Cour de justice de l’Union européenne, le 16 janvier 2025, n°C-644/23

Un individu, poursuivi en Bulgarie pour sa participation à une organisation criminelle, a été informé en 2016 d’une mise en accusation durant la phase d’instruction. Après avoir constitué avocat et communiqué une adresse, il a disparu. Les autorités n’ont pu par la suite lui notifier l’acte d’accusation définitif ni sa citation à comparaître devant le tribunal pénal spécialisé. La procédure s’est donc déroulée en son absence, avec la désignation de plusieurs avocats commis d’office qui n’ont jamais pu entrer en contact avec lui.

Face à cette situation, et s’interrogeant sur la compatibilité de sa législation nationale avec le droit de l’Union, le juge bulgare a saisi la Cour de justice de l’Union européenne une première fois, donnant lieu à l’arrêt du 19 mai 2022. La juridiction de renvoi, constatant la persistance de la jurisprudence de la Cour suprême de cassation bulgare qui, sur le fondement du droit national, priverait l’accusé de la possibilité de demander un nouveau procès en raison de sa fuite, a de nouveau saisi la Cour de justice. Elle craignait qu’une condamnation par défaut ne conduise à une violation irrémédiable du droit à un procès équitable, la juridiction suprême refusant, selon elle, d’appliquer la directive 2016/343.

La question de droit soumise à la Cour consistait donc à déterminer si les articles 8 et 9 de la directive 2016/343 s’opposent à une réglementation nationale qui prive une personne, condamnée par défaut, du droit à un nouveau procès au motif qu’elle a pris la fuite après avoir été informée d’une accusation préliminaire, l’empêchant ainsi d’être informée de la tenue du procès. La Cour devait également se prononcer sur la conduite à tenir par le juge du fond face au refus allégué de la juridiction suprême de se conformer au droit de l’Union.

Dans son arrêt, la Cour de justice précise que le droit à un nouveau procès peut être refusé à un accusé en fuite, mais seulement à des conditions strictes. Une telle exclusion est conditionnée à la démonstration que la personne pouvait être considérée comme informée de la tenue de son procès et qu’elle a bénéficié de garanties procédurales suffisantes, telles que la représentation par un avocat mandaté ou l’information préalable sur les conséquences d’une non-comparution. La Cour juge en revanche irrecevable la question relative au comportement à adopter face à la jurisprudence de la juridiction suprême, considérant que cette question repose sur une prémisse hypothétique. L’interprétation rigoureuse des conditions dérogatoires au droit à un nouveau procès (I) encadre ainsi l’office du juge national, tenu de garantir l’effectivité du droit de l’Union (II).

I. La consolidation des conditions dérogatoires au droit à un nouveau procès

La Cour de justice apporte des clarifications essentielles sur l’articulation entre la fuite de l’accusé et la perte de son droit à un second procès. Elle admet une présomption de connaissance du procès découlant de la fuite délibérée de l’intéressé (A), tout en réaffirmant le caractère intangible de garanties procédurales minimales (B).

A. La présomption de connaissance du procès en cas de fuite délibérée

La Cour admet qu’un accusé puisse être privé du droit à un nouveau procès s’il a renoncé à son droit de comparaître. Cette renonciation peut être déduite de son comportement, notamment lorsqu’« il ressort d’indices précis et objectifs que celle-ci, tout en ayant été informée officiellement qu’elle est accusée d’avoir commis une infraction pénale et, sachant ainsi qu’un procès allait être organisé contre elle, fait délibérément en sorte d’éviter de recevoir officiellement les informations relatives à la date et au lieu de ce procès ». La fuite après la notification d’un acte d’accusation, même préliminaire, peut donc constituer un tel indice.

La Cour précise que le caractère non définitif de l’accusation initiale est sans incidence. En effet, elle estime qu’il suffit que l’intéressé ait compris « que son affaire serait très probablement portée devant un tribunal ». Ainsi, la notification d’une mise en accusation durant la phase d’instruction suffit à faire naître une présomption selon laquelle l’accusé, en se soustrayant à la justice, savait qu’un procès se tiendrait et cherchait à y échapper. Cette interprétation pragmatique vise à empêcher qu’une personne poursuivie ne puisse paralyser l’action de la justice par sa propre défaillance.

