Cour de justice de l’Union européenne, le 16 janvier 2025, n°C-424/23

La Cour de justice de l’Union européenne a rendu, le 24 octobre 2024, une décision précisant les modalités de rédaction des spécifications techniques des marchés publics.

Un pouvoir adjudicateur belge, chargé de la gestion des réseaux d’assainissement, impose l’usage exclusif de tuyaux en grès ou en béton dans ses appels d’offres. Un fabricant de canalisations en plastique conteste cette pratique qu’il juge discriminatoire et contraire aux principes de libre concurrence prévus par le droit de l’Union. Le litige parvient devant l’ondernemingsrechtbank Gent, afdeling Gent, qui décide d’interroger la juridiction européenne sur l’interprétation de la directive relative aux marchés publics. La question posée porte sur l’exhaustivité des méthodes de spécification et sur la légalité de l’exigence d’un matériau précis sans mention d’une possible équivalence. Le juge européen affirme que la liste des méthodes est exhaustive et que l’imposition d’un matériau doit impérativement s’accompagner de la clause « ou équivalent ». Cette analyse portera d’abord sur l’encadrement strict des méthodes de spécification technique avant d’envisager les garanties offertes au principe de libre concurrence par l’équivalence.

I. L’exclusivité des méthodes de détermination des exigences techniques

A. Le caractère limitatif de l’énumération textuelle

L’article 42 de la directive 2014/24 prévoit plusieurs modalités pour définir les caractéristiques techniques requises des travaux, produits ou services faisant l’objet du marché. La Cour énonce que « l’énumération, à cette disposition, des méthodes de formulation des spécifications techniques est exhaustive » pour les autorités chargées de la passation. Le juge fonde sa décision sur le libellé impératif de la norme européenne qui utilise une formule ne laissant aucune place à des méthodes supplémentaires. Les pouvoirs adjudicateurs doivent ainsi choisir entre une définition en termes de performances ou une référence à des normes techniques nationales ou internationales précises. Cette rigueur textuelle garantit une uniformité des pratiques au sein de l’espace européen et limite les risques de formulations arbitraires lors de la rédaction.

B. La qualification juridique de la référence à un matériau spécifique

Le choix d’un matériau déterminé par l’acheteur public constitue une référence technique particulière qui restreint potentiellement l’accès de certains opérateurs au marché de la commande. La juridiction précise que le matériau utilisé ne peut pas être qualifié de « performance » ou d’« exigence fonctionnelle » au sens strict du droit de l’Union. L’exigence de matériaux précis est assimilée à une référence à un « type » ou à une « production déterminée » ayant pour effet d’éliminer certains produits. Une telle prescription technique est alors soumise à l’interdiction de principe posée par la directive, sauf si elle s’avère absolument indispensable à l’objet du marché. L’autorité contractante ne peut donc pas privilégier un mode de fabrication traditionnel au détriment de solutions innovantes ou de matériaux différents présentant des qualités similaires.

II. La préservation de l’ouverture du marché par le principe d’équivalence

A. La portée obligatoire de la clause d’équivalence technique

L’ouverture à la concurrence impose que les spécifications techniques permettent la présentation d’offres reflétant la diversité des solutions technologiques disponibles sur le marché économique européen. Le juge affirme que les acheteurs publics ne peuvent pas « préciser de quels matériaux les produits proposés doivent être constitués » sans ajouter la mention d’équivalence. La mention « ou équivalent » constitue une protection essentielle pour les entreprises proposant des alternatives techniques performantes mais composées de matériaux exclus par le descriptif. Seule l’impossibilité technique absolue de recourir à une solution différente permettrait de déroger à cette obligation d’ouverture lors de la rédaction des documents. La preuve de l’équivalence doit rester possible pour chaque soumissionnaire afin de démontrer que son produit répond parfaitement aux besoins réels exprimés par la puissance publique.

B. L’influence de l’illégalité des spécifications sur les principes de passation

La méconnaissance des règles relatives aux spécifications techniques entraîne automatiquement une violation des principes fondamentaux d’égalité de traitement et de transparence régissant la commande publique. La Cour souligne que l’obligation de donner un accès égal à la procédure est « nécessairement méconnue » dès lors qu’un produit est illégalement écarté. Cette décision renforce le caractère indissociable entre le respect des modalités de rédaction des clauses techniques et la validité globale de la procédure de mise en concurrence. L’exclusion d’entreprises proposant des matériaux innovants constitue un obstacle injustifié à la liberté d’établissement et à la libre prestation de services au sein de l’Union. Le respect scrupuleux de ces exigences formelles assure ainsi une saine compétition entre les acteurs économiques tout en garantissant l’efficacité de l’achat public européen.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

Hassan Kohen

Avocat au Barreau de Paris • Droit Pénal & Droit du Travail

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