Par un arrêt rendu à une date non spécifiée, la Cour de justice de l’Union européenne a apporté des précisions sur l’articulation entre la libre circulation des marchandises et les réglementations nationales relatives au poinçonnage des ouvrages en métaux précieux. En l’espèce, des produits en métaux précieux, légalement marqués d’un poinçon de titre par un bureau de contrôle indépendant dans un premier État membre, étaient importés dans un second État membre. La législation de ce dernier imposait un nouveau marquage par un organisme national agréé au motif que les indications figurant sur le poinçon d’origine n’étaient pas conformes à ses propres prescriptions.
Saisie d’une question préjudicielle par une juridiction nationale, la Cour de justice était amenée à déterminer si une telle exigence de re-marquage était compatible avec le droit de l’Union. Le problème de droit soulevé consistait donc à se demander si l’article 34 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, qui prohibe les mesures d’effet équivalent à des restrictions quantitatives à l’importation, s’oppose à une réglementation nationale imposant un nouveau poinçonnage sur des ouvrages en métaux précieux déjà contrôlés et marqués dans leur État membre de provenance, au seul motif de la non-conformité formelle du premier poinçon avec les normes de l’État d’importation.
À cette question, la Cour répond par l’affirmative. Elle juge qu’une telle réglementation constitue une entrave injustifiée à la libre circulation des marchandises. Selon elle, l’obligation de soumettre les ouvrages à un nouveau marquage, alors même qu’ils ont déjà fait l’objet d’un contrôle apportant des garanties équivalentes dans l’État membre d’exportation, est contraire à l’article 34 du traité. La solution retenue par la Cour réaffirme ainsi avec clarté la primauté du principe de reconnaissance mutuelle dans le marché intérieur (I), tout en encadrant de manière stricte les justifications qu’un État membre peut invoquer pour y déroger (II).
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I. La consolidation du principe de reconnaissance mutuelle en matière de poinçonnage
La Cour de justice fonde sa décision sur une interprétation classique de l’article 34 du traité, considérant l’exigence de re-marquage comme une mesure d’effet équivalent (A) et lui opposant le principe fondamental de reconnaissance mutuelle (B).
A. L’identification d’une mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative
L’analyse de la Cour s’inscrit dans le prolongement d’une jurisprudence bien établie depuis plusieurs décennies. Est qualifiée de mesure d’effet équivalent à une restriction quantitative toute réglementation commerciale des États membres susceptible d’entraver, directement ou indirectement, actuellement ou potentiellement, le commerce intracommunautaire. En l’occurrence, l’obligation pour un importateur de faire apposer un nouveau poinçon sur des produits déjà marqués génère des coûts et des délais supplémentaires, rendant leur commercialisation plus difficile et onéreuse sur le marché de l’État d’importation.
Cette contrainte constitue une barrière non tarifaire à l’échange, dès lors qu’elle s’applique à des produits en provenance d’autres États membres. La Cour estime en effet que l’obligation de faire marquer de nouveau les ouvrages, « lorsque les indications relatives au titre de ces ouvrages figurant sur ce poinçon ne sont pas conformes aux prescriptions de la réglementation du premier État membre », constitue une condition qui freine l’accès au marché. La décision rappelle ainsi que des formalités administratives ou techniques, même indistinctement applicables, peuvent relever de la prohibition de l’article 34 du traité si leur effet est de restreindre les importations.
B. L’application de la reconnaissance mutuelle aux systèmes de contrôle
Face à cette entrave, la Cour de justice mobilise le principe de reconnaissance mutuelle. Selon ce principe, un produit légalement fabriqué et commercialisé dans un État membre, conformément aux réglementations et aux normes techniques de cet État, doit pouvoir être commercialisé dans n’importe quel autre État membre. Cette reconnaissance s’étend aux contrôles effectués dans l’État d’origine, dès lors que ceux-ci poursuivent un objectif de protection équivalent à celui de l’État de destination.
En l’espèce, le poinçon apposé dans l’État membre d’exportation par un bureau de contrôle indépendant atteste du titre du métal précieux. L’information essentielle pour la protection du consommateur est donc déjà fournie. Exiger un second contrôle et un nouveau marquage revient à nier la validité et l’équivalence des procédures de l’État d’origine. La Cour réaffirme que la confiance mutuelle entre les systèmes nationaux de contrôle est une condition essentielle au bon fonctionnement du marché intérieur, une confiance qui ne saurait être remise en cause pour de simples divergences de forme réglementaire.
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II. L’encadrement strict des dérogations justifiées par la protection des consommateurs
Si une entrave à la libre circulation peut être admise, c’est à la condition qu’elle soit justifiée et proportionnée, ce que la Cour examine avec rigueur. Elle rejette en l’espèce la justification fondée sur la protection du consommateur en raison du caractère disproportionné de la mesure (A), précisant ainsi la portée de sa solution pour l’avenir (B).
A. Le contrôle de la proportionnalité de la mesure nationale
Un État membre peut en principe justifier une mesure restrictive par une exigence impérative, telle que la protection des consommateurs. Cependant, la mesure doit être nécessaire et proportionnée pour atteindre l’objectif visé. Elle ne doit pas aller au-delà de ce qui est requis pour assurer cette protection. En l’espèce, l’objectif est de garantir que les consommateurs disposent d’une information claire et compréhensible sur le titre des ouvrages en métaux précieux.
La Cour considère que l’obligation d’un nouveau poinçonnage par un organisme indépendant est disproportionnée. D’autres moyens, moins restrictifs pour les échanges, permettraient d’atteindre le même but. Un simple étiquetage complémentaire, par exemple, traduisant ou explicitant les indications du poinçon d’origine, suffirait à informer adéquatement le consommateur. La Cour précise d’ailleurs que « la circonstance qu’un marquage additionnel […] n’a pas été effectué par un organisme de contrôle indépendant […] est sans incidence », du moment que le poinçon initial a été apposé par une autorité fiable. L’exigence d’une nouvelle intervention d’un organisme indépendant est donc jugée excessive.
B. La portée de la solution pour les réglementations techniques
Cette décision possède une portée significative pour l’ensemble des réglementations techniques nationales. Elle rappelle aux États membres qu’ils ne peuvent se prévaloir de leurs spécificités réglementaires pour cloisonner leur marché. Le formalisme administratif ne saurait l’emporter sur l’objectif de fond, à savoir la protection d’un intérêt légitime. Si un système de contrôle d’un autre État membre offre des garanties équivalentes, il doit être reconnu.
En refusant de valider une exigence fondée sur la seule non-conformité des « prescriptions » formelles, la Cour renforce la lutte contre le protectionnisme déguisé. Elle invite les États membres à privilégier des solutions qui favorisent l’intégration des marchés plutôt que leur fragmentation. La solution clarifie ainsi que la protection du consommateur, bien que légitime, ne peut servir de prétexte à des mesures protectionnistes dont le coût pour la fluidité du commerce intracommunautaire est manifestement excessif. L’arrêt constitue une illustration pédagogique de la balance opérée par le juge de l’Union entre les objectifs nationaux et l’impératif d’un marché unique.