B. Le maintien de garanties procédurales irréductibles

Cependant, la Cour encadre strictement cette présomption en la soumettant à des conditions cumulatives, conformément à l’article 8, paragraphe 2, de la directive 2016/343. La fuite de l’accusé ne décharge pas les autorités de toutes leurs obligations. Pour que le droit à un nouveau procès soit valablement écarté, il faut non seulement que l’accusé soit réputé avoir été informé de la tenue du procès, mais aussi qu’il ait été « représenté, pendant le procès par défaut, par un avocat mandaté par [lui] ou, à défaut d’une telle représentation, [ait] été informé en temps utile de ce qu’[il] s’exposerai[t], si [il] se soustrayai[t] à l’action de la justice, à la tenue d’un procès en [son] absence ».

La Cour souligne la distinction fondamentale entre un avocat mandaté, choisi par l’accusé, et un avocat commis d’office avec lequel aucun contact n’a pu être établi. Dans ce dernier cas, la condition de représentation n’est pas remplie. Par conséquent, la privation du droit à un nouveau procès ne serait conforme au droit de l’Union que si l’accusé avait été personnellement averti, avant sa fuite, des conséquences de son absence au procès. Cette exigence garantit que la renonciation au droit de comparaître est éclairée, même lorsqu’elle est déduite d’un comportement de fuite.

II. La portée de la solution pour l’office du juge national

La réponse de la Cour de justice a des implications directes sur le rôle du juge national. Elle lui impose de réaliser un contrôle de conformité concret de la législation interne (A) tout en adoptant une position de retenue face à ce qui est présenté comme un conflit juridictionnel interne (B).

A. Le rappel de l’obligation d’écarter la norme nationale non conforme

Face à une réglementation nationale qui, comme l’article 423 du code de procédure pénale bulgare, semble exclure de manière quasi automatique le droit à un nouveau procès en cas de fuite, la Cour rappelle aux juridictions nationales leur devoir. Il leur appartient d’abord de tenter une interprétation conforme de leur droit interne avec les exigences de la directive. En l’espèce, il s’agirait de lire la loi nationale comme n’excluant le droit au nouveau procès que lorsque toutes les conditions de l’article 8, paragraphe 2, de la directive sont réunies.

En cas d’impossibilité d’une telle interprétation, la Cour est particulièrement claire. Forte de l’effet direct des articles 8, paragraphe 4, et 9 de la directive, elle enjoint aux juges nationaux de laisser « inappliquée toute disposition nationale contraire à ces dispositions du droit de l’Union, sans qu’elles aient à demander ou à attendre l’élimination préalable de la disposition législative nationale ». Cette instruction réaffirme avec force le principe de primauté du droit de l’Union et confère au juge national le pouvoir, et le devoir, de garantir l’effectivité des droits des justiciables, même contre une loi nationale.

B. La position prudente face à un potentiel conflit juridictionnel interne

La juridiction de renvoi demandait si elle devait surseoir à statuer pour ne pas créer une situation de violation des droits de l’accusé, étant donné la jurisprudence prétendument réfractaire de sa Cour suprême. La Cour de justice déclare cette question irrecevable car elle repose sur une prémisse qualifiée d’« erronée ». Elle refuse de tenir pour acquis que la Cour suprême de cassation bulgare persisterait dans son interprétation après les clarifications apportées par le présent arrêt.

En effet, la Cour de justice estime que la jurisprudence antérieure de la juridiction suprême pouvait s’expliquer par une lecture de l’arrêt de 2022, qui n’était pas aussi détaillé sur les conditions procédurales spécifiques du droit bulgare. En apportant des « éléments d’interprétation supplémentaires », la Cour donne à la juridiction suprême l’opportunité d’ajuster sa position. Cette approche témoigne d’une forme de déférence et de dialogue des juges, la Cour de justice refusant de présumer la mauvaise foi d’une juridiction nationale suprême et préférant fournir tous les outils nécessaires à une application correcte et uniforme du droit de l’Union.

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Hassan KOHEN
Avocat Associé

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