spécifiquement, il précise la notion de membre de la famille « à charge » au sens de la directive 2004/38/CE. En l’espèce, une ressortissante philippine, âgée de plus de vingt-et-un ans, a sollicité un titre de séjour en Suède pour rejoindre sa mère, citoyenne allemande y résidant. La requérante faisait valoir qu’elle était financièrement dépendante de sa mère et de son beau-père, qui lui versaient régulièrement des fonds nécessaires à sa subsistance aux Philippines. Les autorités suédoises ont rejeté sa demande, estimant qu’elle n’avait pas démontré avoir tenté de subvenir à ses propres besoins par le travail ou par d’autres moyens dans son pays d’origine. Saisie en dernière instance, la cour d’appel administrative de Stockholm a décidé de surseoir à statuer et de poser deux questions préjudicielles à la Cour de justice. Il s’agissait de déterminer si un État membre peut exiger d’un descendant de plus de vingt-et-un ans la preuve de démarches infructueuses pour trouver un emploi dans son pays d’origine pour le considérer « à charge ». La juridiction de renvoi s’interrogeait également sur l’incidence des perspectives d’emploi du demandeur dans l’État membre d’accueil sur l’appréciation de sa situation de dépendance. La Cour de justice répond par la négative à ces deux interrogations, affirmant qu’un État membre ne peut imposer de telles exigences probatoires et que la possibilité pour le descendant de travailler dans l’État d’accueil est sans pertinence pour évaluer la situation de dépendance au moment de la demande.

La solution clarifie ainsi le concept de dépendance, en le fondant sur une réalité matérielle plutôt que sur une incapacité subie. Il convient dès lors d’analyser la consécration par la Cour d’une conception factuelle et inconditionnelle de la dépendance (I), avant d’étudier l’indépendance temporelle de cette appréciation au regard de l’intégration professionnelle future du descendant (II).

I. La consécration d’une conception factuelle et inconditionnelle de la dépendance

La Cour de justice, en définissant les contours de la notion de membre de la famille « à charge », rejette toute exigence probatoire supplémentaire qui viendrait conditionner cette qualité (A) et consacre une approche fondée exclusivement sur la réalité du soutien matériel fourni par le citoyen de l’Union (B).

A. Le rejet des exigences probatoires additionnelles par l’État membre d’accueil

La Cour censure la pratique d’un État membre consistant à subordonner la reconnaissance de l’état de dépendance à la preuve par le demandeur de ses efforts infructueux pour atteindre l’autonomie financière. Les autorités nationales ne peuvent exiger que le descendant « établisse avoir vainement tenté de trouver un travail ou de recevoir une aide à la subsistance des autorités du pays d’origine et/ou essayé par tout autre moyen d’assurer sa subsistance ». Une telle exigence est jugée contraire à la directive, car elle ajoute une condition non prévue par le texte et est susceptible de priver le droit au regroupement familial de son effet utile.

En effet, imposer cette charge de la preuve reviendrait à rendre l’exercice du droit au séjour excessivement difficile, voire impossible dans certaines situations. La Cour souligne le caractère souvent complexe de telles démarches administratives, qui ne sauraient constituer un préalable à la reconnaissance d’un droit fondamental. Cette position s’inscrit dans une jurisprudence constante visant à interpréter largement les dispositions qui consacrent la libre circulation des personnes, l’un des fondements de l’Union. La Cour s’oppose à ce que les États membres introduisent des obstacles administratifs indirects qui restreindraient la portée de ce droit.

B. La suffisance du soutien matériel pour établir la situation de dépendance

En contrepoint du rejet des conditions additionnelles, la Cour réaffirme que la qualité de membre de famille « à charge » résulte d’une « situation de fait caractérisée par la circonstance que le soutien matériel du membre de la famille est assuré par le citoyen de l’Union ». L’appréciation doit se fonder sur des éléments objectifs, à savoir l’existence d’un soutien réel, régulier et nécessaire pour que le descendant puisse subvenir à ses besoins essentiels dans son État d’origine ou de provenance. La Cour considère que le versement régulier, sur une période significative, de sommes d’argent par le citoyen de l’Union est un élément de nature à démontrer l’existence de cette dépendance.

Cette approche factuelle dispense le juge national de rechercher les raisons de cette dépendance. Peu importe que le descendant soit apte au travail ou qu’il ait suivi des études ; la seule question pertinente est de savoir si, concrètement, il ne peut subvenir à ses besoins sans l’aide de sa famille. En se concentrant sur la réalité économique de la situation au moment de la demande, la Cour garantit une application uniforme de la directive et prévient les appréciations subjectives fondées sur le potentiel du demandeur plutôt que sur sa situation avérée.

II. L’indépendance temporelle de l’appréciation de la dépendance face à l’intégration professionnelle future

La Cour établit une distinction claire entre l’évaluation de la dépendance au moment de la demande de séjour (A) et les perspectives professionnelles ultérieures du demandeur, préservant ainsi son droit au travail une fois le séjour obtenu (B).

A. L’évaluation de la dépendance confinée au moment de la demande de séjour

La seconde question préjudicielle visait à déterminer si les « chances raisonnables de trouver un emploi » dans l’État membre d’accueil pouvaient influencer la qualification de membre de famille « à charge ». La Cour répond sans équivoque que de telles considérations sont sans incidence. Elle précise que « la situation de dépendance doit exister, dans le pays de provenance du membre de la famille concerné, au moment où il demande à rejoindre le citoyen de l’Union ». L’analyse est donc strictement circonscrite temporellement et géographiquement.

Ce raisonnement empêche les autorités nationales de se livrer à des appréciations prospectives et spéculatives sur la capacité future du demandeur à s’intégrer sur le marché du travail de l’État d’accueil. L’intention de travailler, loin d’être un facteur d’exclusion, est considérée comme un élément postérieur à l’acquisition du droit de séjour. La Cour refuse ainsi de créer une situation paradoxale où un descendant serait pénalisé pour son projet d’intégration économique. La dépendance est une condition à l’entrée et au séjour, non une situation qui doit perdurer indéfiniment.

B. La préservation du droit au travail du membre de la famille rejoint

La Cour souligne qu’une interprétation contraire porterait directement atteinte à l’article 23 de la directive 2004/38. Cette disposition confère expressément aux membres de la famille qui bénéficient d’un droit de séjour le droit d’y exercer une activité salariée ou non salariée. Exiger du demandeur qu’il n’ait aucune perspective d’emploi pour être considéré « à charge » reviendrait à lui interdire par avance l’exercice d’un droit qui lui est pourtant garanti par le droit de l’Union une fois son séjour régularisé.

La solution adoptée est donc essentielle pour assurer la cohérence du système mis en place par la directive. Elle garantit que le statut de membre de famille « à charge » constitue une passerelle vers le séjour, et non une condition qui enfermerait l’individu dans une situation de dépendance permanente. En affirmant que le projet de travailler dans l’État membre d’accueil « n’a pas d’incidence sur l’interprétation de la condition d’être “à charge” », la Cour favorise l’objectif d’intégration sociale et économique des membres de la famille des citoyens de l’Union, conformément à l’esprit de la directive.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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